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Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Mémoire sur une loi générale d’optique

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MÉMOIRE
SUR
UNE LOI GÉNÉRALE D’OPTIQUE[1].


(Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres
de Berlin
, année 1803.)


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Le Mémoire sur la Théorie des lunettes, qui est imprimé dans le Recueil de l’année 1778[2], contient des formules générales pour déterminer la route des rayons qui traversent un nombre quelconque de lentilles dont les foyers sont donnés. Ces formules donnent un résultat remarquable par sa simplicité et sa généralité, que je n’ai fait qu’indiquer dans le Mémoire que je viens de citer, et qui mérite particulièrement l’attention des savants, parce qu’il offre une loi aussi utile en Optique que la loi des vitesses virtuelles l’est en Mécanique. C’est ce que je vais développer dans ce nouveau Mémoire.

Je commencerai par rappeler les formules principales, relatives à l’objet dont il s’agit. Si l’on considère un rayon qui traverse successivement plusieurs lentilles rangées sur un même axe, et qui change de direction à la rencontre de chaque lentille ; et qu’on nomme, comme dans le Mémoire cité,

les tangentes des angles que la direction du rayon fait successivement avec l’axe, et

les distances à l’axe des points des lentilles par lesquels passe le rayon, distances que nous prendrons pour les demi-diamètres des ouvertures des lentilles, on aura ces relations entre les quantités

dans lesquelles les quantités sont des fonctions des distances entre les lentilles et des distances focales des lentilles, c’est-à-dire des distances de leurs foyers pour les rayons parallèles et infiniment proches de l’axe, en faisant abstraction de l’épaisseur des lentilles et de la différente réfrangibilité des rayons.

Nous avons donné dans le Mémoire cité les valeurs de ces fonctions ; mais il suffira ici de rappeler la loi qui règne entre elles, et qui est renfermée dans cette formule générale

(B)

[Dans le Mémoire dont il s’agit, on avait trouvé la formule

où le signe supérieur était pour le cas de pair et l’inférieur pour celui de impair ; mais on s’était trompé sur les signes ; car les deux équations d’où l’on avait déduit cette formule étant (15)

elles donnent évidemment

et par conséquent

d’où l’on voit que la valeur de est constante pour toutes les valeurs de Or, faisant on a

puisque

Donc on a, en général,

et, mettant à la place de on aura

Au reste cette méprise sur les signes n’influe en rien sur la suite du Mémoire, mais je suis bien aise de profiter de cette occasion pour la réparer.]

Quoique ces formules n’aient été trouvées que pour les rayons qui sont réfractés par des lentilles, elles s’appliquent également aux rayons réflectés par des miroirs ; car, les fonctions ne dépendant que des distances focales des lentilles et de leurs distances entre elles, il n’y aura, pour changer une lentille en miroir, qu’à prendre la distance focale du miroir à la place de celle de la lentille, en lui donnant le signe pour que le foyer se trouve au devant du miroir.

Ainsi l’on peut regarder les formules précédentes comme contenant toute la Théorie de la Dioptrique et Catoptrique, en tant qu’on fait abstractiondes effets de l’aberration, soit de réfrangibilité, soit de sphéricité.

Cela posé, considérons, en général, un télescope ou un microscope quelconque composé de lentilles, dont la première soit l’objectif et dont la ième soit l’oculaire. Soit un objet considéré comme un point placé à la distance au devant de l’objectif, et à la distance de l’axe qui passe par les centres de toutes les lentilles ; et soit un rayon qui, partant de cet objet, entre dans l’objectif à la distance de son centre. Il est facile de voir que ce rayon fera avec l’axe un angle dont la tangente sera de sorte qu’on aura

À la sortie de ce rayon par l’oculaire, la tangente deviendra puisque l’oculaire est supposé être la ième lentille. Or, en faisant dans la formule générale (A), on a

et, substituant pour la valeur qu’on a trouvée ci-dessus, on aura

Cette valeur de exprime la tangente de l’angle que le rayon fait avec l’axe après sa sortie de l’oculaire ; et l’on voit qu’elle est différente pour les différents rayons qui, partant du même point de l’objet, entrent dans l’objectif à différentes distances de l’axe. Mais, pour que tous ces rayons puissent former dans l’œil une image distincte, il faut qu’ils y entrent parallèles ou à très-peu près parallèles ; or ils ne peuvent être parallèles entre eux qu’autant que la valeur de sera la même pour tous les rayons ; ainsi il faudra que cette valeur soit indépendante de la quantité et que par conséquent on ait

(C)

C’est la condition nécessaire pour que l’assemblage des lentilles puisse former un télescope ou un microscope. Pour le microscope la distance est ordinairement très-petite, et l’on peut la prendre à volonté ; mais pour les télescopes cette distance doit être fort grande, et l’on peut la supposer infinie. Alors la condition se réduit simplement à

La valeur de deviendra donc Or est la tangente de l’angle sous lequel l’œil placé au centre de l’objectif verrait la ligne perpendiculaire à l’axe ; mais, par le télescope ou le microscope, cette même ligne sera vue sous l’angle dont la tangente sera égale à donc le diamètre des objets vus par le télescope ou le microscope sera augmenté dans la raison de à Ainsi l’amplification des diamètres apparents, ou le grossissement linéaire produit par l’instrument, sera exprimé par la fonction Voyons maintenant comment on peut déterminer la valeur de cette fonction sans connaître sa composition ni les quantités dont elle dépend.

L’équation (C) donne

substituant cette valeur dans l’équation (B) après y avoir fait

d’où l’on tire

Considérons l’expression de en faisant, dans la formule (A), on aura

Substituons pour sa valeur en donnée ci-dessus on aura

Supposons maintenant on aura simplement

donc

par conséquent

Ainsi l’amplification des diamètres des objets apparents, que nous avons vu être proportionnelle à sera aussi exprimée par le rapport

Or est dans ce cas la distance au centre de l’objectif du point où un rayon parti de l’axe traverse l’objectif, et est de même la distance au centre de l’oculaire, du point où le même rayon traverse l’oculaire ; ainsi l’augmentation du diamètre de l’objet sera dans la proportion de la première distance à la seconde.

Si l’on suppose un point lumineux placé dans l’axe, à l’endroit où est l’objet vu par le télescope ou le microscope, il est visible qu’il enverra dans l’objectif un cône de lumière dont la base sera l’aire de l’objectif ; et cette lumière, si elle ne rencontre aucun obstacle dans le passage de l’objectif à l’oculaire, sortira tout entière par l’oculaire en formant un cylindre autour de l’axe. Car la valeur de qui est la tangente de l’inclinaison des rayons à l’axe en sortant de l’oculaire, étant devient nulle lorsque de sorte que tous les rayons doivent sortir parallèles à l’axe.

Dans ce cas donc, en considérant les rayons qui passent par les bords de l’objectif, il est clair que, si l’on prend le demi-diamètre de l’objectif pour la valeur correspondante de sera le demi-diamètre de la section du cylindre de lumière qui sortira par l’oculaire. D’où il s’ensuit que les diamètres des objets apparents seront toujours augmentés dans la raison du diamètre de l’objectif au diamètre de la section du cylindre lumineux sortant de l’oculaire ; de sorte qu’il n’y aura qu’à mesurer ce diamètre et le comparer à celui de l’objectif, pour avoir l’augmentation du diamètre des objets produite par l’instrument optique.

Pour les télescopes, l’objet étant à une distance très-grande, les rayons sont censés entrer parallèles dans l’objectif. Le cône lumineux devient alors un cylindre dont la base est l’aire même de l’objectif, et ce cylindre sort de nouveau par l’oculaire sous la forme de cylindre.

On peut donc établir cette conclusion générale, que dans un télescope ou microscope quelconque, quels que soient le nombre, l’arrangement et la force des lentilles ou des miroirs qui le composent, l’augmentation des diamètres des objets, qui constitue le grossissement produit par l’instrument, est toujours dans le rapport du diamètre de l’ouverture de l’objectif au diamètre de l’ouverture de l’oculaire, en prenant pour cette ouverture la section du cylindre lumineux qui sort de l’oculaire, et supposant que le faisceau de lumière que l’objet envoie dans l’objecti\int n’est intercepté nulle part dans son trajet et peut ressortir tout entier par l’oculaire.

La bonté d’un télescope ou d’un microscope exige que tous les rayons qui entrent directement par l’objectif sortent par l’oculaire, pour que les objets y paraissent aussi éclairés qu’ils peuvent l’être c’est pourquoi on fait ordinairement l’ouverture du dernier oculaire, et même celles des oculaires précédents, plus grandes qu’il n’est nécessaire pour le passage de tous les rayons. Leurs limites à cet égard sont déterminées par les valeurs des quantités en y faisant pour les télescopes, ou pour les microscopes, où est la distance de l’objet à l’objectif. Mais, pour pouvoir juger à posteriori si la condition dont il s’agit est remplie, il suffira de diminuer à volonté l’ouverture de l’objectif par le moyen d’un anneau de carton, et d’observer si l’ouverture proprement dite du dernier oculaire, c’est-à-dire la section du cylindre lumineux qui en sort, est diminuée dans la même proportion ; car la valeur de est toujours proportionnelle à en faisant ou

Or rien n’est plus facile que de mesurer le diamètre de cette section. Pour les télescopes, il n’y a qu’à les diriger vers le Soleil, et recevoir la lumière qui en sort, sur un carton perpendiculaire à l’axe du télescope ; le diamètre du cercle lumineux, formé sur le carton, sera le diamètre cherché. Mais, comme on ne veut tenir compte que des rayons qui entrent parallèlement à l’axe, il sera bon d’allonger le tuyau du télescope du côté de l’objectif, pour intercepter les rayons qui viendraient des bords du Soleil et qui seraient inclinés à l’axe. Pour les microscopes, il n’y aura qu’à placer une lumière au lieu de l’objet, ou plutôt, pour éviter l’effet de la grosseur de la lumière, la placer un peu plus loin, et la faire ensuite passer par un petit trou placé dans l’axe à l’endroit où l’objet doit être situé ; ensuite recevoir de même sur un carton le cylindre lumineux sortant par l’oculaire, et mesurer le diamètre du cercle lumineux formé sur le carton.

Le rapport du diamètre de l’objectif à celui du cercle lumineux donnera sans autre connaissance le grossissement linéaire de l’instrument. Je crois que cette manière de juger du grossissement d’une lunette n’est pas tout à fait inconnue aux artistes opticiens ; mais j’ignore si elle a été démontrée jusqu’ici d’une manière générale.

Comme il y a en Mécanique la loi générale des vitesses virtuelles, par laquelle on peut connaître l’augmentation de force produite par une machine, sans connaître la nature ni la construction de la machine, mais par le simple rapport des vitesses simultanées du point où est appliquée la puissance et du point auquel cette puissance est tran\sinise par la machine ; de même on peut dire qu’il y a en Optique une loi analogue, par laquelle, sans connaître la disposition intérieure d’un télescope ou d’un microscope, on peut juger de sa force par le simple rapport du diamètre de l’ouverture de l’objectif au diamètre de l’ouverture de l’oculaire.

Une conséquence très-importante de cette loi générale d’Optique est qu’un objet vu par un instrument quelconque d’Optique doit toujours paraître aussi éclairé qu’il paraîtrait à la vue simple, en faisant abstraction de toute perte de lumière occasionnée par les lentilles ou les miroirs.

Car il est évident que la densité des rayons qui sortent de l’oculaire est à leur densité, en entrant dans l’objectif, en raison inverse des espaces qu’ils occupent dans l’oculaire et dans l’objectif, c’est-à-dire des aires de leurs ouvertures ; par conséquent la densité des rayons, en sortant de l’instrument, sera à leur densité, en y entrant, comme l’ouverture de l’objectif est à l’ouverture de l’oculaire. D’un autre côté, nous venons de démontrer que l’amplification des diamètres apparents des objets vus par un instrument optique est mesurée par le rapport du diamètre de l’objectif au diamètre de l’oculaire ; par conséquent les surfaces apparentes seront augmentées dans la raison des carrés de ces diamètres ou dans celle des aires des ouvertures de l’objectif et de l’oculaire.

Donc la densité des rayons est augmentée dans la même raison que les surfaces des objets vus par l’instrument optique. D’où il est aisé de conclure que la clarté doit rester la même. Si l’instrument diminuait les objets, la densité de la lumière serait diminuée dans la même proportion que les surfaces apparentes, et la clarté demeurerait encore la même. C’est ainsi que, sans la perte de lumière qui se fait dans le passage par l’air, la clarté ou l’éclat d’un même corps lumineux vu à une distance quelconque doit être constant ; car la densité des rayons et la grandeur de l’image apparente diminuent dans la même proportion inverse des carrés des distances, de sorte que la force de la lumière dans chaque point de l’image est toujours la même.

Suivant la plupart des opticiens, la clarté dans les télescopes et les microscopes est simplement en raison directe de l’ouverture de l’objectif, et en raison inverse du carré des amplifications linéaires ; ils paraissent croire que la clarté augmente à mesure que l’ouverture de l’objectif augmente, parce qu’en effet la quantité de lumière reçue par cette ouverture est aussi plus grande dans la même proportion ; mais sa densité n’augmente pas, tant que la disposition des surfaces réfringentes ou réfléchissantes reste la même. L’augmentation de l’ouverture de l’objectif produit une augmentation proportionnelle dans l’ouverture de l’oculaire et, si l’oculaire est trop petit, le surcroît de lumière fourni par l’objectif est perdu.

Il est important de détruire une erreur qui me paraît accréditée chez les opticiens et dans plusieurs Ouvrages d’Optique c’est le but principal de ce Mémoire.


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  1. Lu à l’Académie, le 17 mars 1803.
  2. Œuvres de Lagrange, t. IV, p. 535.