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Origine et progrès de la puissance des Sikhs/Chapitre IX

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CHAPITRE IX.


Opérations sur Peshaver. — Bataille contre une armée de Musulmans fanatiques. — Mohammed Azim Khan abandonne Peshaver à Randjit Singh. — Mort de Mohammed Azim Khan et de Sansar Tchand. — Troubles dans les montagnes de Gandgarh. — Yar Mohammed confirmé par Randjit Singh dans le gouvernement de Peshaver. — Fateh Singh Alouwala quitte le Darbar de Lahor. — Insurrection du Seïd Ahmed, réformateur mahométan. Troubles qu’elle occasione. — Anrodh Tchand de Kangra, impliqué dans une intrigue, s’enfuit au-delà du Satledj. Ses possessions sont confisquées. — Nouveaux désordres occasionés par le Séïd Ahmed. Sa défaite et sa mort.


1823-1831.


En octobre, après le Dasrah de 1823, l’armée sikhe se réunit à Rohtas où fut passée la revue des contingens des djagirdars. Randjit Singh se montra encore plus sévère que de coutume sur le nombre et l’équipement des hommes. Parmi les chefs réprimandés pour leur négligence était Dal Singh Miherna, vieux djagirdar qui avait servi avec beaucoup de zèle et d’honneur. Il fut menacé d’une forte amende et traité avec un mépris si cruel qu’il s’empoisonna pendant la nuit pour se délivrer à l’avenir de pareilles avanies[1]. L’armée se dirigea en décembre du côté de Rawal Pindi, d’où Hakim Aziz-oud-din fut envoyé en avant à Peshaver pour réclamer le tribut du gouverneur Yar Mohammed Khan. Ce chef n’étant pas préparé à la résistance, rassembla quelques chevaux de prix, les offrit en tribut à Randjit Singh qui fut satisfait pour le moment, et retourna dans sa capitale en janvier, après avoir accompli un pélerinage à Kitas qui se trouvait sur sa route.

Mohammed Azim Khan, mécontent du compromis fait par son frère à Peshaver, vint du Caboul pour rétablir en personne ses affaires. Il arriva à Peshaver le 27 janvier ; et Yar Mohammed, craignant sa rencontre, chercha un refuge momentané dans les montagnes des Yousoufzis. Randjit Singh ordonna alors à son armée de passer l’Indus ; le passage fut effectué le 27 mars. Firos Khan, chef des khataks, étant mort, ses possessions furent mises sous le séquestre. Le 14 mars, l’armée entra à Akora, où elle fut rejointe par le fugitif Djeï Singh Atariwala, qui voulait maintenant faire sa paix et rentrer en faveur. Son pardon lui fut accordé. On apprit bientôt que Mohammed Zaman Khan, neveu de Azim Khan, avec Sadiq Khan, fils du chef khatak décédé, et Firoz Khan étaient venus prendre position près du camp à Noushahar avec 4,000 hommes et avaient déja enlevé quelques partis de fourrageurs. Randjit Singh ordonna à son armée, aussitôt qu’il eut appris cette nouvelle, de se ranger en bataille pour marcher en avant et attaquer les Musulmans. Le combat commenca par une charge furieuse conduite par Phoula Singh Akali, Sikh déterminé, habitué à commencer ainsi toutes les actions, suivi seulement de quelques cavaliers aussi impétueux que lui. Les Musulmans étaient animés aussi par la foi religieuse et ils s’élancèrent à la rencontre des Sikhs fanatiques avec une rage égale ; ces derniers furent défaits et perdirent leur chef. Randjit Singh envoya des troupes fraîches, mais les musulmans tinrent ferme et repoussérent toutes les attaques jusqu’au coucher du soleil, alors ayant perdu la moitié de leur monde, ils se maintinrent encore sur deux collines isolées. Randjit Singh ordonna à sa cavalerie de cerner l’ennemi dans ses positions, fit avancer les bataillons des Nadjibs et des Gourkhas pour les charger et les déloger. Deux fois ces troupes s’élancèrent à l’attaque et deux fois elles furent repoussées par leurs vaillans adversaires, tous les efforts de l’armée de Randjit Singh ne purent les forcer avant la nuit. Mais alors le reste de cette troupe valeureuse s’ouvrit un chemin à travers les postes des Sikhs et parvint à opérer sa retraite dans les montagnes sans être inquiétée.

Les Musulmans n’avaient pas eu plus de quatre ou cinq mille hommes engagés dans cette action, encore étaient-ce des montagnards et des cultivateurs qui étaient sortis de chez eux pour un ghazt, c’est-à-dire pour un combat contre les Sikhs infidèles. Ils n’avaient point de soldats disciplinés parmi eux, et cependant ils avaient résisté tout un jour à l’armée entière de Randijit Singh qui avait sous ses ordres au moins 24,000 hommes et encore de ses meilleures troupes. 1,000 hommes environ (le capitaine Wade dit 2,000) furent tués ou blessés du côté des Sikhs, et dans ce nombre figuraient quatre officiers de distinction, Phoula Singh Akali, Gharba Singh, Karam Singh de Tchahal, tous deux djagirdars, et Balbhadar Singh de Gourkha. Ce dernier était celui qui avait défendu Nalapani avec une résolution si remarquable contre les généraux Gillespie et Martindell au commencement de la guerre des Anglais contre le Népal. À la paix, il rentra dans son pays, mais ayant entretenu des intelligences coupables avec une femme mariée, il fut obligé de s’expatrier pour se soustraire à la loi du Népal, qui abandonnait sa vie à la discrétion de l’époux outragé. Ce fut alors qu’il vint prendre du service dans l’armée de Randjit Singh, où il mourut d’une manière digne de lui après de brillans faits d’armes[2].

Mohammed Azim Khan était, pendant la bataille des Ghazis (c’est-à-dire des combattans pour la foi), à Tchamkawa situé à quatre milles environ à l’est de Peshaver. Il ne fit aucun effort pour secourir ses partisans ; il était observé dans sa position par un corps sikh sous les ordres de Kripa Ram, Shir Singh et Hari Singh qui s’avançaient sur l’autre rive du fleuve. En apprenant la défaite et la dispersion des siens, il se retira à Djalalabad sur la route du Caboul, laissant la campagne à Randjit Singh et à son armée.

Le 17 mars, Randjit Singh entra à Peshaver et fit avancer ses troupes jusqu’à Kheïbar Darra qui fut pillé, les cultures furent détruites. Les Sikhs cependant eurent beaucoup à souffrir de l’activité et du fanatisme des populations musulmanes qui attaquaient les détachemens isolés et enlevaient les traînards ; pendant les nuits le camp était tenu dans de continuelles alarmes par leurs escarmouches audacieuses.

En avril, Randjit Singh s’assura de la soumission de Yar Mohammed Khan qui vint avec quelques beaux chevaux, parmi lesquels était le fameux Kahar, lui demander d’occuper Peshaver comme tributaire de Lahor. Le Sikh accepta avec plaisir ce projet d’établissement pour la ville et le territoire qui l’environne, et après l’avoir ratifié, il retourna dans sa capitale le 26 avril.

Mohammed Azim Khan mourut le mois suivant, et sa mort augmenta la confusion dans les affaires de l’Afghanistan. Tant qu’il vécut, on regarda comme chef de la famille et comme son successeur Fateh Khan, mais après sa mort, les nombreux frères et neveux de ce chef ne voulurent reconnaître l’autorité de personne, et leurs querelles couvrirent de crimes et de désordres la plus belle partie de l’Afghanistan. Mahmoud et son fils Kamran étaient enfermés dans la forteresse de la ville de Hérat, car hors des murs ils ne pouvaient faire respecter leur nom ni exercer aucune autorité.

Après le Dasrah, en octobre, l’armée sikhe réunie sous les ordres de Randjit Singh, fut conduite aux bouches de l’Indus, avec le dessein avoué de faire une attaque sur le Sindh. On passa le fleuve en novembre et on employa tout ce mois à réduire les villages des Bhatis, à lever des contributions sur les Beloutchis et les autres djagirdars dont les possessions touchaient la frontière nord du Sindh : Randjit Singh se contenta cependant de cette expédition, et fit rentrer en novembre l’armée dans son pays. À la fin de cette année mourut Sansar Tchand, radja de Kangra, qui eut pour successeur son fils Anrodh Tchand. On demanda un nazarana sur la succession, et comme le jeune radja faisait attendre le paiement, Randjit Singh le somma de se rendre en personne à sa résidence d’été de Adina-Nagar. Le faquir Aziz-oud-din persuada au radja d’obéir à la sommation et de transporter sa cour à Djawala Moukhi ; à son arrivée un échange de turbans fut fait, de mutuelles protestations d’amitié furent échangées entre lui et Kharak Singh pour le Darbar, et après quelques négociations, un lakh de roupies fut enfin proposé et payé par Anrodh Singh comme nazarana de la succession qu’il venait de recueillir.

Hari Singh de Nalowa, qui devait, avec des forces imposantes, surveiller la turbulente population musulmane des montagnes de Gandgarh et Darband, parvint, par ses procédés vexatoires et surtout par la prise de la belle-fille d’un Seïd, homme influent dans sa tribu, à déterminer une insurrection générale. Les insurgés étaient assez puissans pour forcer Hari Singh à rester sur la défensive, aussi écrivit-il à Randjit Singh, il lui représentait les difficultés de sa position et demandait des renforts. Randjit lui ordonna de faire bonne contenance, de se maintenir comme il pourrait, mais il ne lui envoya pas de secours, car les pluies commençaient à tomber et c’était chose impossible. Hari Singh, attaqué par l’ennemi, eut à souffrir de grandes pertes et fut contraint de se retirer devant les insurgés. L’armée sikhe, en conséquence de ces désastres, dut donc entrer en campagne plus tôt qu’à l’ordinaire, et se dirigea sur les montagnes entre l’Indus et le Cachemir, dès les premiers jours d’octobre. Le 19, Randjit avait pénétré, avec une division de ses troupes, jusqu’à Gandgarh ; mais il n’y trouva que des murs abandonnés et des maisons désertes, la population s’était dispersée ; la ville et les villages environnans furent pillés et saccagés, les moissons encore vertes furent coupées pour les fourrages. Randjit Singh, voulant atteindre les fuyards, se détermina à passer l’Indus après eux, entreprise où il perdit du monde mais qui s’accomplit le 3 novembre. Lorsque l’armée fut sur l’autre rive, Mohammed Yar Kan fut sommé de venir trouver son suzerain à Peshaver, ce qu’il fit, en effet, après quelque hésitation, le 16 novembre. Il amenait avec lui un présent de chevaux qui furent d’abord refusés comme étant de trop peu de valeur ; mais il parvint à faire accepter son offrande en les remplaçant par d’autres d’un plus grand prix, et alors les conditions sous lesquelles il gouvernait Peshaver furent renouvelées avec de nouvelles protestations de fidélité de sa part. Le 30 novembre, l’armée sikhe repassa l’Indus, non sans éprouver de nouvelles pertes par la profondeur et le mauvais lit du fleuve. Le 10 décembre, Randjit Singh rentra dans sa capitale mécontent du peu de résultat d’une expédition pour laquelle il avait fait de grandes dépenses, sans pouvoir cependant parvenir à châtier la turbulence des Musulmans insurgés ; mécontent aussi de n’avoir levé sur sa route que de faibles tributs, que de légères contributions. Il n’entreprit pas de nouvelle expédition en 1824, ni pendant la première partie de l’année suivante.

Le gouvernement anglais avait commencé la guerre contre les Birmans, et Randjit paraissait en suivre avec un vif intérêt les événemens et les opérations. Des rapports fort exagérés furent d’abord répandus sur les succès des Birmans, et il ne manquait pas de conseillers pour dire au prince sikh que le temps approchait où il lui faudrait ouvrir la campagne du côté de l’est. Ce fut à cette époque que M. Moorcroft envoya à Calcutta une lettre du prince de Nesselrode, ministre des affaires étrangères en Russie ; dans cette lettre adressée à Randjit Singh, on lui demandait l’introduction auprès de lui d’un agent nommé Agha Mehdi. Cet agent voulut, à ce qu’il paraît, pénétrer à Lahor par la route difficile du Thibet, mais il mourut ou fut tué à peu de distance de Ladak. M. Moorcroft parvint à se faire rendre ses papiers, et parmi eux la lettre en question, qu’il fit traduire ensuite par M. Ksoma de Koros avec lequel il s’était rencontré dans ses voyages. La lettre, excepté le passage relatif à l’introduction d’un agent, ne contenait rien que des complimens et des assurances de protection pour les marchands du Penjab que leurs affaires pourraient amener sur le territoire de l’empire russe.

Aucune entreprise militaire ne fut tentée dans la saison de 1824-25 ; mais vers avril 1825, toutes les terres des djagirs et celles assignées particulièrement au dewan Mokham Tchand, furent mises sous le séquestre et données à Moti Tchand par Kripa Ram, le petit-fils du dewan. La mauvaise administration des djagirs, les contingens insuffisans fournis par Mokham Tchand, telles furent les raisons qu’on donna de ce séquestre ; quant à Moti Ram, il conserva son gouvernement du Cachemir, et comme conséquence de ce séquestre, il n’eut à redouter aucun avanie, ni même à voir diminuer la faveur dont il jouissait.

Après le Dasrah de 1825, l’armée entra en campagne avec le but avoué d’une expédition contre le Sindh. Randjit Singh dirigea donc ses troupes sur Pind Dadar Khan, mais là, apprenant que le Sindh était en proie à la famine, il abandonna son dessein et retourna à Lahor, le 24 novembre. Un agent qu’il envoya dans le Sindh pour réclamer le tribut, revint avec des vakils (envoyés) des émirs, souverains du pays ; ils résidèrent pendant quelque temps à Lahor. Ce fut à cette époque que l’associé fidèle jusqu’alors, et le frère (religieusement) de Randijit Singh, Fateh Sing Alouwala, conçut quelquesdoutes sur sa sûreté au darbar de Lahor, et abandomna soudainement la capitale pour chercher un asile dans ses possessions de la rive du Satledj protégée par l’Angleterre. Randjit Singh fut très mécontent de la fuite soudaine de son ancien allié, et fit les plus grands efforts pour engager ce prince à revenir et à reprendre sa place dans son darbar. Les officiers anglais lui ayant confirmé l’assurance que ses terres placées sous la protection de leur gouvernement étaient inviolables, il pensa que de vagues soupçons ne pouvaient être un motif suffisant pour briser les liens d’amitié qui avaient subsisté si long-temps entre Randjit et lui. Aussi, peu de temps après, c’est-à-dire en avril 1827, il céda aux invitations du souverain de Lahor et reprit sa place au darbar. Il fut très bien reçu, le roi lui ayant envoyé son petit-fils Nou Nihal pour lui faire la conduite d’honneur. Mais il fut bientôt exposé à la rapacité de Randjit qui exigea de lui des tributs, et voulut lui faire payer une rente exorbitante pour des terres qu’il avait possédées librement jusque-là, par la générosité de son frère.

L’année 1826 se passa sans autre entreprise militaire ou événement d’importance. Zadig Mohammed Khan, le nabab de Bahawalpour, mourut en avril et eut pour successeur Bahawal Khan, nabab actuel, qui renouvela avec Randjit les conditions et engagemens de son père, pour le territoire qu’il occupait à l’ouest et au nord du Satledj. En septembre la question s’éleva de savoir si Koutab-oud-din de Kasour pouvait être reçu sous la protection anglaise, comme propriétaire de Mandot et Ramnawala, sur la rive gauche du Satledj. Les relations de vassalité qu’avait eues ce chef avec Randjit Singh, pour ces mêmes terres, comme pour ses autres possessions, déterminèrent le gouvernement anglais à lui ôter l’espoir d’être reçu sous la protection anglaise comme chef indépendant. Une malheureuse tentative de Bir Singh, ex-radja de Nourpour, dans les montagnes, pour recouvrer le territoire dont il avait été dépossédé en 1816, tel est le seul événement intéressant de l’année. C’est aux infirmités de Randjit qu’il faut attribuer l’inactivité de l’armée sikhe ; ses souffrances s’accrurent à tel point que vers la fin de l’année il demanda au gouvernement anglais de lui adresser un médecin ; le docteur Andrew Murray fut envoyé de Loudiana pour se rendre auprès de Son Altesse (his Highness).

Au commencement de l’année 1827, le réformateur Seïd Ahmed releva le grand étendard de Mahomet dans les montagnes habitées par les Youssoufzis, et commença la guerre religieuse contre les Sikhs. Cet homme avait d’abord été officier subalterne dans la cavalerie de Emir Khan. Lorsque la fortune militaire de ce dernier commença à décliner, vers 1818 ou 1819, Seid Ahmed devint Musulman fanatique, et feignant de recevoir des révélations particulières de la divinité, il se rendit à Delhi, où il s’associa avec quelques saints Moulavis de cette ville. Quelques-uns d’entre eux réunirent ses révélations dans un livre qui fournit les textes dont le Seïd, ses associés et ses disciples se servirent pour prêcher contre quelques irrégularités qui s’étaient introduites dans les pratiques de l’islamisme. Tel était le culte rendu par les Musulmans de l’Hindoustan aux tombeaux des saints, la manière dont ils célébraient la mort de Hassan et Hussein, les fils de Ali, et autres coutumes semblables que ces réformateurs dénoncèrent comme idolâtres et des déviations des préceptes du Koran. En 1822, le Seïd Ahmed vint à Calcutta, où il fut bien accueilli de la population musulmane. Il s’y embarqua pour faire le pélerinage de la Mecque. À son retour il traversa l’Hindoustan et annonça son intention de dévouer sa vie au service de sa religion en faisant une sainte guerre d’extermination aux Sikhs infidèles. Quelques fanatiques se joignirent à lui et des secours d’argent lui arrivèrent de toutes les parties des possessions anglaises. Ainsi armé et préparé, il parvint jusque dans les montagnes, près de Peshaver, et leva le Djindha de Mahomet, comme nous l’avons dit, chez les Musulmans Youssoufzis. Le caractère redoutable d’une insurrection si fortement organisée força Randjit Singh à envoyer des forces condérables au-delà d’Attak, pour protéger Kheïrabad et défendre ses intérêts dans le pays. Au mois de mars 1827 le Seïd, à la tête d’une innombrable armée irrégulière, osa attaquer l’armée sikhe, qui était commandée par Boudh Singh Sindouvali, et avait élevé des ouvrages pour se fortifier dans ses positions. La discipline des Sikhs, la supériorité de leurs armes leur assurèrent une victoire aisée, et le Seïd, complètement battu, se retira, avec les siens, dans les montagnes, d’où il fit une guerre de surprises et d’embuscades, dirigée contre les convois et les partis isolés de l’ennemi.

Lord Amherst passa l’été de l’année 1827 à la station de Shimla, près Soubathou, dans les montagnes à l’est du Satledj. C’est sans doute en voyant le gouverneur-général si près de Lahor que Randjit Singh songea à envoyer à Sa Seigneurie une députation pour la complimenter et lui remettre des présens, au nombre desquels se trouvait une magnifique tente de cachemires pour le roi d’Angleterre. La députation fut reçue avec distinction et chargée de rapporter des complimens au prince sikh. Le capitaine Wade, résident à Loudiana, qui conduisait toutes les négociations avec ce prince, fut député à Lahor avec quelques officiers de la suite personnelle du gouverneur-général, chargés de présens et accompagnés d’une escorte convenable, pour exprimer à S. A. toute la satisfaction que causaient au gouverneur-général les liens de bienveillance et de cordialité établis entre les deux états. En 1828 le commandant en chef anglais, lord Combermere, passa l’été à Shimla et y reçut aussi de la part de Randjit Singh un vakil (messager), chargé de lui offrir ses complimens. S. S. eût désiré une invitation personnelle de se rendre à Lahor, mais le prince sikh sut éviter d’y répondre.

Au darbar de Lahor la plus grande faveur du souverain se partageait alors entre Radja Dhian Singh, le chambellan et ses frères Goulab Singh et Soutchet Singh, Mians de Djammou, où leur influence avait été rétablie sous l’autorité de Randjit Singh, qui avait fait, en 1819, de cette place un djagir en leur faveur, comme nous l’avons dit. Hira Sing, enfant de douze ans environ, fils du radja Dhian Singh, était l’objet de la faveur particulière de Randjit Singh, qui ne pouvait se passer de le voir et paraissait prendre plaisir à tous ses caprices. Il avait été nommé radja en même temps que son père et ses oncles, et Randjit Singh s’occupait de lui faire faire un brillant mariage. Ce fut alors que le radja Anrodh Tchand, fils de Sansar Tchand de Kangra, vint avec sa famille rendre visite à son suzerain ; il devait aussi assister, sur sa route, au mariage du fils de l’Alouwala, Nihal Singh. Il avait amené avec lui deux sœurs, sur qui le radja Dhian Singh jeta les yeux pour les unir à sa famille par une alliance. L’orgueil du chef montagnard s’irrita à la proposition d’une alliance qu’il regardait comme si peu digne de lui, mais l’influence de Randjit Singh lui arracha une promesse écrite par laquelle il disposait de la main des deux jeunes femmes. Mais la mère de Anrodh Tchand les enleva et se réfugia avec elles, sous la protection anglaise, dans les montagnes, où Anrodh Tchand la suivit bientôt, laissant ses biens situés sur l’autre rive du Satledj, à la merci de Randijit Singh, qui les séquestra et se les fit remettre sans aucune résistance par Fateh Tchand, frère de Anrodh. Une khawas, ou concubine du radja Sansar Tchand, nommée Gaddan, était alors séparée de la famille, elle tomba dans les mains de Randjit Singh, avec plusieurs enfans qu’elle avait eus du dernier radja. Le prince sikh épousa lui-même deux des filles et conféra au fils le titre de radja, avec un djagir considérable. Les noces de Hira Singh furent célébrées à la même époque avec une grande magnificence, quoiqu’aucun membre de la famille Kangra n’y fût présent.

Dans le cours de 1829, le Seïd Ahmed rentra en campagne avec des forces considérables et dirigea sa vengeance contre Yar Mohammed Khan qui, disait-il, avait trahi la cause de la religion en jurant fidélité aux Sikhs et acceptant du service parmi eux. À l’approche du Seïd, Mohammed sortit de Peshaver avec toutes les troupes qu’il put rassembler pour sa défense. Mais dans l’action qui s’engagea il reçut une blessure mortelle et ses troupes furent dispersées. Peshaver fut conservé à Randjit Singh par la présence opportune du général Ventura qui était venu suivi d’une petite escorte pour traiter avec Yar Mohammed Khan de la remise d’un cheval fameux nommé Leïl. Ce cheval avait été demandé l’année précédente, mais les Afghans répondirent qu’il était mort. La fausseté de cette assertion ayant été découverte, un engagement écrit fut arraché à Yar Mohammed par lequel il promettait de rendre le précieux animal ; Monsieur Ventura venait pour presser l’exécution de cette promesse. À la mort de Yar Mohammed il prit sur lui de faire les dispositions nécessaires à la défense de Peshaver et demanda à Randjit Singh des instructions sur ce qu’il avait à faire. Celui-ci dirigea sur la ville pour la délivrer Sultan Mohammed Khan, frère de Yar Mohammed, et recommanda de s’assurer de Leïl comme préliminaire indispensable. Monsieur Ventura réussit dans la négociation et emmena le cheval en laissant le gouvernement de Peshaver entre les mains de Sultan Mohammed.

À peine M. Ventura était-il parti que le Seïd Ahmed reparut avec son armée de Youssoufzis devant Peshaver. Sultan Mohammed hasarda une bataille contre lui et fut défait, ce qui mit pendant quelque temps Peshaver sous le pouvoir de ce chef fanatique. Randjit Singh entra en campagne avec son armée au commencement de 1830. pour punir les insurgés. Lorsqu’il eut passé Attak et qu’il approcha de Peshaver, les forces des insurgés se dispersèrent devant lui, et il ne put les atteindre. Il laissa un fort détachement au-delà de l’Indus, pour être prêt à tout événement, et après avoir rétabli Sultan Mohammed dans son gouvernement, il retourna à Lahor. Ce chef, après le départ de Randjit Singh, jugea convenable de faire un traité avec le Seïd Ahmed qui était revenu et qu’une attaque subite avait rendu maître de Peshaver. Le gouverneur s’engageait à laisser passer librement les hommes et les munitions destinés au réformateur, à remettre l’administration de la justice dans la ville de Peshaver aux mains d’un certain kazi et d’autres disciples de la foi réformée, et enfin à payer au Seïd un tribut mensuel de 3,000 roupies. À ces conditions la ville fut rendue à Mohammed, mais le Seïd ne se fut pas plutôt retiré que le kazi et les deux moulavis laissés pour administrer la justice selon les principes réformés, furent massacrés dans une sédition populaire. La position du Seïd Ahmed était devenue très difficile, car il avait offensé les Youssoufzis par quelques innovations qu’il voulait introduire dans la cérémonie du mariage, et il avait alarmé la population par l’annonce qu’il avait faite d’une dîme à percevoir sur les biens et les revenus pour soutenir la religion et l’état. Les montagnards sauvages et ignorans se révoltèrent contre l’autorité du nouveau prophète, et, non contens d’abjurer sa doctrine, le forcèrent avec ses partisans les plus déclarés à quitter leurs montagnes. Il passa l’Indus et trouva pendant quelque temps un asile dans les montagnes de Pekli et Dhamsar. Mais Radjit Singh envoya contre lui un détachement, commandé par Shir Singh, qui eut au commencement de 1831 le bonheur de le rencontrer. Dans la courte mais sanglante action qui s’ensuivit, les forces du Seïd furent dispersées et lui-même y périt. Sa tête fut coupée et envoyée à Lahor pour y être reconnue et que l’identité fut constatée. Mais ses disciples de l’Hindoustan ont peine à croire qu’il soit mort, et ils conservent l’espérance de le voir reparaître un jour d’une manière brillante et déployer sa valeur dans quelque grande action pour le triomphe de l’islamisme et l’accroissément de la puissance des fidèles.

Depuis la mort du Seïd, Peshaver a été tranquille surtout par rapport au passé, il n’y a plus eu d’occasion pour l’armée sikhe de rentrer en campagne ni pour Randjit Singh de faire quelque entreprise militaire importante.

  1. L’auteur anglais a été induit en erreur. Dal Singh mourut plus tard frappé d’une balle qu’il reçut dans un combat sur les bords de l’Indus contre les Yousoufzis. Ce renseignement nous a été donné par le général Allard.
  2. Le général Allard, qui assistait à cette bataille, ne s’accorde pas avec l’auteur anglais. Il dit que l’armée mahométane était beaucoup plus nombreuse, qu’elle y perdit tous ses bagages et son artillerie. Elle fut jetée dans le fleuve, où elle périt presque tout entière, et le petit nombre de ceux qui échappèrent ne durent leur salut qu’à la nuit, qui empêcha de les poursuivre. Ils se réfugièrent à Peshaver.