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Mes souvenirs (Stern)/Deuxième partie/VI

La bibliothèque libre.
Daniel Stern ()
Calmann Lévy, éditeurs (Bibliothèque contemporaine) (p. 323-336).




VI


L’hôtel de Mailly. — Pendant les journées de juillet. — « Il y avait une fois un roi et une reine. » 



Mais je reviens à l’année 1830. Mon frère, comme je l’ai dit, ayant quitté Paris le jour même de son mariage, mon mari étant en Bourgogne pour la vente d’une forêt qu’il avait près de Chagny, la vicomtesse d’Agoult à Vichy avec la Dauphine, nous nous trouvions seules, ma mère et moi, dans l’appartement que nous occupions ensemble rue de Beaune, lorsque parurent au Moniteur — 26 juillet 1830 — les fameuses ordonnances.

Ma mère avait quitté la place Vendôme afin de pouvoir demeurer avec moi. Nous nous étions partagé le rez-de-chaussée de l’ancien hôtel de Mailly[1] où mon frère venait aussi de louer un étage, de sorte que nous allions y être tous réunis. L’hôtel de Mailly était une fort belle demeure avec cour, avant-cour et arrière-cour, étages très-élevés, ayant vue sur le pont Royal, le palais et le jardin des Tuileries, grand jardin dont la terrasse longeait et dominait le quai Malaquais. L’ombre des vieux marronniers donnait bien quelque fraîcheur à notre rez-de-chaussée, mais l’usage des calorifères, récemment importé de Russie, en ôtait l’humidité. Le chant des merles et des autres oiseaux qui nichaient en multitude dans les bosquets du jardin, les lierres qui tapissaient les murs, les touffes écarlates du géranium sur les vases de la terrasse, le parfum des fleurs de toute sorte dont on émaillait les plates-bandes avaient, à mes yeux, un charme singulièrement mêlé de tristesse et de douceur. C’est de ce lieu agréable que j’ai vu passer la première des révolutions à laquelle j’ai pu comprendre quelque chose. C’est sur cette terrasse du quai Malaquais que, assises, ma mère et moi, dans la matinée du 26 juillet, nous apprîmes, par des amis, la nouvelle du Moniteur. Nous en fûmes fort troublées. On pensait que des protestations violentes allaient se produire à Paris et dans les départements, et nous appréhendions de nous voir séparés les uns des autres sans pouvoir peut-être nous rejoindre. Ces craintes, quant à mon frère, furent bientôt dissipées. Le 27 au matin, non sans quelques difficultés, il rentrait dans Paris, tout abasourdi de ce qui se passait, n’en ayant rien su, rien pu soupçonner dans le silence toujours souriant de son chef. À peine nous eut-il embrassées, que Maurice courut au ministère des affaires étrangères.

M. de Polignac était à Saint-Cloud. Ce fut l’un des directeurs, M. de Vielcastel, notre ami, qui dit à mon frère, avec beaucoup de tristesse, ce qu’il savait, ce qu’il redoutait : la baisse effrayante des fonds publics, l’agitation populaire, la protestation des journalistes, l’incertitude où l’on était quant aux mesures prises pour réprimer les désordres, etc.

Revenu vers une heure à l’hôtel de la rue des Capucines, mon frère y trouva cette fois son chef. En rentrant au ministère, la voiture du prince de Polignac avait été accueillie à coups de pierres ; il avait été hué, mais il n’en semblait guère ému. Il reçut Maurice le sourire aux lèvres, comme d’habitude. Il eut même, en lui parlant, un petit accent goguenard, comme se réjouissant d’avoir été si secret, si profond, si homme d’État. Il lui apprit qu’il venait de signer l’ordonnance qui confiait au maréchal Marmont le commandement supérieur des troupes ; puis, en lui serrant la main avec une affection paternelle : « Allez rassurer votre femme et votre mère, lui dit le ministre ; il n’y a plus rien à craindre, toutes nos mesures sont prises. Je n’ai plus besoin de vous ici, ajouta-t-il, le conseil va se réunir aux Tuileries. Rentrez chez vous tranquillement ; quand il y aura quelque chose à faire pour vous, je vous ferai avertir. »

Et comme mon frère essayait de lui faire entrevoir ses doutes touchant la facilité de la répression, le sourire du prince prit une expression compatissante, mystérieuse, illuminée, qui ne permettait plus que le silence. Mon frère revint à la maison moins rassuré et moins rassurant que son chef. Sur son chemin, il avait vu beaucoup de choses qui n’étaient point en accord avec la sécurité du ministre : les groupes populaires, de plus en plus nombreux, agités, où l’on proférait des menaces, des cris « à bas Polignac ! » ; une fermentation qui, loin de s’apaiser sur le passage des troupes, semblait les provoquer au combat. En entrant dans le salon de ma mère, où plusieurs de nos amis ultraroyalistes se réjouissaient bruyamment de « la bonne raclée » qu’allaient recevoir les révolutionnaires, il nous fit part de ses impressions et nous apprit la nomination du maréchal. On lit une exclamation de surpise et de mécontentement : — « Raguse ! un homme si peu sûr, à la tête des troupes ! ce n’était pas possible ; il y avait quelque chose là-dessous ! » — El l’on se dispersa pour aller aux nouvelles.

La chaleur était accablante. J’allai dans le jardin chercher un peu d’ombre et de fraîcheur. Ceux de nos amis qui n’étaient pas sortis vinrent avec moi. Nous nous assîmes sous les marronniers. La conversation bruyante avait fait place à de rares propos, inquiets et tristes.

Il était environ cinq heures. Tout à coup un bruit sourd et lointain, un bruit inaccoutumé, frappe mon oreille : « Qu’est cela, m’écriai-je ? » et je me levai pour courir vers la terrasse. On me retint. « C’est un bruit d’armes à feu, dit l’un de nos amis. — C’est un feu de peloton, dit un autre. — Pauvres gens ! m’écriai-je, pensant aux hommes du peuple sur qui l’on tirait sans doute.

Nos amis me regardèrent d’un air stupéfait. — « Les pauvres gens, madame ! mais ce sont d’infâmes gueux, qui veulent tout saccager, tout piller !… » Je m’étonnai à mon tour. Sur ces entrefaites, mon frère, étant allé à la découverte, nous apprit que, rue des Pyramides, un détachement d’infanterie venait de faire feu sur un attroupement qui n’avait pas ohéi aux sommations ; un homme, disait-on, était tombé. Les autres avaient pris la fuite, en criant : « aux armes ! »

Ma mère, très-alarmée, craignant pour le lendemain une bataille des rues, proposa de me faire partir pour Bruxelles — j’étais dans un état de grossesse très-avancée. — Mon frère l’en dissuada, méjugeant beaucoup moins exposée à Paris que partout ailleurs.

Pendant que nous délibérions ainsi, les troupes se déployaient dans les rues ; la garde, la ligne, les suisses, la cavalerie, l’artillerie prenaient position sur la place Louis XV, au Carrousel, sur la place Vendôme, sur les boulevards. Dans le même temps, des barricades s’élevaient de tous côtés. Chose incroyable, disait-on, le peuple criait : « vive la ligne », et la ligne hésitait à tirer sur le peuple ! Vers le soir, les rumeurs devinrent plus inquiétantes encore. Nos amis, nos voisins, nos gens, tout effarés, entraient et sortaient, chacun avec sa nouvelle sinistre. C’était l’heure où le duc de Raguse, dans son rapport au conseil, déclarait que la tranquillité était rétablie.

De toute la nuit, je ne pus fermer l’œil ; notre quartier était silencieux pourtant, mais ce silence avait quelque chose de lugubre. De grand matin, je me levai. À peine habillée, je courus au jardin. Ma mère était là déjà, interrogeant un de nos amis qui apportait les bruits du dehors. C’était le même qui, la veille, s’était réjoui si haut de la « bonne raclée » qu’allaient recevoir les émeutiers. Il ne se réjouissait plus ; il parlait bas maintenant ; il était pâle. Partout, sur son chemin, il avait vu les écussons, les enseignes aux aunes royales, les panonceaux fleurdelisés des notaires ôtés ou brisés. Vers dix heures, mon frère alla au ministère. Il revint au bout d’une heure, n’ayant pas vu M. de Polignac, qui était à Saint-Cloud. On assurait dans les bureaux que l’état de siège allait être proclamé. Il n’y avait plus de temps à perdre, disait-on ; l’émeute gagnait du terrain. Le peuple avait abattu le drapeau blanc et hissé le drapeau tricolore à l’hôtel-de-ville ; on ne criait plus seulement : « À bas les ministres ! » mais : « à bas les Bourbons ! Vive Napoléon III ! Vive la République ! » Comme Maurice en était là de son récit, nous entendîmes tout à coup sonner le tocsin. Je ne connaissais pas plus ce bruit-là que celui des décharges. On m’expliqua ce qu’il signifiait ; au frisson qui courut dans mes veines, je sentis pour la première fois le souffle des révolutions.

Vers une heure de l’après-midi, les nouvelles qui nous vinrent avaient un autre accent. Nos amrs étaient rassurés. L’état de siège était proclamé ; Foucauld (le vicomte de Foucauld, colonel de gendarmerie) avait l’ordre d’arrêter Lafayette, Laffitte, Mauguin, Salverte, etc. Quatre colonnes de troupes commandées par Talon, Saint-Chamans, Quinsonnas et Wall, étaient en marche pour arrêter l’insurrection. Le canon allait balayer les rues.

Mon cœur se serra, je ne saurais trop dire sous l’empire de quels sentiments. Je n’avais aucune peur personnelle. Je ne songeais pas aux princes, je ne faisais assurément pas de vœux pour l’insurrection, dont je ne connaissais ni le but ni les chefs, mais j’étais émue d’une grande pitié à la pensée de ceux qui allaient mourir, et, sans bien savoir ce qu’il voulait, je ne pouvais me défendre d’une chrétienne sympathie pour le courage et le malheur du peuple.

La paix régnait encore autour de nous, aucune lutte n’était engagée sur la rive gauche. On n’y avait pas élevé de barricades. Nous passâmes la journée du mercredi 28 sans apprendre grand’chose. Les bruits étaient confus et contradictoires. Où était le roi ? Où était le prince de Polignac ? Que faisait le maréchal ? On ne savait trop. À six heures du soir, en nous mettant à table, nous apprîmes par des amis de M. de Vitrolles que celui-ci allait et venait incessamment de Paris à Saint-Cloud, de Saint-Cloud à Paris, pour arracher au roi quelques concessions et les faire agréer des insurgés. Tout allait mal, nous dirent-ils ; l’insurrection était partout victorieuse. Le maréchal demandait du renfort et n’en pouvait obtenir !…

Quant aux desseins des libéraux, quant à ce qui se passait dans les réunions publiques, nous demeurions dans une ignorance complète.

On ne parlait pas chez nous du duc d’Orléans. L’absence de la Dauphine et de la vicomtesse d’Agoult nous laissait sans nouvelles directes des princes, et nous en étions réduits aux conjectures. Une longue nuit se passa encore dans cet état. Le lendemain jeudi 29, notre quartier s’agitait ; des colonnes d’étudiants et d’ouvriers, parties de l’Odéon, assaillant les postes. s’avançaient par lesquaiset la rue du Bac, vers le Louvre et les Tuileries. Nous entendions le canon et la fusillade ; l’attaque du Louvre commençait. Les gardes-suisses postés sous la colonnade, aux fenêtres du palais, sous le guichet qui fait face à l’Institut, repoussaient les combattants qui menaçaient de passer le pont des Arts ; on ne me permettait plus d’aller sur la terrasse. Des fenêtres du pavillon de Flore et de la caserne du quai d’Orsay, on tirait contre le pont Royal, où les insurgés essayaient de construire une barricade et de planter leur drapeau.

Des bruits de tous genres et des plus sinistres nous arrivaient d’heure en heure : Marmont trahit ; deux régiments de ligne ont passé à l’insurrection ; un armistice est proclamé, etc. Des fenêtres du second étage, nous voyons un spectacle inouï : le jardin des Tuileries rempli de troupes qui fuient en désordre ; des soldats qui sautent par les croisées du rez-de-chaussée et se précipitent par la grande allée du milieu vers le pont tournant ; des cris, des clameurs, des carreaux brisés avec fracas, des meubles jetés par les croisées, un bruit de mer orageuse ; le drapeau tricolore enfin, hissé sur le pavillon de l’Horloge ; la monarchie en déroute[2] !

Dans la soirée qui suit ces scènes incroyables, les royalistes se forgent des chimères plus incroyables encore. Selon les uns, Marmont a trahi, mais Bourmont est en route ; il arrive. Avec lui, le Dauphin marche sur Paris. Déjà l’on conseille à ma mère de faire ses approvisionnements en cas de siège ; selon d’autres, plus raisonnables, M. de Polignac se retire ; M. de Mortemart est nommé président du conseil et va tout arranger.

Le lendemain au matin — vendredi 30 — on lit sur toutes les murailles des placards invitant le peuple français à donner la couronne au duc d’Orléans. Les nouvelles se précisent et se précipitent. Coup sur coup, on apprend que le Dauphin remplace le duc de Raguse dans le commandement des troupes ; que le roi a quitté Saint-Cloud, Trianon ; qu’il part pour Rambouillet ; qu’il y est rejoint par la Dauphine ; qu’il retire les ordonnances ; qu’il nomme le duc d’Orléans lieutenant-général du royaume ; qu’il abdique ; que le Dauphin abdique, etc.

Cependant les jours s’écoulent. La session a été ouverte par le duc d’Orléans — 3 août. — On s’inquiète, dans Paris, de savoir le roi si proche, à la trie de troupes nombreuses et fidèles. On se porte tumultuairement, en armes, sur Rambouillet ; quand la multitude y arrive, le drapeau tricolore flotte sur le château. Les princes l’ont quitté. On se félicite ; on a hâte de rapporter à Paris la bonne nouvelle ; on s’empare des fourgons, des carrosses de la cour ; on monte dedans, dessus, derrière. Sous le fouet des cochers improvisés, les beaux chevaux des écuries royales franchissent ventre à terre la distance de Rambouillet à Paris. De ma fenêtre, je vois passer au galop ce bizarre cortège. On ne savait ce que c’était. Ces attelages somptueux couverts de poussière et d’écume, ces hommes en blouses, en vestes, en uniformes d’emprunt, coiffés de képis, de bonnets à poil, de casquettes, armés de carabines, de sabres, de piques, avinés, enroués, chantant, hurlant à tue-tête, quelques-uns couchés, endormis sur les coussins de satin blanc ! Jamais je n’oublierai ce grotesque grandiose !

L’aspect de Paris était désolé. Au tumulte de l’émeute, au bruit des charges de cavalerie, aux roulements des tambours, au son du canon et du tocsin, suc cédait soudain un silence morne. Les rues dépavées, les réverbères brisés, les boutiques fermées, et, quand venait le soir, les lampions des bivouacs populaires, toutes ces choses, avec l’incertitude qui planait au-dessus de nous, nous jetaient en grande tristesse.

Enfin toute incertitude se dissipa.

Une royauté disparaissait, une autre prenait sa place[3]. Le 9 août, je vis de ma terrasse passer dans une voiture découverte Louis-Philippe et sa famille. Ils revenaient du Palais-Bourbon, où les deux chambres avaient proclamé le roi des Français.

« Il y avait une fois un roi et une reine, » dis-je à la marquise de Bonnay qui regardait avec moi le modeste cortège royal. Elle sourit ; nous avions toutes deux la même impression. Cette royauté qui passait nous faisait un peu l’effet d’un conte. Nous ne la prenions pas au sérieux. Elle n’avait à nos yeux ni consécration ni prestige. De notre point de vue chrétien, selon nos idées de famille, elle était la triste récompense d’une triste félonie. Je me rappelais le mot de la vicomtesse d’Agoult : « Je n’aime pas ces gens-là. » Je pensai qu’elle avait raison[4].

Cependant nous apprîmes que la famille royale avait quitté la France, et que la vicomtesse d’Agoult, malgré son âge, malgré les instances de la Dauphine qui ne voulait pas accepter ce nouveau et définitif sacrifice de toutes ses affections, de toutes ses habitudes, refusait de quitter sa royale amie et reprenait avec elle le dur chemin de l’exil. De retour à Paris, mon mari prenait sa retraite. Il s’y croyait obligé d’honneur, bien que personnellement il n’eût point d’attaches aux princes de la branche aînée. Né en 1790, d’un père qui n’émigra point, il était entré à dix-sept ans au service, et avait fait toutes les campagnes de l’empire, en Allemagne, en Pologne, en Espagne, jusques et y compris la campagne de 1814. Il avait été grièvement blessé d’un coup de feu au combat de Nangis, en faisant à la tête de son régiment, une charge de cavalerie contre un carré d’infanterie russe, et il en restait boiteux. En fait de souverain, M. d’Agoult ne connaissait que Napoléon, en fait de régime, que l’empire militaire. Comme toute sa génération, et malgré ses origines, il ignorait les princes exilés. En 1814, il fut tout surpris d’apprendre par son oncle, l’évêque de Pamiers, que Buonaparte était un usurpateur ; qu’il y avait un roi légitime qui se nommait Louis XVIII ; que la fille de Louis XVI vivait encore; qu’elle avait eu pour ami, pour compagnon d’exil, qu’elle ramenait avec elle le frère de l’évêque, l’oncle de mon mari, le vicomte d’Agoult.

Présenté par l’évêque à ces parents ignorés, M. d’Agoult fut accueilli d’abord par eux avec une certaine réserve. Cette blessure reçue en combattant les alliés qui ramenaient nos princes, cette croix de la légion d’honneur, bien que jointe à la croix de Saint-Louis, et toutes deux gagnées, non par faveur, mais sur les champs de bataille, n’étaient pas une recommandation : peu à peu cependant le nuage se dissipa, les relations devinrent extrêmement cordiales. On tâcha d’entamer les préventions de la Dauphine. On l’intéressa même à la jeunesse, égarée, mais restée pure, au fond, de ce bon royaliste. J’ai raconté comment la princesse avait voulu me voir et m’avait donné l’espoir d’une survivance auprès d’elle. Mais là se borna l’effet de ses bonnes grâces.

Mon mari, en continuant de servir, par amour du métier des armes, ni ne demanda ni n’obtint jamais la moindre faveur et ne s’attacha jamais non plus personnellement à aucun des princes. Quant à moi, je reçus, comme on l’imagine, après la révolution, une infinité de condoléances au sujet de la dignité que je perdais. « On l’a mise sur les genoux de la Dauphine », avait-on dit, lors de mon mariage, dans le faubourg Saint-Germain. On m’estimait fort à plaindre d’en être ainsi arrachée. Je n’entrais pas trop dans ces regrets, ne me sentant pas très-propre aux fonctions qu’on m’avait destinées ; et cependant, malgré l’accueil gracieux que j’avais reçu au Palais-Royal, je n’allai point au palais des Tuileries.

À peu de temps de là, j’achetai du prince de La Trémoïlle le château de Croissy, j’y passai la plus grande partie de l’année, et j’eus bientôt oublié la cour et les princes.

  1. Cet hôtel, situé rue de Beaune, à l’angle du quai Malaquais, avait appartenu au xviiie siècle au marquis de Nesles, de la famille de Mailly. Il n’existe plus.
  2. Dans le Journal d’un poëte, publié en 1867, je lis quelques notes curieuses d’Alfred de Vigny, écrites, comme les miennes, à l’heure même des événements : « Vendredi 30. Pas un prince n’a paru. Les pauvres braves de la garde sont abandonnés sans ordres, sans pain depuis deux jours, traqués partout et se battant toujours. — Ô guerre civile, ces obstinés dévots t’ont amenée ! »
  3. « 10 août. Couronnement de Louis-Philippe Ier. Cérémonie grave. — C’est un couronnement protestant. — Il convient à un pouvoir qui n’a plus rien de mystique, dit le Globe. J’y trouve le défaut radical que le trône ne s’appuie ai sur l’appel au peuple ni sur le droit de légitimité ; il est sans appui. » (Alfred de Vigny, — Journal d’un poète.)
  4. Mes opinions en se formant peu à peu me firent, plus tard considérer la révolution de 1830 d’un autre œil et sous un autre aspect ; mais elles ne me ramenèrent poiut à cette opinion que la quasi-légitimité de la royauté bourgeoise tait la forme définitive et parfaite du gouvernement qui seul convenait à la démocratie française.