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Les jours et les nuits/II/VII

La bibliothèque libre.
Société du Mercure de France (p. 104-106).

vii
le chant du coq

Soldat, lève-toi.
Soldat, lève-toi
Bien vite.
Si tu ne veux pas te lever.
Fais-toi porter malade…
Soldat, lève-toi…

La trompette finale chassait Sengle de la citerne du Léthé. Sait-on si les morts ne passent pas leur temps — ou le Temps — à se souvenir, rétrogradant dans la dissolution organique jusqu’à leur primordiale âme de pierre ; et si ça ne leur est pas très désagréable d’être réveillés (l’oubli nocturne étant surtout un autre souvenir) quand la journée d’Éternité commence ? Surtout quand elle leur commande les diverses corvées d’enfer.

Le souvenir de Valens restait dans les thermes de la mine. Si l’homme qui est séparé par une solution de continuité de son passé, se retournait, coupé en deux longitudinalement par le fer roulant d’un train, on serait épouvanté devant la grande plaie rouge. Il vaut mieux qu’il reste couché sur le dos : au moins, sa mort fait de la neige une pourpre ; et il peut mourir nu, libre des livrées du jour.

Si tu ne veux pas te lever...

Mais Sengle n’était pas couché du tout, rentrant de faction, assis dans le poste. Il est deux heures.

Il faut qu’il se lève, du moins de sa chaise. Il y a alerte et manœuvre de nuit. On lui commande de réveiller les sergents et d’expédier les plantons sonner aux portes des officiers.

Il court les chambres, jugulaire au menton, surchargé de cartouchières et courroies, exagérément militaire : « Sergent un tel, debout ! » et il les bouscule, dominant leur dégringolade, par les chambres grommelantes, vers la cour.


Une masse sonore et luisante, extraordinairement bourrue et hérissée, à voix chantante et saccadée, traîna ses sabots de bœufs et les clochettes de son cou ; ou l’on eût dit un bison, une casserole à la queue, qui en aurait ferraillé, derrière soi, majestueusement.

Et tout cela descendit vers la ville, passant les grilles, comme de l’octroi.

Tout le régiment était parti : c’était le plus décoratif déshabillage.