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Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Mémoire sur l’équation séculaire de la Lune

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MÉMOIRE
SUR
L’ÉQUATION SÉCULAIRE DE LA LUNE.


(Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres
de Berlin
, années 1792 et 1793.)


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Dans la Théorie des variations séculaires des éléments des Planètes qui est imprimée dans les volumes des années 1781 et 1782[1], je n’avais point considéré les variations des mouvements moyens, parce que j’avais cru pouvoir les regarder comme invariables à cause de l’invariabilité des grands axes, que j’avais démontrée d’une manière directe et générale. Ayant ensuite examiné plus scrupuleusement ce point important de la Théorie des Planètes, j’ai reconnu que les mouvements moyens pouvaient être sujets à des variations séculaires dépendantes des carrés des excentricités et des inclinaisons, et j’ai donné le premier dans un Mémoire imprimé dans le volume de 1783, la Théorie et les formules de ces variations[2]. J’en fis alors l’application à Jupiter et à Saturne ; mais, n’ayant trouvé pour les variations de leurs mouvements moyens que des quantités presque insensibles, je pensai qu’il était inutile d’étendre cette recherche aux autres Planètes. D’autres objets m’ayant ensuite fait perdre celui-ci de vue, je négligeai d’appliquer aussi mes formules à la Lune, ce qui ne demandait que des substitutions numériques très-faciles et plus simples que pour les Planètes principales. Vers la fin de 1787, Laplace annonça à l’Académie des Sciences de Paris qu’il avait trouvé moyen d’expliquer l’équation séculaire de la Lune par la variation de l’excentricité du Soleil et, par le Mémoire qu’il a donné ensuite sur ce sujet et qui est imprimé dans le volume de 1786, on voit que cette équation est produite par les mêmes termes qui composent ma formule des variations du mouvement moyen. Comme ce résultat est un des plus intéressants de la Théorie générale des variations séculaires, j’ai cru devoir le développer dans ce Mémoire, pour compléter mon travail sur une partie si importante de l’Astronomie physique.

1. En regardant la Terre, la Lune et le Soleil comme formant un système particulier de trois Planètes qui s’attirent mutuellement et dont les deux dernières tournent autour de la première, il est clair que ce système peut être comparé à celui du Soleil, de Jupiter et de Saturne, que nous avons considéré à part dans notre Théorie des variations séculaires, et pour lequel nous avons donné des formules générales. Ainsi il suffira de substituer dans ces formules la Terre au Soleil, la Lune à Jupiter et le Soleil à Saturne ; de sorte que, comme les lettres sans trait s’y rapportent à Saturne et celles avec un trait à Jupiter, nous rapporterons ici les premières à l’orbite du Soleil autour de la Terre et les secondes à l’orbite de la Lune. Quant aux masses, nous remarquerons que nous avons pris pour plus de simplicité dans nos formules la masse du Soleil pour l’unité des masses ; mais il est facile de voir, en remontant aux équations fondamentales, qu’à la rigueur c’est la masse du Soleil augmentée de celle de la Planète dont on cherche le mouvement, qui doit être prise pour l’unité des masses des Planètes perturbatrices, parce que son mouvement autour du Soleil n’est pas simplement dû à l’action du Soleil, mais à la somme des actions mutuelles du Soleil et de la Planète ; ainsi, pour appliquer à la Lune, en tant qu’elle est dérangée par le Soleil, les équations de Jupiter dérangé par Saturne, il n’y aura qu’à regarder comme relatives à la Lune les quantités désignées par les lettres affectées d’un trait, et comme relatives au Soleil celles qui le sont par des lettres sans trait ; et quant à la masse qui dans ces équations exprime le rapport de la masse de Saturne à celle du Soleil, ou plus exactement à la somme des masses de Jupiter et du Soleil, il faudra la supposer égale au rapport de la masse du Soleil à la somme des masses de la Terre et de la Lune, c’est-à-dire, à cause de la petitesse de la masse de la Lune à l’égard de celle de la Terre, simplement égale au rapport de la masse du Soleil à celle de la Terre ; ce qui revient encore, comme l’on voit, à substituer le Soleil à Saturne et la Terre au Soleil.

2. Cela posé, voici d’abord la formule que nous avons trouvée dans la troisième Section du Mémoire cité de 1783 pour la variation séculaire du mouvement moyen de Jupiter produite par l’action de Saturne[3]

Pour l’appliquer à la variation séculaire du mouvement moyen de la Lune, causée par l’action du Soleil, il n’y aura donc qu’à supposer que est l’angle décrit par le mouvement moyen et uniforme de la Lune autour de la Terre, que est l’altération de son mouvement moyen, et que les quantités se rapportent à la Lune et les quantités au Soleil, de manière qu’en faisant suivant les dénominations de notre Théorie des variations séculaires [no 17 de la deuxième Partie, Mémoire de 1782[4]]

on ait et pour les excentricités du Soleil et de la Lune, pour les lieux de leurs apogées, pour les tangentes de leurs inclinaisons sur l’écliptique fixe de 1700, et pour les lieux de leurs nœuds sur cette écliptique. À l’égard des coefficients ils sont des fonc-

tions données de la quantité sera maintenant la distance moyenne du Soleil et la distance moyenne de la Lune à la Terre.

Mais avant de donner les valeurs de ces coefficients nous devons rectifier une inexactitude qui s’est glissée dans l’expression du coefficient (2) du no  22 du Mémoire cité[5]. Dans le numérateur de cette formule le second terme est au lieu qu’il doit être comme il est aisé de s’en convaincre en faisant les substitutions indiquées dans le numéro précédent. Au moyen de cette correction la valeur générale du coefficient (2) devient égale à celle du coefficient (4) prise avec un signe contraire ; et c’est ainsi qu’il faut corriger les expressions du coefficient (2) des nos 23 et 27 pour Saturne et Jupiter. De cette manière l’équation pour la détermination de la quantité se simplifie et devient

où l’on aura (no  27 du Mémoire cité)

en supposant

À l’égard de la quantité qui représentait la masse de Saturne, ou plutôt le rapport de cette masse à celle du Soleil, elle devra, comme nous l’avons vu ci-dessus, être supposée égale au rapport de la masse du Soleil à celle de la Terre. Or, nommant le rapport du mois périodique à l’année sidérale, on sait que le rapport de la masse de la Terre à celle du Soleil est exprimé par de sorte qu’on aura et, suivant les déterminations que nous avons données dans le no 6 de la deuxième Partie de la Théorie des variations séculaires (Mémoire de 1782), on a

Ainsi, étant une fraction fort petite, on pourra, en développant les expressions des coefficients s’en tenir aux termes qui contiendront les puissances de les moins élevées. On fera donc

et, substituant ces valeurs, on trouvera en ne retenant que le premier terme

3. Il reste encore à déterminer les quantités Comme les quantités se rapportent maintenant à l’orbite du Soleil autour de la Terre, il est visible qu’elles ne sont autre chose que celles que nous avons désignées par prises avec un signe contraire (parce que celles-ci se rapportaient à l’orbite de la Terre autour du Soleil), et dont nous avons donné les expressions générales et complètes dans la deuxième Partie de la Théorie citée.

Mais, pour les quantités qui se rapportent maintenant à l’orbite de la Lune autour de la Terre, il faudra les déterminer par des équations analogues à celles qui ont servi à déterminer ces quantités pour Jupiter en tant qu’il est dérangé par Saturne. Il n’y aura donc qu’à appliquer ici les équations différentielles du no 49 de la deuxième Partie de la Théorie citée [Mémoire de 1782[6]] ; mais, comme dans les formules primitives de la première Partie on avait substitué simplement pour parce que les Planètes étant toutes retenues dans leurs orbites par l’attraction du Soleil leurs vitesses angulaires moyennes sont simplement en raison inverse des racines carrées des cubes des distances moyennes, il faudra ici restitue pour puisque le Soleil et la Lune, quoique décrivant leurs orbites autour de la Terre, sont cependant retenus dans ces orbites par des forces différentes, la Lune par l’attraction de la Terre et le Soleil par sa propre attraction sur la Terre ; de sorte que leurs vitesses angulaires moyennes ne sont plus simplement dans le rapport inverse des racines carrées des cubes des distances. On aura donc de cette manière les quatre équations

Les valeurs des coefficients et sont données par ces formule [no 3 de la deuxième Partie citée[7]]

les quantités et étant les mêmes que ci-dessus ; de sorte qu’à

cause de la petitesse de la valeur de on aura simplement

4. Si donc on fait ces substitutions, et que, pour éviter toute confusion, on désigne par les valeurs de qui se rapportent maintenant à la Lune, qu’on fasse de plus, pour abréger,

on aura ces équations relatives aux variations séculaires de la Lune

dans lesquelles sera l’angle du mouvement moyen uniforme de la Lune, la variation séculaire de ce mouvement, la distance moyenne de la Lune à la Terre, celle du Soleil étant prise pour l’unité, en sorte que et la longueur du mois périodique en prenant l’année périodique pour l’unité.

Les valeurs des quantités ont été données dans la deuxième Partie de la Théorie des variations séculaires [nos 63 et 70 du Mémoire de 1782[8]], et elles sont de cette forme

les termes de chacune de ces valeurs étant au nombre de six. La variable représente dans ces formules le temps compté depuis l’époque de 1700 et exprimé en années Juliennes ; de sorte que, comme nous avons désigné par l’angle le mouvement moyen de la Lune, on aura à peu près

ou rigoureusement

en désignant par l’angle que le Soleil parcourt relativement aux étoiles fixes dans l’espace d’une année Julienne, et que nous avons trouvé (no 15 de la deuxième Partie de la Théorie citée).

5. Voilà les formules et les données nécessaires pour déterminer les variations séculaires de la Lune. Nous remarquerons d’abord que, comme la valeur de ou de est très-petite, on pourra dans la première approximation négliger dans les équations ci-dessus les termes multipliés par vis-à-vis de ceux qui sont simplement multipliés par De plus les termes et se trouveront multiplies par ou ou et, comme la plus grande des valeurs est moindre que (nos 53 et 70 de la deuxième Partie citée), il s’ensuit que les multiplicateurs de ces termes deviendront extrêmement petits, de sorte qu’on pourra aussi les négliger sans crainte d’erreur.

Par ces réductions nos équations deviendront

Les quatre premières donnent d’abord

d’où l’on tire

Comme les termes constants de la valeur de ne peuvent donner dans celle de l’angle que des termes proportionnels à et qui doivent par conséquent se fondre dans le mouvement moyen, il est clair qu’on peut les rejeter dans la détermination de la variation séculaire de sorte que cette détermination se réduira à l’équation

dans laquelle (no 2 ci-dessus)

étant l’excentricité de l’orbite de la Terre ou du Soleil. Ainsi l’on aura simplement

où il ne faudra plus que substituer la valeur de tirée de la Théorie citée.

6. Nous y avons donné deux formules, l’une pour trouver la variation annuelle de cette quantité, l’autre pour trouver sa valeur au bout d’un temps indéfini. Si et sont les valeurs de et et pour 1700, on aura, pour un nombre d’années comptées de cette époque,

pourvu que ce nombre ne soit pas trop grand. Or on a (nos et suivants

de la deuxième Partie citée)

et

les quantités étant les corrections qu’on pourrait faire aux masses que nous avons déterminées de Saturne, Jupiter, Mars, Vénus et Mercure, de manière que ces masses soient augmentées dans les raisons de à Donc, substituant pour et négligeant le terme tout constant qui ne donnerait dans qu’un terme proportionnel au mouvement moyen on aura, à cause de

cette valeur de l’équation séculaire comptée de 1700

où l’on remarquera que, comme la valeur de est exprimée en secondes, ainsi que celle de il faudra diviser l’une ou l’autre par nombre de secondes de l’arc égal au rayon. De cette manière on trouve pour l’équation séculaire du mouvement moyen de la Lune, la formule

étant le nombre des années Juliennes écoulées avant ou après l’époque de 1700.

Ainsi l’on aura pour le premier siècle, en faisant ,

Mayer l’a établie de ce qui s’accorde assez bien avec notre détermination en rejetant les corrections des masses. On voit aussi que, s’il fallait diminuer beaucoup la masse de Vénus, comme quelques Astronomes le

prétendent, l’équation séculaire en serait augmentée ; par exemple, si l’on voulait réduire cette masse à la moitié, il faudrait faire ce qui donnerait d’augmentation pour l’équation du premier siècle.

7. Quoique la formule précédente puisse servir pour plusieurs siècles sans erreur sensible, il est néanmoins important pour l’Astronomie physique d’avoir la véritable loi de cette inégalité séculaire de la Lune. On la trouvera en substituant pour sa valeur donnée par les formules du no 63 (Partie citée). Car, puisque

il n’y aura qu’à ajouter ensemble les carrés de et de en négligeant les termes tout constants par la raison donnée ci-dessus. On aura ainsi après l’intégration

en faisant toutes les combinaisons deux à deux des six coefficients ainsi que des six angles mais, comme les valeurs de sont données en secondes, il faudra, de plus, multiplier chaque terme de la formule précédente par l’angle égal au rayon, pour avoir exprimé en angles. Nous nous dispenserons de donner ici la valeur numérique de cette expression de l’équation séculaire de la Lune, parce qu’elle paraît peu nécessaire dans l’état actuel de l’Astronomie, et qu’elle est facile à trouver d’ailleurs, puisqu’on a les valeurs numériques de toutes les quantités d’où elle dépend. Peut-être serait-il utile d’avoir égard à ces équations dans la comparaison des lieux de la Lune très-éloignés, pour en déduire le vrai mouvement moyen, c’est-à-dire la partie de ce mouvement qui est

réellement uniforme, et qui dans le mouvement moyen des Tables de cette Planète est encore combinée avec la partie de l’équation séculaire qui cnoït proportionnellement au temps, tant que les angles sont peu considérables.

Enfin cette formule pourrait servir pour avoir une valeur de lus approchée que celle que nous avons donnée plus haut, en résolvant les sinus en série suivant les puissances de négligeant les termes constants, ainsi que ceux qui ne contiendraient que la première puissance de et qui sont déjà compris dans le mouvement moyen des Tables.


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  1. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 125 et 211.
  2. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 381.
  3. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 412.
  4. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 239.
  5. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 407.
  6. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 288.
  7. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 215.
  8. Œuvres de Lagrange, t. V, p. 317 et 330.