Les jours et les nuits/II/VI

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Société du Mercure de France (p. 99-103).

vi
consul romanus

Le lit de prisonnier de Sengle emporté au courant du fossé nagoyer et dévoré par la petite arche du pont du champ, il marcha sur la route dorée avec Valens.

Elle se déroula longtemps au dévidoir du moulin proche ; puis les genêts semblables à du charbon vert où cuisaient des moules tout ouvertes, se consumèrent, et ce fut la fumée, et les bâtiments sombres de la mine d’argent.

On n’avait plus que le souvenir de ce qui était jaune : les fleurs et le soleil, à la manière des zoophytes qu’on touche, avaient dû remporter la vie dans les cavernes de la terre.

Ils descendirent comme on dégringole une échelle et comme une chute d’eau devient bifide et marche humainement afin d’enjamber les pierres ; et ce furent les thermes souterrains, d’eau douce si proche de la mer qu’elle était piquante au fond de crabes et d’insectes des mares. Et ils se baignèrent.

La piscine, creusée par le recteur du petit bourg, évoquait un rond bénitier de granit, ou une coquille marine, parce qu’elle étendait de parasitaires antennes de joncs sur un bord ; ou un étang couvert, servant de sépulcre, sous une église.

Valens nagea, puis il fut debout au milieu de l’eau pas profonde, glabre et d’or comme une statuette, avec les cheveux pareils à un trou sur la fumée chaude, et qu’essayait d’imiter le minerai. Si l’on pouvait raboter le diamant noir, il s’était coiffé des copeaux.

Et comme on apporte un squelette d’argent à l’issue des festins, il se courba, et parmi ses muscles denses son dos sourit de neuf délicates vertèbres. Sa poitrine d’or très fauve claqua doucement l’eau plate, et ses hanches s’entrevirent plus brunes depuis les côtés, comme d’un faune qui ne serait pas intermédiaire entre l’homme et la bête, mais éphèbe athlète digne du métal. Puis deux pieds étroits s’écartèrent, divergente fuite de deux poissons de nacre, et Sengle vit l’eau à travers les ongles.

L’ecclésiastique fossoyeur et ondin de la bienfaisante citerne plongea avec eux. Et il plongea très longtemps, comme s’il eût voulu fouir davantage son œuvre. Le vieil enfant soufflait au fond de l’eau pour faire des bulles. Sa bouche expira l’air selon divers gestes, il parla vers la vase, les paroles remontèrent en oscillant et elles firent de petites explosions, comme les mots boréaux d’azur et de gueule que dégela Pantagruel. Il ahanna les mots abstraits des contractions de ses joues bretonnes :

« Barailherez, » il bâilla, et il ne monta pas de bulles, mais se circonscrivit de petites rides. « Streffiadur… huanad… halan. »

Il éternua, soupira et respira, jouant sous l’eau. Sengle et Valens s’étaient rhabillés et assis sur le bord de la citerne, les mains jointes sur les genoux et les pieds mouvant les joncs, suivant la fuite ondulante au repère des paroles visibles.

« Dominous vobiscoum… » apporta une grosse bulle qui éclata joyeusement devant les enfants.

Et l’ecclésiastique reparut vêtu, à l’autre bout de la citerne, derrière des rochers, mit son chapeau noir et s’évanouit en glissant parmi l’encens de la buée, comme le cygne d’argent de la mine, terni jusqu’à la brûlure par les vapeurs sulfureuses.