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Les jours et les nuits/I/II

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Société du Mercure de France (p. 11-13).

ii
première nuit

Les Champs-Élysées, du brouillard, quelques cyclistes, comme eux tout à l’heure. Sengle re-vêtu correct diffère de la foule exspectante devant le palais de l’Industrie en ce qu’il n’a pas au chapeau le carton triangulaire enluminé avec un numéro, assez gros. Des camelots vendent ce souvenir, et d’autres plus chers pour encadrer, protestent à ceux qui les refusent qu’un numéro est indispensable afin que là-dedans, part de bétail déjà, on ne vous vole les habits.

On attend sur les bancs, peu disciplinés encore, potaches surtout dans cette grande classe, avec la drôlerie des pions gendarmes.

Puis on est nu dans une autre salle, l’anthropométrie commence ; des gendarmes toujours, sous leur couperet bleu, et des marchands galonnés. On va être pesé à la balance de cette potence qu’on dit la toise ; pourvu que Sengle ne soit pas assez lourd. Mais en attendant il y a une odeur chaude de moutons tondus, cela est indifférent de monter les marches et d’apparaître hors de la tourbe comme un jeune dieu ; mais les atomes visuels et tactiles des autres corps sont trop près vraiment. Que cette potence n’est-elle couronnée du cercle de pluie d’une douche ! On y crucifie un petit homme fort laid, et un des galonnés enfonce ses pouces dans ses aines rousses. Service auxiliaire, proclame-t-on. Pris dans la file indienne, Sengle a monté les marches, n’a pas le temps de se reconnaître. Une tape sur les muscles, bon pour le service, la voix, et la poussée en même temps, vers ses habits.

« Il faudra couper tout ça, » dit un gendarme, parce qu’il a les cheveux longs.