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Mon berceau/Les Agents de change

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Bellier (p. 335-339).

LES AGENTS DE CHANGE


ABUS CRIANTS DU MONOPOLE — PROTESTATIONS DE LA COULISSE — LA LIBERTÉ, S. V. P.

Je suis désolé d’être obligé de revenir encore une fois sur cette étrange question des agents de change. Comme je l’ai déjà constaté, ces messieurs entassent illégalités sur illégalités, et l’on croirait qu’ils n’ont d’autre souci que de provoquer eux-mêmes la suppression de leur monopole.

On sait que la Compagnie des agents de change de Paris publie, depuis qu’elle existe, un bulletin officiel quotidien — sauf les dimanches et fêtes légales, bien entendu — du cours des valeurs, sous le titre de : Cours authentique.

Depuis quelque temps, c’est-à-dire depuis qu’elle a jeté le masque et qu’elle a transformé en guerre ouverte sa guerre sourde contre la coulisse, autrement dit contre le marché libre, elle s’est mise à publier trois cotes ou cours distincts :

1o Le Cours authentique quotidien (cote officielle) ;

2o La Cote hebdomadaire ;

3o Le Bulletin de la cote, deuxième partie, cours authentique des valeurs ne figurant pas à la cote officielle.

Ces deuxième et troisième cours ou cotes enregistrent simplement les cours de toutes les valeurs que les agents de change, en vertu de leur monopole, ont jugé bon d’enlever à la coulisse, c’est-à-dire à peu près toutes les valeurs ordinairement négociées par cette dernière.

On trouve dans la cote hebdomadaire des cours qui remontent à plusieurs années ; c’est pitoyable, mais enfin c’est toujours le droit des agents de change de renseigner aussi mal que possible le public, en vertu du fameux monopole ; n’insistons pas.

Inutile d’ajouter que la clientèle continue à donner en grande partie ses ordres aux coulissiers, pour tout ce qui concerne le marché en banque, certaine qu’elle est d’être infiniment mieux servie et éclairée sur le marché libre.

In caudâ venenum ; tout cela n’est rien à côté de ce qui suit. Écoutez bien, car c’est absolument inimaginable : à la dernière page du supplément ou cours authentique, c’est-à-dire sur la cote no 3, subrepticement, sous le titre anodin de renseignements, la Compagnie des agents de change de Paris se permet d’indiquer, en deux colonnes, les valeurs demandées à la bourse de ce jour, les valeurs offertes à la bourse de ce jour !

Pardon, mais je croyais que les agents de change étaient des officiers ministériels, je croyais qu’ils jouissaient d’un monopole, mais alors s’ils offrent ainsi de la marchandise, comme un épicier ou un camelot, ce ne sont plus des officiers ministériels, ce sont de simples coulissiers.

Vous voyez d’ici la manœuvre, elle est simple, on offre presque toujours des valeurs qui ont été lancées, émises, patronnées par le marché libre et les meilleures valeurs, du fait qu’elles sont offertes, peuvent en éprouver un grave préjudice dans l’esprit du public.

Vous trouvez pêle-mêle le Wharf de Cotonou à 500, les Biscuits Olibet à 850 ; les Eaux de la Bourboule à 530 ; la Production du froid à 620, dans une promiscuité aussi redoutable que préméditée avec l’Obligation Morelli à 9,25 et le Pavage en bois à 3,50.

C’est navrant, c’est désastreux pour les bonnes valeurs qui se trouvent ainsi accolées avec du papier perdu, comme des gens sains avec des pestiférés.

C’est plus, c’est odieux, et si l’on ne connaissait depuis longtemps l’honorabilité légendaire de MM. les agents de change, si l’on ne savait que ceux qui prétendent que les parquets tout entiers de Lyon et de Marseille ont sauté au dernier krach de 1882, sont d’infâmes calomniateurs, si l’on ne savait que jamais, au grand jamais, aucun agent de change ne s’est permis de toucher à la Bourse pour son compte et d’y jouer, s’il n’était pas de notoriété publique, enfin, qu’ils sont comme la femme de César, on serait peut-être en droit de se demander à quel mobile secret et louche ils obéissent, en étalant ces offres sous la fallacieuse rubrique de renseignements.

Et qu’on ne vienne pas dire que l’offre et la demande existent de même pendant les séances quotidiennes de la Bourse ; là elles sont impersonnelles, inconnues du public et les agents seuls, en vertu du secret professionnel, ont mission d’exécuter les ordres reçus, mais ils n’ont pas mission, ils ne sauraient avoir mission d’étaler ces ordres, de les livrer à la publicité, de les imprimer dans leurs feuilles ; ce serait là, à coup sûr, une interprétation abusive et intolérable du privilège, déjà assez monstrueux par lui-même, qui leur est conservé si malencontreusement.

Puisque MM. les agents de change sont toujours à cheval sur l’article 76 du Code de commerce, puisqu’ils sont si fiers d’être des officiers ministériels, M. le ministre compétent ferait bien, sans doute, de les rappeler à la stricte observance du fameux article 76 précité ; cela les empêcherait de descendre au rang de misérables brocanteurs de papiers, de titres, cela les empêcherait d’être soupçonnés de se livrer à de noirs calculs, à de sombres complots contre le marché libre : le public ordinaire de la Bourse, avide de sécurité et de garanties, applaudirait des deux mains, n’en doutez pas, à l’attitude énergique du ministre soucieux, avant tout, de faire respecter la loi, toute la loi, aussi bien par MM. les agents de change que par le premier citoyen venu.

La conclusion sera toujours la même : la suppression pure et simple du monopole des agents de change s’impose plus impérieusement que jamais. L’opinion publique la demande, la veut et l’exigera.