Aller au contenu

Lettres à la princesse/Lettre232

La bibliothèque libre.
Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 319-321).


CCXXXII

Ce 10 décembre 1867.
Princesse,

— Que Votre Altesse soit assez bonne pour m’excuser de dicter !

Mon état de souffrance est le même, quoique les médecins s’accordent à dire que ce n’est rien.

Je n’ai aucune force ni aucune capacité d’attention.

Je ne vois, Princesse, qu’une chose à faire : mander le coupable, le faire se confesser complétement. Je le sais informé de la difficulté qui s’élève contre lui. Qu’il montre à Votre Altesse ces mauvais vers. Qu’il fasse voir surtout qu’il a été coupable d’une imitation d’Alfred de Musset. Son plus grand délit est là. Je suis persuadé que l’empereur, pris pour juge, prononcera le verdict ; mais quel… que ce soi-disant lettre de ministre[1] !

J’ai bien souffert moralement de ces paroles imprudentes arrachées au plus joufflu des orateurs[2]. Quoi ! l’empereur ne pourra-t-il trouver des interprètes vrais et sûrs de sa politique ?

Toute cette lettre sent le malade, Princesse, et l’homme irrité, — l’homme attristé surtout de ne point entrevoir l’instant où il pourra vous entendre.

Je mets à vos pieds, Princesse, l’hommage de mon respectueux et inaltérable attachement.


  1. « …On les flatte d’être de l’école d’Horace, parce que vieux, ils font quatre malheureux vers latins comme un écolier de quatrième ! Ils ont gardé du cuistre, ils n’ont rien pris des muses. » (Extrait d’une lettre de M. Sainte-Beuve sur le même sujet.)
  2. M. Rouher, dans la discussion au Corps législatif sur les affaires de Rome (4 et 5 décembre 1867). — M. Sainte-Beuve écrivait, dans le même temps, à un correspondant de Genève : « (8 décembre 1867). Eh bien, voilà le gouvernement parlementaire en pleine fonction. Vous êtes contents, messieurs ? Ce que j’admire une fois de plus, c’est comme notre nation est une nation de montre, de spectacle, d’émotion dramatique. Ils sont tous, même les chroniqueurs libéraux…, à s’émerveiller sur l’effet et les péripéties de cette séance du 5, où l’on a vu M. Rouher s’engageant graduellement jusqu’à dépasser le but, traîné à la remorque par deux acolytes imprévus, M. Thiers et M. Berryer, et en venant à laisser échapper, du haut de la tribune, ce fameux mot Jamais ! qui a toujours porté malheur à ceux qui l’ont proféré. Ces messieurs, spectateurs privilégiés de la séance, sont tout heureux de vous faire assister à ce bête de triomphe de M. Chesnelong : ils oublient le fond et le fait, qui est ce misérable pouvoir temporel, une dernière honte de la civilisation, et ils ne voient qu’une des scènes accidentées de l’éloquence parlementaire, objet littéraire de leur culte… »