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Millionnaire malgré lui/p1/ch10

La bibliothèque libre.
Combet et Cie Éditeurs (p. 130-140).

X

LE PRINCE DE TOURS


Les horloges de la gare Montparnasse marquaient à peu près huit heures. Les rues, embuées par la nuit, se piquaient des feux des réverbères et des devantures des magasins.

À quelques minutes d’intervalle, trois voitures pénétrèrent successivement dans la cour couverte du départ.

La première était une modeste voiture de place. Mariole et Tiennette, gais, bruyants, hilares, en descendirent. Leurs valises à la main, ils gagnèrent les salles d’attente, passèrent devant le guichet des billets sans s’y arrêter et parvinrent sur les quais.

L’ex-gardien de la paix et la gentille modiste choisirent un compartiment de première, s’y installèrent comme des gens d’importance ayant un long voyage à effectuer.

— En route pour la Rochelle-La Pallice, fit joyeusement Tiennette en sautant dans le compartiment.

— Chut ! chut ! maugréa son père…, pas tant de bruit. Si Prince nous découvrait ici, tu sais ce qu’a dit le Milord jeté sur notre chemin par une bonne étoile : Adieu les pièces d’or… Adieu le magasin à l’instar de Paris.

Bien gentiment, la modiste se blottit dans un coin, en personne qui s’incline devant un raisonnement sans réplique.

— Ah ! voilà les Américains !

Cette exclamation, de Mariole amena dans toute la personne de sa fille un frétillement curieux.

Sur le quai, au milieu d’un groupe d’employés chargés d’ombrelles, cannes, sacs à main, cartons minuscules, s’avançaient trois personnes.

Celles-ci venaient de descendre de la seconde voiture signalée dans la cour du départ, un superbe landau attelé de deux chevaux de prix.

— Les voyageurs : un homme, deux femmes, approchaient ; lui, grave, flegmatique, important ; elles, causant avec animation.

Il pouvait avoir cinquante ans, trapu, haut en couleur, sa robuste personne emprisonnée dans un complet de couleur indécise. Dans la salle d’attente, il avait avisé un surveillant et lui avait dit ces seuls mots :

— Ézéchiel Topee, Manitoba… ; wagon spécial.

Mots magiques qui avaient communiqué au fonctionnaire un empressement… épileptique.

Et comme ce dernier rassemblait des facteurs, des porteurs, le gentleman canadien, dont le nom, prononcé souvent par les feuilles quotidiennes, signifiait « milliardaire, roi du cuivre », etc., etc., le gentleman avisa la femme de chambre Nelly, de mise très simple et très élégante, qui semblait attendre à quelques pas.

— Ah ! vous voilà, Nelly.

— Tout est préparé droitement.

— Je m’en rapporte à vous. Veuillez donc aider miss Laura ; elle a tant et tant de petits paquets qu’elle n’en sortira pas toute seule.

La camériste s’inclina et rejoignit la jeune milliardaire, qui l’accueillit par des cris de joie.

— Ah ! Nelly, arrive donc, ma bonne… ; je te réclamais avec impatience… ; distribue mes colis, car vraiment c’est un travail au-dessus de mes forces.

Mignonne, potelée, souriante, agitée, se montrait miss Laura Topee. Blonde, charmante, pas aristocratique du tout, mais délicieuse quand même, elle était la vivante antithèse de sa fille de chambre, et les mauvaises langues, — Il s’en rencontre partout, — ne manquaient point de remarquer que si Laura possédait la fortune, Nelly, elle, en avait l’allure.

Celle-ci s’empressa de déférer au désir de sa jeune maîtresse, tout en lui disant en anglais, sans doute pour que les facteurs ne comprissent pas l’admonestation :

— Je vous ai déjà priée, miss, de ne pas me tutoyer. Cela est du plus mauvais genre.

Mais Laura éclata de rire.

— Oh ! tes leçons de maintien, c’était bon au Canada ; à présent que je suis venue à Paris, ça ne prend plus… Les Parisiennes sont au moins aussi mal élevées que moi, et comme Paris donné le ton au monde… désormais, c’est moi qui vais te dresser en liberté.

La jeune Américaine s’interrompit. Nelly secouait dédaigneusement la tête.

— Tu refuses ?

— Et avec raison, miss. Vous êtes fabuleusement riche ; chacun de vos mouvements fait flamber des rayons d’or ; on ne vous voit que dans un éblouissement. Moi, je suis dépourvue de cette auréole, on peut me regarder sans cligner des yeux, et me juger par suite plus sévèrement.

— Eh bien, est-ce fait ? demanda le roi du cuivre en se rapprochant.

— Oui.

— Alors, en route !

C’est ainsi que Mariole et Tiennette, du fond de leur compartiment, virent passer les milliardaires et leur escorte d’employés.

Tiennette murmura :

— Est-ce beau d’être riche comme ça !

Ce à quoi Athanase répondit philosophiquement :

— Ne te plains pas, fifille. Ce serait de l’ingratitude, au moment où un homme de bien nous paie un petit voyage en Amérique.

Penchée à la portière, la modiste regardait avec envie le groupe dont les Américains occupaient le centre. Soudain, elle se rejeta en arrière :

— Lui !

Sans doute, ce monosyllabe avait une signification pour Mariole, car il se pencha et coula un coup d’œil prudent sur le quai.

Un jeune homme brun, l’œil bleu très doux, la moustache fine, vêtu simplement, mais faisant valoir sa mise par une élégance native, passa à son tour devant le compartiment. À la main, il portait une légère valise de cuir jaune, et près de lui marchait un facteur chargé d’une caisse vert foncé, sur laquelle se détachaient, en lettres blanches, ces mots :

Prince de Tours
Québec, via La Pallice.
Ce voyageur, descendu de la troisième voiture dans la cour du départ, ne soupçonnait pas que sa vue pût motiver une émotion quelconque des passagers du train.

Il se hâtait en homme qui arrive juste à l’heure et craint de rester en arrière.

Cependant Tiennette disait en sourdine :

— Tu as vu l’inscription sur sa caisse… Si le Milord n’est pas content…

Ce qui provoqua chez Athanase un accès de fou rire, au milieu duquel il parvint à répondre :

— Il le sera, ma chère, il le sera…, et il le mérite, car c’est la Providence des touristes.

Mais cela n’était rien auprès de l’émoi provoqué par le personnage à la valise jaune dans le wagon spécial des riches Canadiens.

Laura Topee, qui s’installait à grand bruit, interrompit brusquement ses dispositions pour désigner l’inconnu, en disant d’un ton impossible à rendre :

— Oh ! père, posez vos yeux sur la caisse de ce gentleman.

— Je fais ainsi, chère Laura.

— Voyez… un prince…

— Je vois… et de Tours encore… un prince de la Loire, la région des châteaux historiques.

— Et qui se rend à Québec.

— Comme nous-mêmes.

— Sur le même paquebot probablement…

Elle n’ajouta pas un seul mot, mais se laissant choir sur la banquette, elle se prit à réfléchir profondément.

Celui qui eût pu surprendre les paroles qu’elle murmurait en elle-même, eût perçu ceci :

— Il a dit vrai, le masque de l’ambassade chinoise… Le Prince de Tours. Ah ! j’ai eu du mal à décider papa… il voulait encore rester à Paris… et alors, adieu la rencontre avec ce prince, ce joli prince je puis bien m’avouer que je le trouve joli, et très distingué… Oh ! il faut qu’il m’ait en affection pour oublier que je ne suis pas de sang royal… : il m’affectionnera, je ferai tout le possible pour cela. Certainement je le ferai.

Elle tressaillit, arrachée à ses réflexions.

La machine venait de lancer dans l’air un sifflement aigu, prolongé, dont vibrait le hall vitré de la gare.

Une légère secousse indiqua que le train se mettait en marche, et, à une vitesse uniformément accélérée, le convoi laissa bientôt loin derrière lui les bâtiments de la Terminus-Ouest, rive gauche, dénomination technique de la station monumentale établie au boulevard Montparnasse, dans l’axe de la rue de Rennes.

Celui qui venait de motiver ces singulières conversations s’était modestement installé dans un compartiment de deuxième classe.

Sa valise soigneusement couchée dans le filet, il s’était accoté en face, dans un coin. Ses yeux grands ouverts regardaient sans voir, et une teinte de mélancolie obscurcissait son visage aimable. Il était seul, circonstance favorable pour le rêve, et il rêvait.

Soudain, sa vue fut sollicitée par deux lignes d’écriture noire, que la lanterne du wagon éclairait. Elles s’étalaient sur le fond jaune de sa valise et figuraient l’inscription relevée naguère sur la caisse actuellement aux bagages :

Prince de Tours
Québec, via La Pallice.

Le voyageur eut un sourire.

— Satané Athanase ! murmura-t-il. Il a la rage de m’anoblir ! Voilà qu’ici encore il a oublié la virgule. Écrit ainsi, on croirait que je suis un prince prétendant, prince de Tours, descendant direct des Bourbons-Valois-Orléans. Pauvre prince que M. Prince, représentant de la maison Bonnard et Cie, de Tours : vinaigres, pruneaux, condiments, vins et liqueurs. Voilà la première fois que je comprends bien l’importance de ce petit signe que l’on dénomme « virgule ». Qu’on le mette entre Prince et de Tours, ou qu’on ne le mette pas, quelle différence dans le sens ! Quelle différence dans la position !

Ces réflexions paraîtront singulières de la part d’un voyageur de commerce ordinaire. En général, les membres de cette honorable corporation sont des gens pratiques, tout à l’action, pour lesquels la philosophie manque de charme.

Mais ainsi que M. Kozets l’avait fort nettement indiqué dans son rapport, Albert Prince était un poète, un philosophe, et l’occupation commerciale n’était point suffisante pour le distraire de la préoccupation idéale.

Il monologua tant et si bien qu’il s’endormit.

Un arrêt brusque le réveilla.

Il se souleva, considéra d’un œil ensommeillé le hall d’une gare, l’horloge qui marquait quatre heures trente-trois. Il sursauta au passage du conducteur du train, courant le long du convoi, en lançant d’une voix blanche, comme automatique :

— Niort… dix-sept minutes d’arrêt… buffet !

— Allons, murmura-t-il, un café va me remettre d’aplomb !

Sur ce, il saisit sa valise, marmonna :

— Il ne faut pas tenter les voleurs.

Et sauta sur le quai.

Deux minutes plus tard, sous la clarté blafarde du jour à son début, il était attablé au buffet, un bol de « noir » devant lui, avec croissants et beurre.

Mais, là, il eut l’impression étrange d’être le point de mire de la curiosité de plusieurs voyageurs. À sa droite, s’étaient installés deux hommes qui lui étaient totalement inconnus : l’un jeune, vingt ans à peine, d’une beauté hindoue ou orientale ; l’autre, pâle de teint, de cheveux, de prunelles. Ceux-ci dégustaient des tasses de chocolat.

À gauche, Ézéchiel Topee et Laura prenaient du thé, avec œufs sur le plat et sandwiches ; tandis qu’à une table voisine, Nelly Bonestone absorbait rêveusement un café au lait, dans lequel elle trempait du bout des doigts des rôties beurrées. Mais qu’ils fussent voués au chocolat, thé ou café crème, les convives avaient les yeux fixés sur Prince.

— Il paraît que je les intéresse, se confia celui-ci en aparté.

Puis, avec un vague sourire :

— Après cela, la bêtise humaine est d’un usage facile, même en voyage.

Qu’eût-il dit s’il avait pu deviner qu’à ce moment, dans le train on s’occupait aussi de lui ? Son ami Mariole, dont il ne soupçonnait pas la présence, l’avait guetté, et, après l’avoir vu disparaître dans le buffet, avait sauté sur le quai, en disant à Tiennette :

— Reste là, il ne faut pas qu’il nous voie avant l’arrivée à La Pallice.

— Je reste, papa. Mais j’accepterais bien un café en attendant.

— Entendu… je ne descends pas pour autre chose.

Et plus légèrement que l’on ne l’eût attendu de son âge apparent, Athanase courut à un gamin du buffet, poussant devant lui une voiturette, et lui commanda café, pains beurrés.

Un instant plus tard, tous deux buvaient le liquide noir, que les buffets décorent du nom de café, et la portière refermée, les rideaux tirés, comme si le wagon était un temple consacré au sommeil, tout en grignotant des tartines, ils coulèrent un regard par des interstices perfidement ménagés. Ils surveillaient l’entrée du buffet.

Deux minutes s’étaient à peine écoulées que Prince se montrait, regagnant placidement son compartiment.

À dix pas en arrière, Topee, Laura et Nelly apparurent, le dévorant littéralement des yeux.

— Eh ! eh ! grommela l’ex-agent, je crois que les Américains ont mordu à l’hameçon. Foi de pêcheur, nous aurons de la malchance, si nous ne les ferrons pas.

Mais il s’interrompit.

Les buveurs de chocolat se montraient à leur tour. Pour ceux-ci, Mariole esquissa un sourire :

— Tiennette ! le patron !

Et faisant signe à sa fille de regarder :

— Tu vois bien celui qui l’accompagne ?

Il désignait Kozets, marchant auprès de Dodekhan.

— Oui, papa.

— Eh bien, c’est un policier, sûr. J’ai appartenu trop longtemps à la Préfecture pour m’y tromper.

— Oh ! oh ! le « Milord » se défierait de nous ?

— C’est son droit, ma chère… Il paie, donc il peut contrôler.

— Alors ?…

— Il s’agit de marcher droit, d’exécuter à la lettre les instructions de celui qui nous couvre d’or. Jusqu’à présent, j’ai obéi méticuleusement. Il consulta son carnet et lut à mi-voix.

— « Inscrire sur les bagages la mention ordinaire adoptée par notre voyageur : Prince, de Tours ; mais supprimer la virgule, — je l’ai supprimée. — Prendre sans qu’il s’en doute le même train que lui, — nous y sommes.

Il s’interrompit :

— Avant d’aller plus loin, je voulais te faire une recommandation, ma Tiennette. Obéir est bien, se taire est parfait. Oublie que tu es jeune fille, c’est-à-dire bavarde.

Noblement, Tiennette étendit la main dans l’attitude classique du serment :

— Je serai muette comme une carpe.

— Oh ! le mutisme n’est pas nécessaire. Il suffit seulement de dire des choses utiles.

Courant le long du train, les employés fermaient les portières avec bruit, glapissant d’une voix monotone :

— Messieurs les voyageurs, en voiture !

Les différents acteurs du drame s’empressèrent de reprendre leurs places, et, la locomotive sifflant, le convoi se remit en marche.


il se hâtait en homme qui arrive juste à l’heure.

À six heures du matin, on entrait en gare de La Rochelle, puis par la petite voie de raccordement de La Pallice, on atteignait cette dernière station à six heures vingt-quatre.

Alors, à la grande joie de Mariole, trois filatures successives se dessinèrent sur le quai.

Ézéchiel Topee et sa fille filaient Prince.

Athanase, doublé de Tiennette, suivait les Américains. Enfin, Dodekhan, avec Kozets à son côté, marchait dans les traces de ces derniers.

La course des voyageurs vers la tente des paquebots se marque. Les agiles prennent la tête, les éclopés restent en queue. C’est une théorie de gens affairés le long des quais.

Parmi les premiers, Prince atteint le Canadian. Il se présente à la coupée.

— Prince, de Tours, deuxième classe, cabine 22.

— En deuxième classe, le prince ! murmure derrière lui une petite voix mutine.

Si vite qu’il ait marché, les Américains n’ont pas été distancés. Laissant Nelly s’occuper des bagages, Laura a entraîné son père. En vain celui-ci, soufflant, époumonné, n’a cessé de gémir :

— Laura, cette allure me coupe la respiration, par l’orteil de Satan ! (By Satans toe !)

La gentille enfant gâtée s’est bornée à répliquer :

— C’est exprès, papa ; les affaires vous éloignent trop des sports ; je rectifie cela.

Et, de fait, elle a si bien rectifié, qu’Ézéchiel est cramoisi, et que sa respiration haletante soulève sa poitrine et son abdomen ainsi que des montagnes en proie à une convulsion volcanique.

— Le prince, en deuxième classe ! répète Laura d’un ton mélancolique.

— Bon, riposte Topee s’épongeant le front. Un prince, pas riche… ce sera moins cher d’achat.

— Oh ! n’oubliez pas que c’est votre fille qui achète, et qu’elle doit à votre honneur de roi du cuivre de se montrer généreuse.

Ézéchiel a un large rire. Il enfonce ses mains chargées de bagues dans ses poches, bombe l’estomac en une rotondité satisfaite.

— Vous avez raison, ma gazelle aux pruneaux, tout à fait raison. La fille du roi du cuivre doit acheter un prince tout en or. Dorez-le donc à votre guise, cela n’est rien pour moi.

Cependant, Prince a disparu. Rien ne l’a averti qu’une jolie voix parlait de sa personne. Il a gagné sa cabine, choisi sa couchette, disposé ses colis. Puis, ces divers soins pris, il remonte sur le pont.
Prince a disposé ses colis dans sa cabine.

— Un tour au télégraphe, murmure-t-il, pour annoncer à Bonnard et Cie mon arrivée ici.

Sur ce, il regagna le quai, frôla au passage Laura, sans voir les doux yeux de l’Américaine, et d’un pas accéléré reprit le chemin de la gare. Il était absorbé, ce brave Prince, car il ne reconnut pas Mariole, lequel, Tiennette pendue à son bras, arrivait sans se presser et eut tout juste le temps de se dissimuler derrière un amoncellement de colis.

Mariole se frotta les mains.

Parfait !… Il nous laisse le champ libre ; nous pourrons nous installer sans craindre d’être surpris par lui.

Il n’acheva pas.

Une main venait de se poser sur son épaule. Se retournant, l’ex-gardien de la paix se trouva face à face avec Dodekhan et son inséparable compagnon Kozets.

Il salua militairement, rectifia la position, attendant les ordres.

— Montez à bord et venez me rejoindre dans ma cabine.

— Bien.

— L’affaire est engagée ; mais le plus difficile nous reste à faire.

— Le plus difficile ? répétèrent d’une même voix Tiennette et son père.

— Sans doute !… Nous avons à décider Albert Prince à jouer son rôle dans l’aventure.

Tiennette devint grave.

— Aïe ! Aïe ! murmura-t-elle.

— Cela vous paraît difficile, mademoiselle ? demanda le Turkmène.

— Difficile, ah ! monsieur, dites : impossible… En dehors de lui, tout ce que vous voudrez… Mais s’il doit agir, jamais il ne consentira.

— Vous croyez ?

Elle affirma énergiquement du geste.

— Albert, voyez-vous, est un honnête homme, un vrai. Si on lui dit que nous avons rêvé de lui faire faire un beau mariage avec des millions, et que pour cela nous… mentons comme des… dentistes, il refusera net… Nous, c’est autre chose, nous l’aimons beaucoup. Vous nous avez affirmé que vous vous intéressiez à son bonheur… Vous nous comblez de cadeaux, etc… Bref, nous marchons dans le sens que vous indiquez… ; mais lui, lui, il voudra savoir le pourquoi, le parce que de votre intérêt… Il sera bien, plus curieux que nous…

— Eh ! interrompit le jeune homme sans rien perdre de son calme, ainsi que je vous l’ai déclaré, je ne pourrai m’expliquer que le jour où le mariage sera décidé. Avant cela, je veux porter seul le poids d’un secret, dont la divulgation rendrait impossible le bonheur que j’ai rêvé pour ces deux jeunes gens : Albert, Laura.

— Alors, j’ai bien peur.

— Oh fi ! Une Parisienne qui tremble !…

— Ah ! je ne demanderais qu’à avoir confiance.

— En ce cas, accompagnez monsieur votre père dans ma cabine, et je vous dirai ce qu’il faut faire, pour que ce brave garçon s’embarque en un imbroglio, d’où il ne sortira plus qu’avec notre permission.

Dodekhan s’inclina et se dirigea avec Kozets vers la passerelle.

Tout en marchant, il monologuait :

— Il paraît que mon… frère adoptif est un tout à fait brave garçon… Tant mieux ! Je n’aurai que plus de plaisir à exécuter la suprême volonté de la « Française » !