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Lettres à Herzen et Ogareff/De Sokoloff à Ogareff

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Lettres à Herzen et Ogareff
Lettre de N. W. Sokoloff à Ogareff - 2 janvier 1873



LETTRE DE N. W. SOKOLOFF À OGAREFF


2 janvier 1873. Zurich.


En t’embrassant, en te baisant, je te félicite à l’occasion de la nouvelle année et je bois à ta santé, notre cher Nicolas Platonovitch. Puisses-tu vivre de longues années et en jouir de toutes tes forces. Souviens-toi que tu es des nôtres et que nous ne t’oublions pas.

Notre affaire, par rapport à l’imprimerie, marche comme sur des roulettes. On n’aura pas à l’attendre longtemps.

Vouloir, c’est pouvoir.

Et toi, mon vieux, fais de la copie, écris toujours et envoie-nous de tes feuillets. Tes paroles ne seront pas perdues et ne sauront échapper à la presse de l’imprimeur.

Tu me demandes ce qui se passe à Zurich ? À cette question, je vais te répondre comme suit : Depuis mon arrivée ici, il s’est produit une scission dans la jeunesse russe. Je n’y suis pour rien, bien entendu, l’honneur en revient à monsieur L…, un certain philosophe, qui vient de Paris dans l’intention de fonder ici une revue. Ce L…, a élaboré son programme et l’a fait imprimer. Mais l’esprit en était faux et tellement détestable que Bakounine, Zaïtzeff, moi, de même que les meilleurs représentants de la jeunesse russe ici, nous en eûmes tous la nausée et nous décidâmes de nous détacher de L…, et de sa clique. Imagine-toi que dans son programme, il déclare la révolution un mal et qu’il prêche la légalité !…

Qu’en penses-tu, avons-nous eu raison de nous faire schismatiques ?

Je t’embrasse, encore une fois.


Tout à toi, N. Sokoloff.


P.-S. — Mon adresse : Zürich, Fluntern, Wiesenstrasse, bei Frau Steinfels, n° 1.


Nota. — En 1872-1873, résidèrent en Suisse (principalement à Zurich), plus de deux cents jeunes gens et jeunes filles russes. La grande majorité se composait d’étudiants et d’étudiantes parmi lesquels se trouvaient aussi nombre de réfugiés impliqués à l’affaire des troubles universitaires qui eurent lieu en Russie, vers cette époque.

Les étudiantes russes à elles seules étaient à Zurich, au nombre de 120. Le cercle de cette nouvelle catégorie de réfugiés entra en relations étroites avec Bakounine et constitua une large action propagandiste-littéraire, lui servant en même temps à recueillir quelques modestes sommes pour assurer son existence. Par les soins de ce cercle, furent édités en 1873, les volumes suivants de Bakounine : « Le développement historique de l’Internationale », « L’État et l’Anarchie », t. I, et en 1874 : « L’Anarchie d’après Proudhon », t. I, etc. À cette même époque, vint s’établir à Zurich M. Lavroff (colonel et ex-professeur à l’Académie d’artillerie de Pétersbourg, exilé en 1866 par ordre administratif dans le gouvernement de Vologda, d’où il s’était évadé). Un groupe de jeunes Russes, à Zurich, lui fit la proposition de diriger la revue « En Avant », qu’ils allaient fonder. Bientôt après, une scission manifeste se produisit au milieu de la jeunesse russe en Suisse, qui se divisa en deux groupes, les « lavristes » et les « bakounistes ». Cette séparation eut pour cause, non seulement la question de la gérance de la bibliothèque russe à Zurich (fondée par les réfugiés « bakounistes » qui entendaient la diriger seuls, à l’exclusion des nouveau-arrivés étudiants ayant en tête les « lavristes » et qui réclamèrent des droits égaux), mais surtout le programme même de la revue « En Avant », écrit par M. Lavroff qui, au point de vue d’un grand nombre de jeunes gens, était par trop modéré et n’accusait pas un caractère socialiste. Bien que dans la question de la bibliothèque la majorité se rangeât du côté des « lavristes », au contraire, dans l’ordre des choses politico-sociales, les idées de cette même majorité, se rapprochaient beaucoup plus de celles de Bakounine, de sorte que M. Lavroff se vit obligé de refaire deux ou trois fois son programme de l’ « En Avant », où il publia même un article sur la pougatchevstchtina (1773-1873), tout à fait dans l’esprit révolutionnaire de Bakounine.

Dans le temps, cette lutte pour les idées eut une place très marquée dans la vie des jeunes amis de Bakounine, sinon dans la sienne (lui-même n’habitait pas Zurich), mais elle laissa peu de traces dans sa correspondance que nous avons entre nos mains. Et c’est pourquoi nous publions ici la lettre de Sokoloff. Nous espérons que les personnes, mieux informées, nous apporteront leur concours pour élucider cette période dans la vie de Bakounine.

N. Sokoloff, sous-colonel en retraite, publia dans la Revue « La Parole russe », plusieurs articles ; dans l’un d’eux, il qualifia J. St. Mill, de l’épithète de racaille.

Plus tard, il fut exilé administrativement au gouvernement d’Archangelsk. De là, il fut transporté à Astrakhan d’où il s’évada.

Réfugié à l’étranger, il publia son intéressant volume : « Otstchepentzis » (Les Réfractaires), dans lequel il attribue le progrès de l’humanité entière à ceux qui se sont détachés de leur milieu[1].

W. Zeïtzeff était également collaborateur de la « Parole russe », sous la direction de Pissareff ; il y popularisait les sciences. Il passa ses dernières années à l’étranger dans les cercles des réfugiés russes, mais sans perdre néanmoins le droit de publier ses ouvrages en Russie, où il édita deux manuels d’histoire ancienne (Drag.).


  1. Cet ouvrage de Sokoloff est traduit en français (Trad.).