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Marane la passionnée/17

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Éditions des « Bonnes Soirées » (p. 196-205).

XVII


Le lendemain, je me réveillai, croyant rêver encore. Un soleil dansant inondait ma chambre. Le 20 mai que ce matin-là apportait semblait joyeux et plein de malice.

Mais je me souvins tout de suite que j’avais peut-être commis une bévue en me sauvant après avoir révélé à Renaud de Nadière qui j’étais. Je ne tenais pas en place. Maman me contemplait d’un air soucieux. Je commençais à comprendre combien je pouvais la tourmenter.

Je passai ma matinée à errer dans le jardin. Je rentrais pour faire quelques points à un ouvrage de couture, mais je ne pouvais supporter l’immobilité. De nouveau, je retournais dans le parc où je réfléchissais sur la conduite à tenir. J’étais moins convaincue aujourd’hui d’épouser Monsieur de Nadière. Je me demandais comment j’arriverais à conclure cette union.

Notre déjeuner fut assez mouvementé en ce sens que je sollicitais l’avis de maman et que je rejetais toutes ses suggestions. Elle me conseillait d’attendre tranquillement les événements, alors que je voulais les précipiter.

— Tu devrais inviter Mme de Nadière et son fils. Il est notre cousin par alliance.

— Je n’ai pas à faire les premiers pas. Ils me rendront visite s’ils le jugent bon.

— Tu n’es guère encourageante ! Voici un pauvre veuf qui a eu de la peine et tu ne lui offres même pas une diversion.

— Tu parles selon ta fantaisie, répliqua maman ; si ces personnes ne te plaisaient pas, tu ne serais pas aussi pressée de les voir.

— Mais c’est naturel ! Je ne veux pas perdre de temps ! J’ai conscience aussi d’avoir agi comme une étourdie vis-à-vis de M. de Nadière, et je voudrais réparer. Puis, je n’ai plus du tout de goût pour le revoir sur un roc perdu sur la côte. Je voudrais maintenant me promener avec lui dans un jardin.

— Tu dis des folies.

— Tu ne te promenais pas avec papa, avant de l’épouser ?

— Mais tu n’es pas fiancée !

— Comment veux-tu que je le devienne, si tu ne m’en donnes pas les moyens ? C’est une vraie bénédiction que ce monsieur soit venu se réfugier ici, mais encore faut-il lui montrer quelque amabilité ! Maintenant qu’il sait que Marane de Caye est une jeune fille bien élevée, il faut l’encourager. Ah ! si j’étais mère, j’en aurais des idées !

À vrai dire, maman ne put s’empêcher de rire de ma réflexion. Je n’en saisissais pas le côté comique, et je repris :

— Je trouve que si les mères avaient autant d’idées que leurs filles, le monde marcherait mieux.

Ce fut avec bonheur que je sortis de table et j’hésitai entre diverses solutions afin que ma journée ne me parût pas trop ennuyeuse, quand, en regardant dans l’allée principale, je vis un visiteur.

Je ne le reconnus pas tout d’abord, tellement la surprise me paralysa. Soudain, je poussai une sorte de rugissement qui signifiait : c’est lui !

— Qu’as-tu ? me demanda maman.

Alors, je prononçai à intelligible voix :

— C’est lui !

— Qui ?

M. Descré de Nadière !

— Oh ! jeta maman.

Elle vint près de moi et regarda s’avancer celui que j’avais nommé.

Je murmurai :

— Il vient savoir si je ne suis pas tuée. Qu’il est bon !

Je ne pus m’empêcher de courir au-devant de lui, malgré le mouvement qu’esquissa maman pour me retenir.

Quand je fus en face de M. de Nadière, il s’arrêta comme s’il était ébloui, car il clignait des yeux. Il murmura d’une voix que je ne reconnaissais pas :

— C’est vous… Marane.

Je compris alors, dans un bonheur parfait qui envahit mon cœur, sans un recoin obscur, qu’il me trouvait belle et qu’il m’aimait déjà.

Ô joie ! Je lui tendis la main et ce geste était pour moi comme un don que je lui accordais. Il la serra doucement avec une expression triste qui m’étonna.

Maman était sur les marches du perron et nous regardait. M. de Nadière en monta les degrés et s’inclina devant elle.

— Madame, je me permets de me présenter à vous, comme voisin et comme… allié. Ma femme était, ainsi que me l’a appris Mademoiselle votre fille, de votre parenté.

— En effet, Monsieur.

— Ma mère m’aurait accompagné si elle eût été là, mais son absence sera un peu longue, et je n’ai pas voulu différer le plaisir de vous apporter mes hommages. Je voulais savoir également si Mademoiselle votre fille n’avait pas eu d’accident hier en dévalant le sentier avec une vitesse que j’ai jugée imprudente.

Alors que je riais, maman disait :

— Ma fille est une casse-cou.

Je voyais qu’elle était fort satisfaite que M. de Nadière parlât de notre rencontre.

— Entrez donc, Monsieur.

Renaud la suivit dans le grand salon, et moi, derrière eux, je dansais un pas inédit dans un bonheur fou.

Dans le fauteuil que maman lui désigna, M. de Nadière décrivit les beautés du pays. Je le contemplais avec enthousiasme et je fis chorus avec lui, durant qu’il détaillait les curiosités des sites que je connaissais si bien.

Il parla non sans gaîté de sa stupéfaction en voyant Rasco et Sidra empoigner mes nattes. Il avait eu très peur, parce qu’il manquait d’habitude de ce spectacle, de voir abîmée une si belle chevelure.

J’exultais. Pendant qu’il parlait, il jetait un regard admiratif sur mes cheveux blonds, puis, l’espace d’une seconde, il posa ses yeux noisette sur mes yeux verts.

Il tressaillit alors comme un homme qui se réveille.

Maman prononça quelques mots concernant Jeanne.

— Cette pauvre enfant a été vite enlevée.

Je remarquai la pâleur de M. de Nadière. Il répondit d’une voix rauque :

— Très vite.

Je plaçai :

— Tu sais, maman, M. de Nadière a beaucoup souffert. Jeanne a été envers lui comme elle a été envers moi, sans pitié.

Ma mère était devenue rouge et Renaud semblait embarrassé.

Je poursuivis :

— Il est complètement inutile de prendre cet air décontenancé. Je dis ce qui me paraît juste.

Un sourire fugitif éclaira le visage de M. de Nadière, tandis que maman prononçait sévèrement :

— Une jeune fille ne doit pas s’exprimer aussi librement. De plus, il faut avoir de l’indulgence pour ceux qui ne sont plus et ne peuvent se défendre.

— C’est entendu, répliquai-je d’un ton lassé, mais il faut de la justice en tout. M. de Nadière a été malheureux, je le répète, et il mérite d’avoir une femme meilleure pour l’avenir.

— Marane !

C’était ma mère qui poussait ce cri de stupeur, d’indignation tout ensemble.

Quant à Renaud de Nadière, il restait figé sur son siège, comme un homme mécanique.

Avant que je pusse reprendre la parole, il disait :

— Je ne me remarierai pas !

Je sautai sur mes pieds. Il me semblait que le toit s’écroulait sur ma tête.

Je criai, hors de moi :

— Vous ne vous remarierez pas ? Vous le savez ! Il faut que vous deveniez heureux.

— Marane, ne dis pas un mot non plus ! m’ordonna maman avec force.

— Je défends mon bonheur ! répliquai-je, sans savoir ce que je disais.

Ma détresse devait être attendrissante.

— Monsieur, veuillez l’excuser, prononça ma mère avec autant de dignité que d’humiliation.

Sa fille lui causait d’embarrassants soucis.

M. de Nadière murmura :

— Oh ! Madame, Mlle Marane m’enchante et me bouleverse.

Sa voix était rauque comme si elle roulait des sanglots. Je sentais plus que jamais que j’étais créée pour le consoler. Toute cette scène était venue magiquement.

Je criai avec emportement :

— Pourquoi ne voulez-vous pas vous marier ?

— Je ne le puis, articula-t-il.

Je crus que je m’évanouissais. Je me ressaisis en un effort violent :

— Pourquoi ?

M. de Nadière hésita, puis il dit :

— Je crois être cause de la mort de ma femme.

— Oh ! cria maman.

Elle me regarda en frissonnant. J’étais calme, mais un feu cuisant brûlait mes joies.

— Racontez ! demandai-je à Renaud.

— Voici. Jeanne était de caractère compliqué, ensorcelante, cruelle, avec des éclairs de repentir, des railleries, des ironies, qui vous martyrisaient.

— Je les revis ! murmurai-je.

— J’ai pâti horriblement de ces sautes d’humeur, si contraires à ma façon d’être. Je ne rêvais que calme et bonheur. J’étais un esclave torturé. Un jour, je partis en voyage. Jeanne m’écrivit une lettre où ses regrets s’exhalaient. Je m’étais laissé prendre tant de fois que je me refusai à croire au sérieux de ces nouveaux serments. Je continuai le voyage que j’effectuais. À mon retour, Jeanne était morte. Elle avait dansé, était partie pour une croisière, me laissant une lettre injurieuse. Avait-elle voulu secouer son ennui et m’aimait-elle malgré tout ? Mystère. La fièvre l’avait tout de suite plongée dans le délire et les mots qu’elle proférait n’avaient aucun sens, m’a assuré la garde. Et j’ai des remords qui me poursuivent. Peut-être n’ai-je pas été assez patient.

M. de Nadière s’arrêta. Maman avait un visage décomposé. Ses mains, sur ses genoux, tremblaient légèrement.

Elle commença :

— Marane aussi…

Je dis vivement :

— Vous n’avez rien à vous reprocher ! Jeanne n’a tenu compte ni de vos avertissements, ni de vos prières. Elle se moquait de votre amour. Je sais combien elle était dure. Son cœur n’existait pas et…

— Aie de l’indulgence ! supplia maman, sois charitable.

Puis, s’adressant à notre visiteur, elle poursuivit :

— J’estime, comme Marane, que vous n’avez aucun tort vis-à-vis de la pauvre Jeanne. Il ne faut pas exagérer les scrupules.

Je criai soudain :

— Moi aussi, j’ai cru être coupable ! Maman s’est imaginé que j’avais tué quelqu’un : notre régisseur.

Ma mère s’était levée comme si un ressort l’eût lancée hors de son fauteuil, tandis que M. de Nadière me regardait presque avec terreur.

— Marane, je t’en supplie ! implora maman.

Elle voulait m’interdire de parler, alors que, quelques minutes auparavant, sa bouche s’était ouverte, j’en avais eu l’intuition pour affirmer mes remords.

M. de Nadière disait :

— Je sais Madame, que votre régisseur s’est noyé dans votre propriété.

— Oui. Monsieur, répondit maman d’une voix mourante.

— Et comme je détestais Chanteux et que j’ai été contente de sa disparition de ce monde, maman m’a soupçonnée. Vous voyez que j’ai, ainsi que vous, un crime supposé dans ma conscience.

J’arborais un air triomphant parce que j’étais enchantée de ressembler à Renaud.

— Comment cet accident est-il arrivé ? questionna Renaud, en s’adressant à ma mère.

— Je l’ignore, répondit-elle.

— Moi seule le sais, intervins-je gravement, moi… et un autre.

— Un autre ? s’écria maman, agitée.

— Tu vas tout savoir.

Maman retomba presque évanouie sur son siège en soupirant.

Comme l’avait fait M. de Nadière, je débutai par :

— Voici : Un jour, je me promenais dans le parc avec mes chiens, cherchant des prises de vues pour notre petit cinéma, quand j’aperçus deux hommes qui se battaient : c’étaient Chanteux et… l’autre. Ce dernier, père de sept enfants, avait été menacé de renvoi parce qu’il était trop honnête et qu’il ne voulait pas souscrire à certains pots-de-vin, qui constituaient le bénéfice de notre estimable régisseur. La bataille se passait au bord de la pièce d’eau. Au lieu d’appeler quelqu’un, je les filmai.

— Oh ! Marane.

— Et j’ai eu raison, maman. Chanteux glissa et tomba. J’avais lutté avec ma conscience pour ne pas le souhaiter.

— Malheureuse ! cria maman, et tu n’as pas essayé de le repêcher, toi qui nages si bien ?

Maman tournait dans le salon comme une démente.

— Sois calme, ma petite maman ! En même temps que lui, l’autre disparut dans l’eau. Ils faisaient corps. Je courus et mes chiens accomplirent leur office en ramenant les deux hommes sur la berge. Chanteux, frappé de congestion, était mort. Nous avons tout fait, Lucas et moi, pour…

— C’était Lucas ?

— Oui, maman. Pour le ramener à la vie, nous avons tout employé. Lucas était si désespéré par cet accident qu’il m’a demandé le secret. Il craignait d’être accusé parce qu’on le savait menacé par Chanteux. On aurait insinué qu’il s’était vengé. Les paysans ont peur de la police. Je n’ai donc rien dit, pas même à toi, maman, parce que ce secret n’était pas le mien. C’était celui d’un père de famille, insulté dans son honnêteté et qui avait besoin de ses bras pour assurer le pain de ses enfants.

Maman pleurait et elle s’écria :

— Ma fille ! Ma fille ! J’ai douté de toi !

— Je le sais, ripostai-je dignement, mais j’ai fait tout mon devoir, jusqu’à tirer sur la langue de ce misérable Chanteux, afin de le sauver de l’asphyxie. Cette langue méprisable qui nous calomniait ! Et tu m’as dit que je ne pardonnais pas à mes ennemis ! Juste ciel ! J’ai cherché, de toute mon humaine fraternité, à arracher de la mort cet homme qui voulait t’épouser !

Ma mère cachait son visage.

Renaud de Nadière nous contemplait et devinait le drame que nous avions vécu. Et il ne savait pas la tentative de corruption exercée sur Évariste.

Je m’étais tue pendant quelques secondes, puis je repris :

— J’ai eu tort, sans aucun doute, de trouver de haute justice la mort de Chanteux, mais je ne pousserai pas le remords jusqu’à sacrifier ma vie. Je suis toute prête à essayer de contribuer au bonheur d’un mari.

Mon allusion était sans détours.

Renaud de Nadière sourit et il allait parler quand maman me demanda :

— Pourquoi t’obstinais-tu donc à ne plus remplir tes devoirs religieux ?

— Une confession me gênait, avouais-je franchement, parce qu’il me fallait parler d’un autre à qui j’avais promis le secret. Nous nous étions concertés pour qu’il ne fût pas inquiété. Il est parti vivement de son côté et moi du mien, après avoir laissé Chanteux sur le bord de l’eau dans la position d’un être qui a voulu se raccrocher aux herbes. Quand les vêtements de Lucas furent secs, il est revenu d’une façon détournée avec des compagnons qui ont aperçu Chanteux. Tu sais tout le reste. Avant de m’approcher d’une table de communion, je voulais montrer ma bande de film à M. le curé.

M. de Nadière me regardait avec une curiosité grave. Il dit à maman :

— Votre fille possède un courage surhumain et une âme d’une loyauté émouvante.

Ces paroles me causèrent un bien merveilleux. Bien que ma conscience fût légère, il me sembla pourtant qu’elle s’allégeait encore.

Maman était violemment émue :

— Je suis bien soulagée par ton aveu, me dit-elle, je suis persuadée aujourd’hui que la Providence nous gardait en nous préservant tous de Chanteux. Je n’entends plus que plaintes contre lui ; sa cruauté était indiscutable. Je ne suis pas étonnée de cette lutte entre lui et Lucas.

— Lucas a été provoqué. Le régisseur lui a annoncé son renvoi, et, comme il voulait venir te trouver, Chanteux a ricané en lui donnant un coup en plein visage. Il en porte encore la trace. Dame ! Lucas lui a rendu son coup, d’où bataille. J’ai d’ailleurs, vu toute la scène.

— C’est merveilleux de présence d’esprit ! s’exclama Renaud, mais quel monstre que ce Chanteux !

Et maman avoua enfin :

— C’était une épouvante ; je n’osais rien dire, je patientais. Quand cet accident survint, je n’eus pas le courage de Marane, je trouvais coupable de me réjouir de sa disparition. J’avais vu ma fille tellement scandalisée et exaspérée par la conduite de Chanteux, que j’avais eu une peur mortelle de ses représailles.

Je plaignais ma pauvre maman du fond de mon cœur, mais je ne voulus pas que cet entretien restât tragique. Cependant, je dis encore :

— Maintenant, je me sens plus forte. J’irai trouver M. le curé, qui nous conseillera sur la conduite à tenir. Le film sera à la disposition de la Justice. L’essentiel est que Lucas ne soit pas inquiété.

— Puisque les preuves sont là… intervint Renaud.

Cette assurance me satisfit.

Maintenant, je désirais du bonheur, et, du moment que j’étais en face de celui que j’aimais, il fallait en profiter.

J’ajoutai donc :

— Tout est fini de ces tristesses. Il s’agit de vivre en joie. Nous sommes en sécurité maintenant, le doyen de nos fermiers est extraordinaire d’entendement.

Renaud me contemplait et je crus distinguer de l’admiration dans son regard. Je lui souris.

À ce moment, Jeannic vint demander Mme la comtesse pour une affaire urgente. J’eus un mouvement de satisfaction. Pour l’accord de deux cœurs, il vaut mieux qu’il n’y ait pas de tiers. C’était, du moins, ma théorie.

Maman sortit en s’excusant. Elle avait un air légèrement ennuyé, mais je ne m’en souciai pas.

Je dis tout de suite à M. de Nadière :

— Voulez-vous visiter les jardins et le parc ?

Il se leva avec un empressement que je jugeai de bon augure.

Je devins vaine subitement et je pensai qu’un homme jeune pouvait être heureux de se promener avec une jeune fille blonde aux yeux verts. La coquetterie s’implantait chez moi.

Je franchis le seuil la première. Derrière moi venait Renaud, et je sentais son regard sur ma chevelure soyeuse.

J’attendis qu’il fût à mon côté et je lui souris encore. Je sentais que je souriais gracieusement, avec la nuance qu’il fallait. Le sourire demande du tact et je ne voulais pas commettre d’erreur. Puis, je contemplai la nature devant nous. Nous étions en haut du perron. Notre beau jardin se dessinait devant nos yeux. Les fleurs ruisselaient de couleurs diverses sous les rayons solaires.

Pendant une minute, je ne pensai plus à Renaud, mais seulement au paysage, aux arbres, aux oiseaux, au ciel si bleu. La mer, au loin, ronronnait.

Je me retournai vers Renaud et je prononçai des paroles banales :

— C’est beau… L’heure est ensorcelante… Vivre dans un cadre simple dans sa grandeur, vivre seulement en face de la nature, équivaut au plus grand bonheur que l’on puisse désirer.

Et Renaud me répondit :

— Oui. mais il faut un cœur à côté de soi qui vous comprenne.

Je penchai la tête dans une joie inoubliable, parce que c’étaient bien les mots que je voulais entendre.

Ensuite, je regardai Renaud, et j’étais sûre que mes yeux scintillaient.

Il murmura de nouveau :

— Marane, voulez-vous comprendre mon cœur ?

Il me prit la main et la baisa.

À ma grande surprise, je fus incapable de riposter. L’émotion nouait ma gorge. Je voulais parler, mais ne le pouvais.

La crainte qui passa dans ses yeux me rendit la voix et je criai :

— Ah ! Renaud ! c’est le plus clair jour de ma vie !

Nos mains s’enlacèrent spontanément et nous descendîmes les marches du perron d’un même pas.

À cet instant, maman survint et nous appela.

Sans dénouer nos mains, nous nous retournâmes. Sans doute, nos visages parlèrent-ils pour nous, parce que maman dit :

— Je suis certaine, Monsieur, que vous avez quelque chose à me demander ?

— Oui, Madame, j’ai l’honneur de solliciter la main de Mademoiselle votre fille.


— Rasco ! Sidra ! venez, bons chiens !

Pourquoi, pour la première fois de leur vie, mes chiens ne prirent-ils pas mes nattes ?

Ils regardaient celui qui allait devenir mon seigneur et maître, et ils jugeaient, dans leur bon sens, qu’ils n’avaient, eux, plus besoin de me garder.


fin