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Lettres de Fernand Cortes à Charles-Quint/Préface

La bibliothèque libre.
Traduction par Désiré Charnay.
Hachette et Cie (p. i-iv).

PRÉFACE

Cortes a beaucoup écrit pendant son très long séjour à la Nouvelle-Espagne, et cette correspondance adressée à l’Empereur, au président du Conseil des Indes, etc., restée en partie inédite, pourra donner matière, un jour ou l’autre, à une publication extrêmement importante pour l’histoire du Mexique et de l’Amérique centrale.

Ce n’est d’aucune de ces lettres proprement dites qu’il est question dans le livre que je suis chargé de présenter aux lecteurs. On a depuis longtemps mis à part, dans les écrits émanés de Cortes, ce que l’on appelle les Relations (Relaciones), qui sont de véritables rapports officiels sur les événements dont il a été le principal acteur et qu’il expose avec de grands détails. Ce sont ces Relaciones que M. Désiré Charnay vient de traduire intégralement en français sous le titre de Lettres de Fernand Cortes à Charles-Quint et qui forment le volume que l’on va lire.

On n’a connu pendant de longues années que trois des Relaciones de Cortes ; c’étaient d’ailleurs les plus intéressantes. Elles portaient dès l’origine les numéros 2, 3 et 4 et une première relation envoyée au début de l’expédition n’ayant pas été retrouvée. La deuxième, datée de Segura de la Frontera (30 octobre 1520), a été éditée à Séville le 8 novembre 1522, en une petite brochure de 28 pages in-folio, par l’imprimeur allemand Jacob Cromberger, qui faisait connaître quelques mois plus tard (30 mars 1523), en trente pages du même format, la troisième relation adressée de Cuyoacan à l’Empereur le 15 mars 1522[1]. Ces deux textes castillans étaient traduits en latin et publiés à Nuremberg en 1524, par Pierre Savorgnan de Forli, et Nicolo Liburnio les donnait en italien six mois après à Venise[2]. Enfin le 20 octobre 1525 Gaspar de Avila achevait d’imprimer la quatrième relation, partie juste une année plus tôt de Temixtitlan (Mexico) pour la cour d’Espagne.

Les contemporains de Cortes ont donc pu lire immédiatement les récits de la conquête, narrés par l’aventurier audacieux qui l’avait menée à bon terme. Ce n’est, au contraire, que beaucoup plus tard que les historiens du Nouveau Monde ont connu le document de 1519[3] qui tient lieu de la relation première et la cinquième relation qui raconte l’expédition au Honduras (1526).

C’est en effet à l’historien américain Robertson que l’on doit la connaissance de ces deux morceaux, qui gisaient l’un et l’autre dans un manuscrit oublié de la Bibliothèque Impériale de Vienne, d’où le chevalier R. M. Keith les a tirés pour son illustre ami. Les éditions espagnoles de Barcia et de Lorenzana, antérieures à cette découverte, la traduction française de Flavigny faite sur cette dernière (1778), étaient très incomplètes, et l’on ne saurait trop remercier M. D. Charnay d’avoir bien voulu consacrer les loisirs d’une verte vieillesse à nous donner dans notre langue un texte complet, tiré de la collection publiée à Madrid par Don Enrique de Vedra[4], et qui permettra à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire d’Amérique, de lire sans effort et avec sûreté les récits désormais classiques du plus grand des conquistadores.

La traduction de M. Charnay n’est pas seulement plus complète, elle est aussi plus fidèle en général que celle de son distingué devancier. Flavigny connaissait bien la langue castillane — il l’a prouvé à diverses reprises, — mais il traduisait, comme c’était alors la coutume, en se contentant de donner tant bien que mal le sens général, sans se préoccuper de rendre chaque terme et de conserver, dans la mesure du possible, les tournures spéciales propres à son auteur. Il passait un mot, sautait un bout de ligne, abrégeait la phrase ou la remplaçait par un véritable commentaire.

M. Charnay ne prend pas les mêmes libertés avec le texte castillan, qu’il suit habituellement de plus près, en s’efforçant d’ailleurs de garder à sa traduction un caractère aussi littéraire que possible.

Il a du reste sur Flavigny plusieurs avantages importants. Il connaît par lui-même, pour les avoir personnellement explorées, les contrées où se passent les événements racontés par le conquérant espagnol. Il a étudié sous ses divers aspects et dans ses différentes provinces la population indienne que Cortes met en scène. Enfin le dialecte colonial n’a aucun secret pour lui, et chacun des termes indigènes employés dans les Relations lui est dès longtemps familier. Aussi me suis-je pris à regretter, qu’au lieu d’une simple traduction, un écrivain aussi bien préparé n’ait point tenté de nous donner une véritable édition critique, avec les variantes déjà relevées par Navarrete, et des commentaires historiques et géographiques dont l’absence se fait sentir, ce me semble, dès les premières pages du volume.

Je me suis trompé peut-être en formulant une telle réserve. Il est possible que M. Charnay ait bien fait d’alléger un texte, auquel il voulait prêter avant tout une allure littéraire, de ces annotations, dont Vedra lui avait donné l’exemple, et qui fatiguent le lecteur, en coupant en menus morceaux le récit qu’il a commencé. Puisse l’excellent traducteur avoir eu tout à fait raison ! Je souhaite que son livre ait au moins les éditions qu’eut, à la veille de la Révolution, celui de Flavigny, et que quelques-uns de ceux qui auront lu dans leur texte définitif les Relaciones de Cortes se prennent d’un beau zèle pour ces intéressantes études américaines si longtemps négligées et qui ouvrent à la contemplation des penseurs de si larges, de si nouveaux horizons !

E.-T. Hamy,
Membre de l’Institut.
  1. On trouvera les renseignements les plus circonstanciés sur ces diverses éditions de Cortes dans la Bibliotheca americana vetustissima de M. Barrisse. — Voir aussi une note de Navarrete dans le premier volume de la Colección de Documentos ineditos para la historia de España (Madrid, 1842, t. I, p. 410-416).
  2. On connaît des traductions en français et en allemand de 1532 et 1550. Harrisse, op. cit., p. 287 et 441).
  3. Il est question, au début de la deuxième Relation, d’ « un long rapport sur les choses qui s’étaient succédé dans le pays » depuis l’arrivée de Cortes. Et l’on n’a qu’un document de 28 petites pages émané de la Justicia y Regimiento de la Nueva Ciudad de Vera Cruz. Sans doute on sent la main de Cortes dans ce pamphlet dirigé contre un rival, Diego Velazquez, mais cette relation ne saurait être confondue avec la pièce toute personnelle, dont Cortes rappelle l’envoi, en commençant son deuxième récit.
  4. Biblioteca de autores españoles desde la formación del languaje hasta nuestros días — Historiadores primitivos de Indias. T. I, p. 1-153. Madrid, 1877, in-4o.