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Morceaux choisis (Lévy-Bruhl)/Chapitre V

La bibliothèque libre.
Gallimard (p. 102-128).

CHAPITRE V

LES SORCIERS

Les sorciers causent la maladie et la mort.

Dans un grand nombre de sociétés primitives, en présence d’une maladie grave ou d’une mort, la mauvaise influence à laquelle on pense tout de suite, si ce n’est pas la colère d’un ancêtre, est à coup sûr l’action d’un sorcier. Aux yeux des Australiens, par exemple, la mort n’était jamais « naturelle ». Mais la maladie grave ne l’était pas non plus. Comment aurait-elle pu l’être ? Il aurait fallu qu’ils eussent une idée, plus ou moins rudimentaire, mais enfin quelque idée des fonctions de l’organisme et de ce qui peut les interrompre ou les troubler. Or ils n’en avaient aucune. La maladie, comme la mort, ne pouvait donc être que l’effet d’une cause « surnaturelle », c’est-à-dire d’un ensorcellement. « Les Bassoutos emploient un même mot pour exprimer la maladie et la mort… Pour dire qu’ils ont mal à la tête, par exemple, ils disent qu’ils sont « mangés par la tête ». De même pour les autres souffrances on est « mangé par une dent, mangé par les intestins, mangé par les oreilles », expressions caractéristiques qui impliquent que la douleur du corps donne l’impression qu’on est rongé par quelque chose de malfaisant, et dont on a hâte d’être débarrassé[1]. »

(S. N., page 168.)

Toute mort est un assassinat.

Quand les observateurs rapportent que les indigènes « sont incapables de concevoir la mort comme résultant de causes naturelles », cette formule comprend deux assertions qu’il n’est pas inutile de distinguer.

La première veut dire que la cause de la mort, comme celle des maladies, est toujours représentée comme mystique ; mais pourrait-il en être autrement ? Si toute maladie est le fait d’une « influence spirituelle », d’une « force », d’un « esprit », d’une « âme », qui agit sur le patient, ou qui le possède, comment n’attribuerait-on pas la même cause à l’issue fatale de cette maladie ? Ce qui serait tout à fait inexplicable, ce serait que la mentalité prélogique eût l’idée de ce que nous appelons « mort naturelle ». Ce serait une représentation unique, sans analogue parmi les autres. Il faudrait que, par une exception incompréhensible, le phénomène le plus impressionnant et le plus mystérieux peut-être eût été, seul entre tous, dégagé de l’enveloppe mystique où les autres sont encore enfermés.

La seconde assertion, distincte de la première, implique que la mort n’est jamais due à des causes naturelles, parce qu’elle est toujours violente, en d’autres termes, parce qu’elle est toujours un meurtre, un assassinat, voulu, prémédité et accompli par une certaine personne, au moyen de pratiques magiques. De là les effroyables procès de sorcellerie, si fréquents, en Afrique surtout, et dont les observateurs nous ont tracé des tableaux si frappants. M. Nassau y voit même une des causes de la dépopulation du continent noir. Nulle part, cependant, cette croyance ne s’étend à toute mort sans exception. On n’institue pas de procès de ce genre au sujet de la mort des enfants en bas âge, des esclaves, et en général des personnes sans importance. On ne fait de recherches qu’à propos des morts suspectes, et de défunts qui valent qu’on s’en occupe. Ce qui est vrai, c’est que dans ces sociétés il y a infiniment plus de morts suspectes que dans les nôtres. D’une part, la pratique de la magie y est courante. Tout le monde en use plus ou moins. Personne ne peut s’en passer, ni n’en a l’idée chacun est donc plus ou moins disposé à soupçonner son voisin de pratiquer à l’occasion une magie criminelle, et chacun est à son tour l’objet de ce même soupçon. D’autre part, la représentation même que tous ont de la maladie et de la mort, toujours dues à des influences mystérieuses, conduit facilement à penser que la mort a été violente, en ce sens que ces forces ont dû être mises en mouvement par une volonté ennemie.

De là vient que souvent, dans les sociétés inférieures, les morts les plus « naturelles » à nos yeux, étant rapportées à des causes mystiques, sont considérées comme violentes, au mépris de ce qui semble l’évidence la plus formelle. C’est un point sur lequel s’accuse avec force la différence entre nos habitudes mentales et celles qui régissent les représentations collectives dans ces sociétés. Ainsi, dans le détroit de Torrès, « la mort par suite d’une morsure de serpent est généralement considérée comme due à ce que le serpent a été influencé par un sorcier[2] ».

(F. M., pages 323-325.)

Pouvoirs des sorciers.

Innombrables sont les maléfices que peut employer le sorcier. S’il a condamné (doomed) un individu, tantôt il s’emparera de quelque chose qui lui a appartenu, et qui, par participation, est lui-même (par exemple, de ses cheveux, de ses rognures d’ongles, de ses excréments, de son urine, de la trace de ses pas, de son ombre, de son image, de son nom, etc.) et, par certaines pratiques magiques exercées sur cette partie de son individu, il le fera périr. Tantôt il fera couler son canot, rater son fusil. Tantôt, il le dépècera la nuit, pendant son sommeil, et lui volera son principe vital en enlevant la graisse de ses reins. Tantôt il le « livrera » à une bête féroce, à un serpent ou à un ennemi. Tantôt il le fera écraser par un arbre ou une pierre qui se détachera sur son passage, — et ainsi de suite à l’infini. Au besoin, le sorcier se métamorphosera lui-même en animal. Nous avons vu qu’en Afrique Équatoriale les crocodiles qui enlèvent des victimes humaines ne sont jamais des animaux ordinaires, mais bien les instruments dociles des sorciers, ou même des crocodiles-sorciers. À la Guyane anglaise, « un jaguar qui montre une audace inaccoutumée en s’approchant des hommes paralysera souvent un chasseur, même brave, à la pensée que ce peut être un tigre-Kanaïma ». Ce tigre, se dit l’Indien, si ce n’est qu’une bête fauve ordinaire, je puis le tuer avec une balle ou une flèche, mais que vais-je devenir si j’attaque le tueur d’hommes, le terrible Kanaïma ?

(M. P., page 53.)

Morts-vivants.

En diverses régions, beaucoup de récits nous parlent de gens qui sont morts et qui sont revenus à la vie, et même d’autres qui, tout en ayant l’air d’être encore vivants, sont en réalité des morts. Un sorcier les a tués. Il juge avantageux pour lui de leur rendre l’apparence de la vie, pour un temps plus ou moins long. Rien n’a d’abord changé en eux, bien qu’il leur ait enlevé une appartenance essentielle, sans laquelle ils ne pourront continuer longtemps à vivre, c’est-à-dire qu’il ait, selon l’expression courante, « mangé leur âme ». En fait, ils sont déjà morts, mais leur entourage, et souvent eux-mêmes ne s’en aperçoivent pas. Ce sont là, pour ainsi dire, des morts à retardement.

Par exemple, dans le sud du Queensland, au témoignage d’un ancien observateur, « la mort est toujours causée par un turrwan (docteur) d’une autre tribu. Quand un homme meurt, les indigènes pensent qu’il avait été tué quelque temps auparavant, sans que personne, pas même lui, l’ait su. Étrange croyance, en vérité ! Ils pensent qu’il a été tué avec un kundri et mis en morceaux, puis que ces morceaux ont été de nouveau réunis. Plus tard, l’homme meurt d’un refroidissement, ou peut-être il est tué dans un combat. On ne s’en prend jamais à celui qui lui porte le coup mortel. « Cet homme devait mourir, voyez-vous ! » (c’est-à-dire, il avait été déjà « condamné » ou même tué, sans qu’on l’ait vu, par un sorcier). Mais on met cette mort au compte d’un homme d’une autre tribu, qui en est le véritable auteur[3]. »

Chez les Toradja’s, « quand un loup-garou, sous sa forme animale, s’approche d’un homme, celui-ci se sent envahi par un sommeil irrésistible. Arrivé tout près de sa victime, le loup-garou reprend la forme humaine (cependant son corps est resté dans sa maison). La victime est tombée en syncope. Alors le loup-garou la dépèce en de nombreux morceaux. Il lui ouvre le ventre, en retire le foie, et le mange. Ensuite il refait le corps, il le referme, et il le lèche avec sa longue langue. L’homme est alors redevenu tel qu’auparavant. Il ne sait pas ce qui lui est arrivé[4]. »

Pour comprendre ces représentations si étranges, où la mentalité primitive ne voit rien d’extraordinaire, il faut écarter le sens que nous donnons au mot « mort », et tâcher d’entrer dans le sien. La mort n’est pas, pour elle, la rupture irréparable qui retranche à jamais l’individu du monde des vivants, puisque son corps retourne à la poussière, tandis que l’âme subsiste seule, spirituelle et immortelle. Il s’agit seulement d’une modification brusque et profonde de l’individu, qui ne l’empêche pas de continuer à exister, malgré la décomposition du corps. Ainsi « meurent » les jeunes gens au cours des épreuves de l’initiation, pour renaître bientôt après : c’est une mutation mystique de leur individualité. De même, à un certain moment de l’initiation des medicine-men chez les Aranda, les candidats sont mis à mort, et leur corps vidé de ses organes. Puis ils sont rappelés à la vie, et pourvus d’organes neufs : autre mutation mystique, qui en a fait des sortes de surhommes. C’est en ce même sens qu’il faut entendre que des sorciers font « mourir », puis revivre, leurs victimes.

Souvent, dans ces cas de mort larvée, la vie apparente est précaire. Le sorcier a voulu que l’homme ne tardât pas à mourir réellement. Souvent aussi, pour s’assurer un profit personnel, il a simplement cherché à transformer l’individualité de sa victime. M. Junod a décrit ce fait avec précision « Leur objet peut être, non pas de tuer leurs victimes, mais de les employer comme serviteurs, pour labourer leurs champs, couper leur bois, etc. »

(A. P., pages 340-342.)

Morts-esclaves.

Le sorcier peut faire que la mort reste larvée. Parfois même il se rend maître de morts qu’il n’a pas lui-même tués. Il les fait sortir de leur tombe pour se les approprier. « Chez les Anang, au nord de Ndiya (Nigeria du Sud), une superstition étrange prévaut. On assure que les gens se rendent aux tombes des nouveau-morts, et font un sacrifice pour s’assurer l’aide d’esprits malins. Ensuite, ils frappent la tombe avec une tige de bananier l’arbre de la vie en Afrique en appelant, à chaque coup, le cadavre par son nom, et à la fin le mort, dit-on, sort de son tombeau. Aussitôt les sorciers l’enchaînent, et le vendent au loin comme esclave[5]. »

(A. P., pages 345-346.)

Hommes-crocodiles et hommes-tigres.

Si l’on cherche à préciser comment les indigènes se représentent les rapports du sorcier et de l’animal, on se heurte à une difficulté à peu près insurmontable. Leur pensée n’a pas les mêmes exigences logiques que la nôtre. Elle est régie, en ce cas comme en beaucoup d’autres, par la loi de participation. Il s’établit entre le sorcier et le crocodile une relation telle que le sorcier devient le crocodile, sans cependant se confondre avec lui. Du point de vue du principe de contradiction, il faut de deux choses l’une : ou que le sorcier et l’animal ne fassent qu’un, ou qu’ils soient deux êtres distincts. Mais la mentalité prélogique s’accommode des deux affirmations à la fois. Les observateurs sentent bien ce caractère de la participation, mais ils n’ont pas le moyen de l’exprimer. Ils insistent tantôt sur l’identité, tantôt sur la distinction des deux êtres : la confusion même de leur langage est significative. Ainsi, « on attribue aux balogi (sorciers) le pouvoir de métempsychoser les morts dans un serpent, un crocodile, etc. Cette métempsychose s’effectue le plus ordinairement dans le crocodile ; aussi ce monstre, sans être un dieu, ni même un esprit, est-il respecté et craint. Il ne fait qu’un avec la personne qui a opéré le changement ; il y a pour ainsi dire, entre eux deux, un pacte secret, et une entente intelligente. Elle lui ordonnera d’aller saisir un tel, et il ira et ne se trompera pas… Ce que nous venons de dire explique pourquoi, après que quelqu’un a été enlevé par un crocodile, on recherche toujours, en premier lieu, le mulogi qui a dépêché le monstre, et l’on trouve toujours un coupable. Son sort est vite réglé[6]. » Chez les Bangala, « jamais un crocodile ne ferait cela (renverser un canot pour enlever l’homme), s’il n’en avait reçu l’ordre d’un moloki (sorcier), ou si le moloki n’était entré dans l’animal pour commettre le crime[7]) ». Le missionnaire envisage donc les deux hypothèses séparément, tandis qu’aux yeux des indigènes, d’une façon d’ailleurs incompréhensible pour nous, elles n’en font qu’une.

Au Gabon, « la superstition de l’homme-tigre, dit un excellent observateur, M. Le Testu, n’est pas moins obscure que celle de l’envoûtement. Elle se présente sous deux formes. Dans un cas, le tigre (entendez : léopard ou panthère), le tigre auteur du crime est un animal véritable appartenant à un individu, lui obéissant, exécutant ses ordres ; ce tigre passe à ses héritiers comme un autre bien mobilier. Un tel, dit-on, a un tigre. Dans l’autre cas, l’animal n’est qu’une incarnation, en quelque sorte ; on ne sait même pas bien si c’est un homme qui a pris figure de bête, la bête n’étant alors qu’une apparence, ou bien s’il y a eu une incarnation proprement dite d’un homme dans un animal véritable… L’idée que les indigènes se forment de l’homme-tigre est extrêmement obscure[8]. »

Voici le récit d’un indigène, de sa propre bouche : « Peut-être, pendant que le soleil est au-dessus de l’horizon, êtes-vous en train de boire du vin de palme avec un homme, sans savoir qu’un esprit malin est en lui (lui-même peut l’ignorer). Le soir, vous entendez le cri de Nkole, Nkole ! (crocodile), et vous savez qu’un de ces monstres, à l’affût dans l’eau boueuse près de la rive, a happé une pauvre victime qui venait puiser de l’eau. La nuit, vous êtes réveillé par des gloussements de terreur dans votre poulailler, et vous vous apercevez au matin que votre provision de volailles a sérieusement diminué à la suite de la visite d’un muntula (chat sauvage). Eh bien ! l’homme avec qui vous buviez du vin de palme, le crocodile qui a enlevé un villageois imprudent, le petit voleur de vos poules ne sont qu’un seul individu, possédé par un esprit malin[9]. » La participation est ici très clairement suggérée. Il suffit à l’indigène qu’il la sente réelle, sans qu’il se pose la question de savoir comment elle se réalise.

(M. P., pages 42-44.)

Animaux « fabriqués » par sorcellerie.

Parfois la magie peut être assez puissante pour produire elle-même l’être vivant qui exécutera l’œuvre du sorcier. À l’île Kiwai, une « première » femme, négligée par son mari pour une rivale, veut se venger de lui. « Elle fit le modèle d’un crocodile, et le plaça dans le fleuve Maubo-tiri, en lui disant : « Sivaré va venir : tu le prendras. Il n’y a pas d’autre homme par ici, il n’y a que Sivaré ; tu le prendras. » Elle rentra chez elle, et s’assit pour guetter sur la vérandah. Sivaré se para de tous ses ornements de guerre et, saisissant ses armes, se dirigea vers un autre village. En passant le gué, il fut pris par le crocodile qui l’entraîna sous l’eau et l’enfonça au fond dans un trou[10]. »

(A. P., pages 219-220.)

Dans un autre conte Kiwai, deux hommes, Wée et Dobasi, qui ont à se plaindre des autres habitants de leur village, veulent se venger. Ils décident de fabriquer deux rats qui gâteront les noix de coco. Ils les font d’abord d’une espèce de bois tendre, mais les dents de ces rats ne sont pas assez fortes ; elles se brisent. Ensuite, ils emploient la sorte de bois qu’il faut, et ils réussissent mieux.

« Ils se montrent à une grande fête qui avait lieu ce soir-là. Pendant que les gens dansent, Wée et Dobasi se rendent furtivement au bois de cocotiers, et ils se glissent dans les deux rats de bois. Ils font un trou, en la rongeant, dans chacune des noix mises en réserve dans la brousse. Quand ils en ont fini avec elles, ils vont dans les maisons faire subir le même traitement aux noix que l’on y conserve. Ensuite, ils ramassent des fourmis, et par les trous ils les introduisent dans les noix. Elles dévorent ce qui y reste de chair.

« On s’aperçoit du dégât… Les gens sont furieux ; hommes et femmes prennent leurs armes, cernent la maison de Wée et de Dobasi, et en forcent la porte pour attaquer ces deux hommes. Mais ils s’étaient transformés en rats, et ils étaient sur leurs gardes… Ils sautent sur la tête et les épaules d’un homme. On leur lance des flèches ; elles n’atteignent que lui. Ils sautent alors sur un autre, qui est tué à son tour, et ainsi de suite[11]. »

Ce conte est particulièrement suggestif. Il nous fait un peu mieux comprendre ce que les primitifs ont dans l’esprit lorsqu’ils parlent d’animaux « créés » ou fabriqués. Les deux Papous, décidés à se venger de leurs voisins, fabriquent deux rats en bois. Mais ils ne donnent pas à ces animaux, avec la vie, l’ordre d’aller ronger et gâter les noix de coco qui appartiennent au village. Ils s’introduisent dans les rats de bois, et vont eux-mêmes rendre immangeables toutes les noix. C’est encore sous cette forme qu’ils échappent aux flèches, et les font dévier sur les gens du village qui les attaquent. Cette intervention personnelle des sorciers dans l’exécution de leur maléfice implique-t-elle quelque chose de nouveau ?

— En aucune façon. Que les dégâts soient le fait de rats « créés » par les sorciers (c’est-à-dire spécialement chargés de cette mission, ou fabriqués exprès), ou des sorciers en personne à l’intérieur de rats fabriqués par eux, ce ne sont là, aux yeux de l’indigène, que des procédés équivalents pour atteindre un même but, que de simples « variantes ». La différence entre elles n’a pas d’intérêt pour lui. Dans un cas comme dans l’autre, la cause réelle et unique du méfait, ce sont les sorciers. Ce point seul lui importe. Seul, il arrête son attention. Si, au lieu de se glisser dans les rats de bois, les deux sorciers les avaient rendus vivants, et envoyés ronger les noix de coco, comme d’autres chargent un crocodile de leur fabrication d’aller saisir leur ennemi, comme les sorciers africains envoient un lion « créé » par eux dévorer un homme ou son bétail, ils n’en seraient pas moins les vrais auteurs de l’acte. L’indigène ne dira pas seulement comme nous que ces rats, ce crocodile, ce lion sont leurs serviteurs, leurs instruments, les exécuteurs de leurs ordres. Sa pensée va plus loin. Elle voit en ces animaux, artificiels ou non, comme des prolongements de la personnalité des sorciers. Ils en sont des appartenances, c’est-à-dire des parties intégrantes. Ce qui est rendu sensible, d’une façon concrète et naïve, quand les deux sorciers s’introduisent dans les rats de bois.

(My. P., pages 282-284.)

Sorciers « cannibales ».

D’où vient que l’épouvante causée par le « sorcier » est pour ainsi dire sans limites ?

« Le mot sorcier, dit le bon observateur Macdonald, implique deux idées. La personne désignée par ce mot 1o a le pouvoir ou le savoir suffisant pour pratiquer les arts occultes ; 2o est adonnée au cannibalisme. Le second sens est celui qui domine… Les sorciers tuent leur victime pour la manger[12]. » M. Junod dit de même : « La sorcellerie est un des plus grands crimes que l’homme puisse commettre. Elle équivaut à l’assassinat ; elle est même pire que le meurtre, car une vague idée d’anthropophagie s’ajoute à la simple accusation de meurtre… Un sorcier tue des êtres humains pour se repaître de leur chair[13]. »

L’anthropophagie dont il s’agit ici est en quelque sorte mystique. Les victimes du sorcier sont dévorées par lui sans qu’elles le sachent. Elles ne lui servent pas d’aliments une fois mortes : elles meurent, au contraire, parce que le sorcier les a déjà « mangées ».

(M. P., page 277.)

Sorciers involontaires.

Voici ce qui épouvante peut-être le plus les indigènes. Ces sorciers contre qui il est si malaisé de se défendre, et qui sont, au témoignage de M. Junod, « nombreux dans chaque tribu », qui peuvent se charger de crimes pendant de longues années sans être découverts, peuvent aussi s’ignorer eux-mêmes. Ils agissent alors en instruments inconscients du principe qui habite en eux. En fait, « ils mènent une existence double, l’une de jour, où ils sont des hommes comme les autres, et une nocturne, où ils font leur besogne de sorciers. Savent-ils dans la journée ce qu’ils ont fait pendant la nuit ? Il est difficile de répondre à cette question, car il ne semble pas que l’esprit des indigènes possède une idée claire sur ce point. Cependant l’idée traditionnelle, véritable, est que le sorcier ne sait pas ce qu’il fait ; il ne sait même pas qu’il est sorcier tant qu’il n’a pas été décelé comme tel… Il est donc inconscient. »

L’inconscience de leurs actes ne fait d’ailleurs que rendre les sorciers plus malfaisants encore… En effet, le principe malin qui loge en eux, — et que l’on constate souvent matériellement à l’autopsie, — agit précisément comme le mauvais œil. Il répand le malheur autour d’eux dans le groupe social. Souvent les premières victimes sont les plus proches parents du sorcier, ceux qui devraient lui être le plus chers et le plus sacrés.

On peut donc, si l’on veut, continuer à se servir, dans ces cas, des mots d’ « accusation », et de « jugement », d’où les « prévenus » sortent « innocents » ou « coupables », mais à condition de leur prêter un sens fort éloigné de celui qu’ils ont en Europe. Il n’y a pas ici la moindre question de justice, et l’ordalie n’a nullement pour objet de découvrir si une peine a été méritée ou non. Ce qui préoccupe les indigènes est d’un autre ordre. Ils sont hantés, ils sont terrifiés par l’idée que parmi eux vivent des individus, en apparence semblables aux autres, qui possèdent les pouvoirs magiques les plus redoutables, et qui en usent pour commettre les pires forfaits, sans qu’on les voie, sans qu’on puisse les prendre sur le fait, sans qu’ils le sachent eux-mêmes parfois. Contre ce fléau, l’ordalie est la seule défense efficace.

Par conséquent, au lieu d’assimiler les « sorciers » des sociétés inférieures aux criminels que poursuit notre justice pénale, il convient de les ranger dans une catégorie toute différente, avec les jettatori. Ils sont aussi très voisins des êtres anormaux dont le groupe social se défait, dès que leur anomalie est apparue, parce qu’ils portent malheur : par exemple, des enfants dont la présentation a été insolite lors de l’accouchement, ou qui sont nés avec des dents, ou qui percent les incisives du haut les premières, etc. Comme les sorciers, la présence en eux d’un principe malfaisant les rend funestes au groupe social ; comme les sorciers, ils doivent être supprimés, ou du moins mis hors d’état de nuire. Il est vrai que ces monstra ne seront peut-être malfaisants que plus tard, tandis que le principe malin qui loge chez le sorcier a déjà pu causer beaucoup de désastres. Mais la mentalité primitive n’est guère sensible à cette différence. Elle se représente aisément le futur comme déjà présent, surtout s’il lui apparaît comme certain, et s’il provoque une forte émotion. Or elle n’a pas le moindre doute sur l’influence maligne qui émanera de ces enfants anormaux. Ce sont, dès à présent, des sorciers « virtuels ». Les indigènes le disent en propres termes et c’est la raison qu’ils donnent pour les traiter comme ils le font.

(M. P., pages 278-281.)

Puissance effective du sentiment.

Une femme, dans un mouvement d’humeur ou d’impatience, dans un accès de jalousie, peut avoir désiré la mort du défunt, sans se l’avouer à elle-même, sans s’en rendre compte. Elle peut nier de la meilleure foi du monde, — et le poison, en la tuant, donnera la preuve du contraire. Si le désir a existé, ne fût-ce qu’un instant, son effet fatal a pu se produire, surtout au cas où la femme recélait en elle le principe malin qui fait les sorciers. C’est de quoi l’on s’assure par l’épreuve du poison. Mais la présence de ce principe n’est même pas nécessaire : le désir, à lui seul, peut tuer comme l’ensorcellement. Les indigènes de cette partie de l’Afrique en sont persuadés, et c’est l’origine de complications dont le Dr Pechuël-Loesche nous donne une idée. « Nous ne pouvons guère mettre en doute qu’il y a effectivement des personnes qui se tiennent pour des sorciers au pire sens du mot, et qui même en font publiquement l’aveu. Un sentiment haineux à l’égard de quelqu’un ne suffit-il pas pour lui nuire, pour le tuer ? La volonté mauvaise a le même effet que l’action mauvaise. Elle agit comme les rayons du soleil chauffent, comme le vent rafraîchit… »

Si le désir de voir mourir quelqu’un équivaut ainsi, dans toute la force du terme, à le tuer, c’est que, comme au mauvais œil, comme au principe malin logé chez les êtres anormaux et chez les sorciers, il lui suffit de sa seule vertu mystique pour atteindre son but.

(M. P., pages 395-396.)

Principe nuisible dans le corps du sorcier.

Chez les Azande, sous un certain aspect, le principe nocif, la « puissance occulte » qui fait le sorcier est une excroissance du corps, dont on peut rechercher la présence à l’autopsie. Sous un autre, c’est une disposition de la personne qui exerce une mauvaise influence ensorcelante envie, jalousie, convoitise, mauvais vouloir, colère, ressentiment, rancune, etc. Nous comprenons mieux maintenant pourquoi les primitifs ont si peur de susciter chez ceux qui les entourent de la colère ou des dispositions hostiles, par exemple, par un refus. Ils craignent de provoquer un ensorcellement. Et de même que les dispositions ne sont pas représentées comme des états subjectifs, comme quelque chose de proprement psychique, mais comme semi-physiques, et peuvent être modifiées indépendamment du sujet qu’on en fait responsable, de même le principe nocif qui habite chez le sorcier, puissance du même ordre que ces dispositions, n’est représenté non plus ni comme matériel, ni comme immatériel. Il participe des deux.

Ces vues trouvent une confirmation singulière dans l’observation suivante, due à l’abbé Walker, indigène converti du Gabon : « Cette pratique de l’autopsie, écrit-il, tombée en désuétude à Libreville et chez les peuplades de la côte, n’est observée chez les Pahouins que dans certains cas particuliers. Mais… dans presque toutes les autres tribus de la Ngounié, elle était en pleine vigueur quand j’habitais ce pays ; elle l’est encore, je crois, et le sera longtemps. Sans pouvoir l’affirmer absolument, je pense qu’il en est de même chez toutes les populations du Haut-Ogooué.

« Quelle est donc la cause d’une pratique si universellement répandue ? Je vous dirai que l’autopsie n’est nullement faite (à quelques exceptions près) pour connaître le genre de maladie dont le défunt est décédé ; mais pour savoir qui a « mangé son âme », ou quelles autres âmes lui-même a « mangées ». Ou, en d’autres termes, c’est pour connaître de quel endjanga il est mort, du sien ou de celui du voisin.

« En quoi consiste au juste cet endjanga ?… Pour ma part, je serais porté à croire que cette idée d’endjanga, ignemba, ou evous est basée sur le fond de jalousie, d’envie, que l’on prête à certaines personnes mal famées ou mal vues. En effet, il est rare de voir une personne, affable et bienveillante dans ses relations, accusée d’ignemba, tandis qu’au contraire une personne hautaine ou de manières peu engageantes en est facilement soupçonnée.

« Les uns disent que c’est une petite bête armée de pinces, une sorte d’araignée, qui, extraite du corps et exposée au grand air, happe au passage mouches, moucherons, maringouins et moustiques.

« D’autres pensent que c’est une espèce de vampire qui s’en va sucer le sang des vivants.

« Certains affirment que c’est un nerf du cœur ou un polype viscéral habité par un esprit capable de jeter de mauvais sorts et d’accomplir des actes préternaturels. Enfin, d’aucuns prétendent que c’est l’âme elle-même qui s’extériorise la nuit sous la forme d’un globe de feu pour aller nuire aux voisins[14]. »

L’auteur affirme ici nettement l’identité, si difficile à comprendre pour nous, de cette petite bête, araignée ou vampire, et de la disposition socialement nuisible, jalousie, envie, malveillance. Nous penserions que la petite bête en est le véhicule, la matérialisation, le symbole. Pour les indigènes, l’abbé Walker nous le dit en propres termes, l’endjanga, ou ignemba, ou evous, principe nocif fait d’envie et de jalousie, est aussi la petite bête qui sort du corps du sorcier pour aller commettre des crimes.

De là ressort, une fois de plus, une différence essentielle entre nos symboles et ceux de la mentalité primitive. Ce qu’elle se représente, ce n’est pas une relation, une correspondance, ou une ressemblance entre le symbole et ce qu’il évoque ou exprime. C’est une participation réelle, une identité d’essence, une consubstantialité.

(S. N., pages 187-189.)

Le mauvais vouloir ensorcelle.

La colère refoulée est mise sur le même rang que le mauvais œil, ou que l’envie dans l’exemple cité tout à l’heure. Parfois un incident insignifiant suffit à révéler cette disposition hostile, qui porte malheur et peut entraîner les plus graves conséquences. « Il y a environ un mois, mourait à Nalilo (chez les Barotse) un enfant du roi, garçon d’une douzaine d’années. Or, à cette mort, il fallait trouver une explication, et les gens de Nalilo y sont arrivés la semaine dernière. Peu de jours avant que cet enfant tombât malade, un homme lui avait demandé du lait, qui lui fut refusé. Là-dessus il dit à l’enfant : « Et que feras-tu de ton lait ? » C’en fut assez ; le mauvais sort était jeté sur l’enfant par cette parole. Aussi le prétendu sorcier fut-il l’autre jour tué, puis jeté au fleuve[15]. » Un adulte, à la place de cet enfant, n’aurait probablement pas refusé le lait. Il aurait su à quel danger il allait s’exposer. Il aurait craint ce qui est arrivé : d’éveiller un ressentiment qui lui porterait malheur. Ce ne sont pas les paroles prononcées qui ont ensorcelé l’enfant, comme le missionnaire semble le croire. Elles n’ont fait que manifester la disposition hostile, aussi redoutable que le mauvais œil, provoquée par le refus.

Souvent les sorciers occasionnels dont il vient d’être question ne savent même pas l’effet produit par leur mauvais vouloir sur quelqu’un à qui ils ne pensent pas. Leur victime parfois vit loin d’eux ; ils ne songent pas actuellement à se venger d’elle, et son malheur ne leur procurera aucun avantage. Il semble naturel de les distinguer du sorcier-né, essentiel, professionnel, qui est haineux, cruel, assassin de tempérament, véritable ennemi public. Les primitifs tiennent ordinairement compte de cette différence. Cependant, ils n’ont pas toujours le sang-froid et le calme nécessaires pour y prendre garde. La réflexion n’est guère compatible avec l’émotion qui les bouleverse quand ils s’aperçoivent qu’un des leurs a été ensorcelé, surtout si le « sorcier » est entre leurs mains. Leur surexcitation ne leur permet pas de s’arrêter à cette circonstance, si importante à nos yeux, que le porte-malheur n’avait nullement la volonté consciente de nuire à sa victime. Le mal est fait : il en est l’auteur. S’il en est encore temps, on le force à le « défaire ». S’il est trop tard, il n’échappera guère à son sort.

(S. N., pages 193-194.)

L’ensorcellement domestique.

Quelqu’un dans la force de l’âge, ou tout jeune, tombe gravement malade, et meurt. Les siens, très émus, pensent tout de suite à un ensorcellement. Peut-être, cependant, est-ce l’effet du mécontentement d’un ancêtre ? Un devin, consulté, confirme que l’on a affaire à un sorcier. Qui est-ce ? Souvent (en particulier chez les Bantou), c’est sur un parent proche de la victime, sur un fils, une mère, un frère, que se porteront d’abord les soupçons. C’est à lui qu’on fera boire le poison d’épreuve. Si étrange, si incroyable que cette désignation nous paraisse, elle n’en est pas moins fréquente, et nous allons en voir les raisons.

(S. N., page 199.)

Un jeune couple a perdu un tout petit enfant, et bientôt après un autre, qui commençait à marcher, meurt à son tour. Ils cherchent la cause de leur malheur. « Nous l’avons porté au tombeau, nous lui avons ouvert le ventre, et nous avons trouvé que la vessie (?) manquait : les mauvais esprits avaient enlevé cet organe. Puis nous enterrâmes l’enfant.

« Après avoir découvert cela, nous avons dit : « Qui peut être ce sorcier, cet esprit malfaisant qui a ensorcelé notre enfant, et enlevé la vessie de son corps ? Nous en avons parlé ensemble, ma femme et moi, et nous avons dit : « Toi et moi, nous allons tous les deux boire le mwamfi (poison d’épreuve) ; nous voulons savoir qui est le sorcier. Et alors je dis : « Peut-être, ma femme, es-tu une unlozi ? (sorcière), » et ma femme dit : « Peut-être, mon mari, es-tu un unlozi ? » Nous bûmes donc le mwamfi. Je pris le mien de mon côté, ma femme but aussi le sien de son côté. Nous en étions convenus ainsi, et nous dîmes : « Voici que notre enfant est mort peut-être est-ce nous, ses parents, qui l’avons ensorcelé ? Reste dans notre corps, mwamfi, s’il en est ainsi. Et si ce n’est pas nous, ne reste pas, mwamfi, et sors alors de notre corps. » Après avoir ainsi parlé, nous avons vomi tous les deux le mwamfi, ma femme et moi. Alors nous nous sommes crus l’un l’autre, et nous avons dit : « Ce n’est pas nous ; nous ne sommes pas des sorciers, nous n’avons pas ensorcelé notre enfant, car nous avons bien vomi le mwamfi dans notre hutte[16]. »

Ainsi ce père et cette mère, désolés de la mort de ce second enfant, qui ne peut pas être naturelle, et n’ayant de soupçon sur personne, se demandent anxieusement si le principe nocif qui a tué leur bébé ne se trouve pas chez l’un d’eux. Il a dévoré un organe interne de sa victime : c’est donc un cas caractérisé d’ensorcellement. Si ce principe nocif habite le corps de l’un d’eux, le mwamfi, détective infaillible, l’y découvrira. Il restera dans le corps, et la mort du sorcier s’ensuivra. Ces malheureux parents ne trouvent donc rien d’étrange à supposer qu’ils ont peut-être causé eux-mêmes la mort de leur enfant. Ils se sentent obligés de vérifier cette supposition, au péril de leur vie. Il n’est donc pas surprenant, quand une mort suspecte se produit, que l’on se demande si ce n’est pas la femme ou le fils, ou le frère, etc., du défunt qui l’a ensorcelé, c’est-à-dire qui porte en soi, sans le savoir, le principe meurtrier.

(S. N., pages 203-205.)

Qu’est-ce qu’un sorcier ?

« Qu’est-ce qu’un sorcier, demandait Bentley aux indigènes du Congo, et comment accomplit-il ses crimes ? Nous posions souvent cette question. Et toujours on nous répondait aussitôt « Comment le saurais-je ? Je ne suis pas sorcier. Il faudrait en être un soi-même pour le savoir[17]. » Le sens du mot n’était que trop clair pour eux, qui en faisaient usage tous les jours. Mais ils ne pouvaient l’exprimer dans une formule qui le rendît intelligible au blanc. Peut-être ne s’en souciaient-ils pas : c’eût été trop dangereux.

(S. N., page 179.)

Signes qui révèlent le sorcier.

Il y a des signes qui ne trompent guère par exemple, si quelqu’un est rencontré seul, la nuit, près des habitations. Qui n’a pas de mauvaises intentions ne se trouve pas seul la nuit hors de sa case. Si cependant un des hommes est obligé de sortir, d’autres l’accompagnent, chacun portant une torche. Autrement, on croira qu’il cherche à se glisser dans une case, sans doute pour en tuer les habitants, ou qu’il est prêt à se transformer en tigre, en léopard, en loup, etc. pour les déchirer quand ils sortiront de chez eux.

Devient également suspect celui qui refuse de prendre part aux cérémonies et aux sacrifices. Son attitude va déplaire aux puissances invisibles, et particulièrement aux ancêtres, les irriter, et ainsi porter malheur au groupe social. Il a donc agi en sorcier. « Il sera évité par ses amis et ses voisins, comme une personne suspecte qui a mis sa confiance dans les pratiques et les pouvoirs de la sorcellerie ; sinon, il ne se serait pas rendu coupable de ce crime si odieux (le refus de se joindre aux autres dans les cérémonies). Et, si un malheur tombe sur le kraal, et que l’on ait alors recours à un prêtre pour accomplir la cérémonie de l’umhlalo (dépister le sorcier par le flair), cette personne suspecte sera désignée par lui comme la cause du malheur, et punie par le châtiment qu’on inflige aux sorciers[18]. »

Autre signe grave : jouir d’un bonheur insolent, amasser du bien, devenir très riche, réussir dans tout ce qu’on entreprend. Une prospérité qui ne se dément jamais ne peut s’expliquer que par des gages donnés à des puissances mauvaises. Ces gages, ce sont, presque toujours, un frère, une mère, un enfant qu’on leur a livrés. Ces sorciers-là sont de la pire espèce, et très redoutés.

(S. N., pages 183-184.)

Est pareillement suspect l’homme qui devient très vieux, et qui survit seul à sa génération. Comment a-t-il réussi à prolonger ainsi ses jours, tandis que tous ses contemporains ont disparu ? Si quelque malheur survient, les soupçons se porteront aussitôt sur lui. « Kiala, raconte Bentley, le chef du village, avait des parents à Mpete, à deux heures de distance ; l’un d’eux mourut. L’accusation d’avoir causé sa mort par sorcellerie tomba sur un vieillard de Mpete. Kiala et les siens insistèrent pour qu’il bût le nkasa. Aucun devin ne l’avait dénoncé : il n’y avait pas eu d’opération le désignant. Mais ce vieillard avait survécu à tous ceux de sa génération et les gens disaient qu’il avait survécu parce qu’il avait causé leur mort à tous : il était le sorcier, donc, naturellement, il survivait ! Nous avertîmes Kiala et, par crainte du gouvernement, il n’osa pas laisser les choses suivre leur cours habituel. Il se résolut donc à mettre à mort ce vieillard, sans prendre la responsabilité de le tuer. Une nuit de lune, il arriva à Mpete avec une petite troupe, se saisit du vieillard dans sa case et l’enchaîna. On creusa un trou devant la case, on y mit le vieillard, et on l’enterra vivant. S’il y mourait, ce serait son affaire ; personne ne l’aurait tué[19]. »

(M. P., page 463.)

Les ordalies.

L’histoire du moyen âge nous a rendu familières les épreuves, apparentées de près à la divination, que l’on appelle jugements de Dieu, ou ordalies. L’antiquité grecque, comme M. Glotz l’a bien montré, les avait connues[20]. On les rencontre aussi dans nombre de sociétés inférieures. Pourtant, il sera prudent de ne pas admettre d’avance l’identité des faits dans des sociétés très différentes les unes des autres.

Un premier trait s’est imposé partout à l’attention des observateurs : c’est la confiance entière, invincible, on pourrait dire la foi inébranlable que les primitifs ont en l’ordalie. Les missionnaires italiens du Congo, au xviie siècle, ont déjà insisté sur ce point. « J’étais stupéfait en moi-même, et je ne pouvais me persuader que des hommes, si grossière que fût leur ignorance, pussent prêter une telle foi à des supercheries si évidentes, et ne pas admettre au moins quelqu’une des nombreuses raisons que les missionnaires leur faisaient valoir chaque jour à ce sujet… Mais, au lieu de se rendre, ils haussent les épaules, et ils répondent : il est impossible que nos épreuves nous trompent ; cela ne se peut pas, cela ne se peut pas[21] ! »

(M. P., pages 244-245.)

La foi en l’ordalie.

D’où vient cette foi universelle si ferme, qui scandalise l’Européen ? Comment le noir, souvent si avisé et même si subtil, quand il s’agit de défendre ses intérêts, est-il si aveugle lorsque sa vie est mise en danger par l’ordalie ? Comment ne voit-il pas qu’en acceptant ces épreuves, il se livre pieds et poings liés au « docteur » qui prépare la coupe empoisonnée, au chef dont le docteur est l’instrument, ou à ses propres ennemis qui le soudoient ? Quand on lui signale ce péril trop évident, il hausse les épaules ou il s’indigne. Lorsqu’on insiste sur l’absurdité de la procédure, il fait la sourde oreille. Aucun argument n’a de prise.

L’Européen ne peut pas s’empêcher de tenir compte, avant tout, des effets physiologiques du poison. Par suite, les résultats de l’épreuve varieront pour lui en fonction de la violence et de la quantité de la drogue introduite dans l’organisme. Suffisamment forte, la dose aura toujours raison de celui qui l’avale, qu’il soit coupable ou innocent ; insignifiante, elle ne fera aucun mal au pire scélérat. Le blanc trouve extraordinaire que l’indigène ferme les yeux à des truismes si simples.

Mais le point de vue d’où les noirs jugent est tout différent. L’idée de ce que nous appelons poison n’est pas nettement définie dans leur esprit. Sans doute ils savent par expérience que certaines décoctions peuvent tuer qui les boit. Néanmoins, ils ignorent le mécanisme de l’empoisonnement, et ils ne cherchent pas à le connaître ; ils ne soupçonnent même pas qu’il existe. Selon eux, si ces décoctions peuvent être mortelles, c’est parce qu’elles sont le véhicule de forces mystiques, comme les remèdes qu’ils emploient dans les maladies, et dont toute l’efficacité s’explique ainsi. « Leurs drogues produisent leurs effets, écrit M. Nassau, non pas comme les nôtres, par certaines propriétés chimiques, mais par la présence d’un esprit dont elles sont le véhicule favori. » Et miss Kingsley dit de son côté : « Dans toute action qui s’exerce, un esprit agit sur un esprit : donc l’esprit du remède agit sur l’esprit de la maladie. » Il en est précisément de même du poison d’épreuve. Les noirs n’en conçoivent pas les propriétés positives ils ne pensent qu’à sa vertu mystique et immédiate. « Ils ne le considèrent pas comme un poison, dit fort bien Winterbottom, parce qu’ils ne pensent pas qu’il serait mortel si la personne qui le boit était innocente[22]. » C’est une sorte de réactif mystique et, comme tel, infaillible.

(M. P., pages 248-249.)

Divination par ordalie.

Jusqu’ici, l’ordalie semble être un procédé magique, destiné à faire apparaître, sans doute possible, si un accusé est innocent ou coupable. L’usage, constant dans certaines sociétés, qui en est fait ainsi, a frappé l’imagination de la plupart des observateurs. C’est lui qu’ils mentionnent presque exclusivement, non sans exprimer en même temps leur surprise et leur indignation. Mais l’ordalie est employée aussi dans d’autres circonstances, où elle n’a plus rien de commun avec une procédure judiciaire. « Il n’est pas rare, dit Bentley, que les indigènes recourent à l’ordalie du poison pour décider en d’autres matières. Une jeune femme, qui vit maintenant tout près de notre station de Wathen, avait bu le nkasa, il y a quelques années, pendant une maladie de son oncle, afin de découvrir s’il guérirait ou non. Elle n’avait que douze ans à ce moment-là[23]. » Dans la même région, l’ordalie par l’eau bouillante servait aussi à obtenir un pronostic médical.

L’épreuve par le muavi peut aussi servir, comme les pratiques divinatoires, à sortir d’embarras dans une difficulté soudaine. Un homme comme on n’en a jamais vu, un blanc, se présente : qui sait de quoi il est capable, quels pouvoirs magiques il possède, et quelles calamités il peut apporter ? Faut-il le laisser mettre le pied sur le sol du pays ? « Lukengo avait assemblé un grand conseil de famille, et ensuite, au milieu d’un grand concours de peuple, il avait ordonné de faire prendre à un coq le poison ipomme : si le coq vomissait le poison, ce serait une preuve que je venais en ami ; mais si le coq mourait, il faudrait me traiter effectivement en ennemi[24]. »

(M. P., pages 250-251.)

L’ordalie n’est pas un « jugement de Dieu ».

De l’ensemble de ces faits, il est permis de conclure : l’ordalie par le poison, usitée dans les procès de sorcellerie si fréquents dans nombre de sociétés africaines, est une opération mystique, analogue à la divination, qui a pour objet à la fois de déceler le sorcier, de le tuer, et de détruire le principe malfaisant logé en lui. Elle n’a donc rien de commun avec un « jugement de Dieu ». M. Meinhof en a fait la remarque. « Nulle part, que je sache, l’Africain ne rapporte directement à Dieu l’effet de l’ordalie ; il l’attribue aux forces magiques du charme qui est employé, auquel le coupable succombe, tandis que l’innocent part indemne. » Et il ajoute, en note : « Sans doute l’ordalie, comme toute chose, est en dernière analyse un don de Dieu ; mais elle agit par elle-même (selbständig) d’une façon indépendante, comme une « médecine », sans qu’on ait à penser à une intervention de Dieu[25]. » S’il est permis, ajouterai-je, de parler de Dieu en ce sens, lorsqu’il s’agit des tribus du Haut-Congo, ou même de la plupart de celles de l’Afrique équatoriale et australe.

Ainsi élucidée, la notion de cette ordalie éclaire à son tour celle de sorcellerie, qui tient une place si considérable dans les représentations collectives de ces tribus. Elle nous montre d’où provient la malfaisance de ces sorciers, qui inspirent tant de crainte et d’horreur. La violence de ces sentiments est telle, comme on sait, que, au moindre soupçon de sorcellerie, les liens de l’affection la plus tendre, entre amis intimes, entre époux, entre frères, entre parents et enfants, se rompent tout d’un coup, et totalement. Parfois, l’individu suspect sera aussitôt exterminé par ses proches, sans jugement, et même sans ordalie.

(M. P., pages 275-276.)

Le mythe, reflet des institutions.

Dans une région voisine, habitée par les Balobo, on s’assure par une autopsie de la présence du principe malfaisant dans le corps du sorcier. « Nous connaissions fort bien, dit le missionnaire Grenfell, l’homme qui venait d’être tué pour crime de sorcellerie… Les siens poussèrent les hauts cris après sa mort, parce que l’accusateur ne réussit pas à trouver le principe malfaisant (witch), une sorte d’excroissance assez commune dans l’intestin, et qui passe pour un signe infaillible. Cette fois-ci, on n’en put trouver la moindre trace, et le pauvre homme fut lavé du crime de sorcellerie[26]. »

Bentley a vu lui-même des indigènes en train de disséquer un cadavre, pour y chercher l’organe qui, d’après eux, prouve que de son vivant l’homme était sorcier[27].

(M. P., page 269.)

Destruction du cadavre des sorciers.

Le cas des sorciers est caractéristique. On sait la terreur qu’ils inspirent. Souvent on veut s’en délivrer à tout prix. On leur fait subir une ordalie, on les torture, on les achève : mais cela suffira-t-il ? Mort, le sorcier ne sera-t-il pas plus redoutable encore ? N’y aurait-il pas un moyen, sinon d’anéantir, du moins de paralyser le sorcier mort ? Oui, pense-t-on souvent, en détruisant son corps. Car le mort et son corps ne sont qu’un seul individu.

Dans la plupart des tribus bantou, la règle est de brûler le sorcier, vivant ou mort. Par exemple, chez les Ba-kaonde, l’individu soupçonné est soumis à l’ordalie par le poison. Reconnu coupable, le sorcier est lié, et un interrogatoire a lieu, afin de découvrir pour quelle raison il a tué telle ou telle personne, et aussi de quelle sorte de maléfice il a usé… Ensuite on le tue à coups de lance, et son corps est brûlé.

(A. P., pages 334-335.)

Des sorciers ont pu ne pas être démasqués de leur vivant. Morts, ils continuent leurs méfaits. On finit alors par les soupçonner. On les déterre, et on les brûle. Chose curieuse, on constate que leurs corps étaient restés intacts. Les cadavres de sorciers ne se décomposent pas. Cette croyance se rencontre dans des régions fort éloignées les unes des autres.

Chez les Palaungs, en Birmanie, Mme Leslie Milne a observé la même croyance, modifiée par des influences bouddhistes, mais encore reconnaissable. « Si un karbu (esprit) ne va pas manger le fruit de l’oubli, il peut élire domicile dans le cadavre, et quitter parfois le cimetière pour aller tourmenter les gens là où il a vécu. Le cadavre qu’il habite ne se décompose pas, et reste tel qu’au jour du décès. On raconte l’histoire d’une vieille femme qui avait succombé à la fièvre. Après sa mort, une personne mourait après l’autre, en peu de temps. À la dixième on demanda, au moment où elle allait expirer : « Qui es-tu ? » et la réponse fut : « Je suis X » (le nom de la vieille femme). Le karbu de celle-ci avait élu domicile dans son corps enterré ; il en sortait la nuit, il expulsait le karbu d’une personne après l’autre (pour prendre sa place), et ainsi il les faisait mourir. Un docteur se rendit au cimetière et, avec l’aide de quelques hommes, retira le cercueil de la terre. On l’ouvrit, et on trouva sur le cercueil un petit trou par où on supposa que la morte en sortait juste au-dessus du cœur. Elle avait l’air de dormir (c’est-à-dire, le corps n’était pas du tout décomposé). On le transporta dans la jungle, et on le dépeça en petits morceaux qui furent enterrés çà et là. Après cela, le fléau cessa. » Et l’auteur ajoute : « Comme le karbu de la vieille femme, à ce qu’on peut présumer, était libre d’aller se loger ailleurs, il est difficile de comprendre pourquoi l’épidémie a cessé, à moins que le karbu n’ait plus pu retrouver le chemin du village[28]. » Mais le karbu, n’avait pas cette liberté. Il est lié à son corps par la participation la plus intime, et la destruction de ce corps l’anéantit lui-même. Il est donc naturel que l’épidémie cesse dans le village lorsque ce corps a été dépecé.

(A. P., pages 335-338.)

La contre-sorcellerie.

Pour paralyser l’action d’un sorcier, il faut une contre-sorcellerie. Quand une maladie est un ensorcellement (c’est ainsi qu’en général on se représente les maladies internes, graves), le seul traitement efficace consiste à désensorceler le patient, c’est-à-dire à opposer au pouvoir mystique du sorcier un pouvoir du même genre, mais supérieur. Pour n’en citer qu’un exemple, chez les Papago, « certaines maladies sont attribuées à la sorcellerie, et le traitement de ces affections était en réalité un duel entre le pouvoir psychique (« medicine » ou « magie ») du docteur, et celui de la personne qui, croyait-on, causait le mal du patient. L’habileté du docteur consistait, pour une part, à déterminer qui en était l’auteur, après quoi il mesurait son pouvoir avec celui de son adversaire. Si le sien était le plus fort, le malade guérissait ; s’il était le plus faible, le malade mourait[29]. » Étant donnée l’idée, à peu près universelle chez les primitifs, que la maladie grave, comme la mort, n’est jamais naturelle, et qu’elle a toujours une cause mystique, rien n’est plus fréquent que ces duels. Le devin ou le medicine-man fait son diagnostic ; il déclare que le malade est victime, non pas de la colère d’un ancêtre irrité, mais de la malignité d’un sorcier. Un ennemi a dû opérer magiquement sur quelqu’une de ses appartenances, ou bien introduire dans son corps un fragment d’os, un insecte, une « mauvaise influence matérialisée »… En ce cas, la seule thérapeutique efficace consiste à pratiquer les opérations inverses de celles-là. Le docteur que la famille du malade a appelé possède, en général, un pouvoir magique égal ou supérieur à celui du sorcier. Il extrait donc du corps, le plus souvent par succion, le petit caillou ou l’insecte, véhicule de la mauvaise influence ; il sait retrouver l’ « âme » dérobée au malade, et la réintroduire dans son corps, déterrer les appartenances sur lesquelles on a opéré, etc. Bref, il est capable de « défaire » ce qu’le sorcier a fait. À cette condition, — nécessaire, mais suffisante, — son client est soustrait à la mauvaise influence qui allait lui ôter la vie. Il est désensorcelé, c’est-à-dire guéri. Il se porte désormais aussi bien que s’il n’avait jamais été malade.

(S. N., pages 484-485.)

Chez les Shilluk (Soudan anglo-égyptien), « à chaque manœuvre déterminée des mauvais medicine-men, les bons ont une riposte déterminée. Le sorcier fait avec de la boue une image de l’homme qu’il veut tuer. Il plante des clous dans les oreilles de cette image, et il la place dans le feu. La victime mourra, ou deviendra folle. Le bon medicine-man qui vient au secours de cet homme en fait à son tour une image. On la met dans l’eau, et l’on neutralise ainsi la chaleur qui consume l’autre[30]. »

(S. N., page 499.)

La confession du sorcier.

Pour que la mauvaise influence puisse être neutralisée, il faut d’abord que le sorcier ait avoué. En Afrique australe, équatoriale, orientale, occidentale, en Indonésie, dans les montagnes du nord-est de l’Inde, ailleurs encore, l’homme suspect d’en avoir ensorcelé un ou plusieurs autres, qu’il ait été préalablement soumis ou non à une ordalie, est sommé d’avouer. S’il ne le fait pas de bonne grâce, on l’y contraint par les tortures les plus atroces. Chez les Cafres, par exemple, on lui couvrait le corps de fourmis noires, ou on le brûlait avec des charbons ardents dans ses parties les plus sensibles. S’il s’obstine à ne rien dire, il succombe après de longues heures de souffrance. En général, même s’il est sûr de son innocence, il avoue tout de suite. C’est là son unique chance de salut, et il ne l’ignore pas.

Tant qu’on ne lui a pas arraché l’aveu de ses manœuvres, on reste impuissant à en arrêter les effets. Dès qu’on a réussi à le faire parler, de gré ou de force, il ne se refuse plus à dévoiler comment il a procédé, de quoi il s’est servi, où il a caché les appartenances de la victime sur lesquelles il a opéré par exemple, qu’il les a placées sur un feu doux qui les consume lentement. On court alors les retirer de là, et on les plonge dans l’eau courante. Aussitôt l’ensorcellement cesse. De plus, la confession, comme on sait, a une vertu propre. Elle agit, elle aussi, comme une sorte de « renversement ». Elle est le « contraire » du secret. Elle « défait » ce qu’il faisait. Il favorisait la mauvaise influence : il lui permettait d’étendre ses ravages, de multiplier les malheurs. L’aveu, en annulant le secret, coupe net son action malfaisante.

(S. N., pages 488-489.)

  1. H. Dieterlen, La médecine et les médecins au Lessouto, p. 14 (1930).
  2. Seligman, The Medicine, surgery, and midwifery of the Sinaugolo (Torres Straits), J. A. I., 1902, p. 299.
  3. Tom Petrie, Reminiscences of early Queensland, p. 30.
  4. A. C. Kruyt, De Bare’e-sprekende Toradja’s, I, pp. 255-256.
  5. P. A. Talbot, Life in Southern Nigeria, p. 63.
  6. P. Eugène Hurel, Religion et vie domestique des Bakerewe. Anthropos, VI (1911), p. 88.
  7. Rev. J. H. Weeks, Anthropological notes on the Bangala of the upper Congo river, J. A. I., XXXIX, pp. 449-450.
  8. G. Le Testu, Notes sur les coutumes Bapounou dans la circonscription de la Nyanga, pp. 196-197.
  9. E. J. Glave, Six years of adventure in Congo land, p. 92.
  10. G. Landtman, The folktales of the Kiwai Papuans, p. 142.
  11. G. Landtman, The folktales of the Kiwai Papuans, p. 322.
  12. Rev. D. Macdonald, Africana, I, p. 206.
  13. H. A. Junod, The life of a South African tribe, I, pp. 416-417
  14. Abbé A. Walker, « Un enterrement chez les Ishogos ». Bulletin de la Société de Recherches Congolaises, no 8, pp. 136-137 (1928)
  15. Missions évangéliques, LXXV 1, p. 475 (Mme Béguin).
  16. E. Kootz-Kretschmer, Die Safwa, II, p. 268.
  17. W. H. Bentley, Pioneering on the Congo, I, p. 274.
  18. Col. Mac Lean, A compendium of Kafir laws and customs, p. 106.
  19. W. H. Bentley, Pioneering on the Congo, II, p. 335-336.
  20. G. Glotz, L’ordalie dans la Grèce primitive, Paris, 1909.
  21. Cavazzi, Istorica descrizione de tre regni di Congo, Matamba ed Angola, p. 97.
  22. Th. Winterbottom, An account of the native Africans in the neighbourhood of Sierra-Leone, I, p. 270.
  23. W. H. Bentley, Pioneering on the Congo, I, pp. 278-279.
  24. H. von Wissmann, WolffIm Innern Afrikas, p. 231.
  25. C. Meinhof, Afrikanische Religionen, p. 53.
  26. W. H. Bentley, Pioneering on the Congo, II, pp. 230-231.
  27. Ibid., II, p. 233.
  28. Leslie Milne, The home of an eastern clan, p. 341.
  29. Fr. Densmore. Papago music. E. B. Bulletin 90, p. 82, 1929.
  30. Rev. D. S. Oyler, The Shilluk’s belief in the evil eye. Sudan notes and records, II, p. 133 (1919).