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Origine et progrès de la puissance des Sikhs/Chapitre X

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CHAPITRE X.


Mission du lieutenant Burnes. — Il amène des chevaux de trait à Randjit Singh. — Son voyage à travers le Sindh, et remontant l’Indus et le Ravi jusqu’à Lahor. — Députation envoyée à lord William Bentinck à Shimla. — Entrevue du gouverneur-général et de Randjit Singh en octobre 1831. — Traité de commerce entre le gouvernement anglais et le Sindh.


1829-1831.


Lorsqu’en 1828 Lord Amherst retourna en Europe, il emporta la tente de cachemires offerte par Randjit Singh au roi d’Angleterre. Il fut résolu qu’on enverrait d’Angleterre des présens en échange de ceux qu’on avait reçus. On fit un choix fort extraordinaire ; nous ne savons pas qui l’a conseillé. On devait envoyer à Randjit Singh de la part de Sa Majesté, un attelage de chevaux de carrosse, quatre jumens et un étalon. On pensait qu’avec son amour pour les chevaux Randjit Singh ferait élever cet animal avec soin et serait enchanté d’avoir des jumens de haute taille pour en croiser la race avec les élèves du Penjab. Mais en réalité Randjit Singh n’a ni goût ni établissement pour l’élève des chevaux et n’aime que les chevaux entiers de haut courage qui, domptés dans les manèges de l’Hindoustan, peuvent le porter à la parade et en voyage ou être donnés à ses serdars et à ses favoris. C’est ce que prouva l’événement, car lorsque les chevaux arrivèrent à sa cour, il remit aussitôt l’étalon entre le mains d’un écuyer chargé de le dresser à marcher le pas ordinaire. L’animal avec sa grosse tête et ses larges flancs se tient toujours dans la cour du palais ou devant la tente du roi, couvert d’une selle dorée et de harnais tout brillans de pierres précieuses en attendant, ce qui arrive quelquefois, qu’il ait l’honneur d’être monté par Randjit Singh en personne. Pour les jumens on ne les regarde pas, le roi les abandonne avec la plus profonde indifférence. Mais c’est anticiper sur notre histoire que de dire quel fut le sort de ces animaux à leur arrivée ; leurs aventures sur la route de Lahor méritent tout l’intérêt du lecteur.

On avait résolu de faire de la transmission de ces présens un moyen d’obtenir des renseignemens sur l’Indus, sur les facilités ou les obstacles qu’il présente à la navigation. Les récentes victoires de la Russie dans la Perse, l’apparence qué cette puissance est loin de borner là ses desseins présens ou à venir, lorsque la succession d’Abbas Mirza au trône de Perse fera de ce royaume une province de la Russie, était un motif suffisant pour engager à réunir tous les documens sur les états frontières de l’Inde et en particulier sur les moyens de défense que présente le grand fleuve Indus. Les chevaux de trait furent donc envoyés à Bombay et le gouvernement suprême ordonna à sir John Malcolm, gouverneur de cette présidence, de prendre ses mesures pour les diriger à destination sous la conduite d’un officier intelligent et prudent par les bateaux de l’Indus. On n’était pas assuré que les chefs sindhis livrassent passage à travers le delta et le cours inférieur du fleuve, mais on présumait que les émirs, placés comme ils sont entre les états de Randjit Singh et les possessions anglaises, n’oseraient pas offenser les deux puissances en refusant le passage si on le leur demandait.

Sir John Malcolm ayant reçu les chevaux, les dirigea sur le Cotch et chargéa de la mission à Lahor le lieutenant Burnes, aide-de-camp du colonel Pottinger, qui était chargé de l’administration politique de ce district et des relations anglaises avec le Sindh. Le jeune officier à qui cette tâche fut confiée avait travaillé dans le département du quartier-maître-général et était capable, à tous égards, de répondre à ce qu’on attendait de lui. On lui adjoignit l’enseigne Leekie pour l’accompagner et le remplacer en cas de malheur. Les chevaux sans voiture eussent été un présent inutile à Randjit Singh, aussi sir John Malcolm en acheta une sur ses propres fonds. Le magnifique carrosse envoyé à S. A. par lord Minto, en 1810, après avoir servi pendant quelques jours comme une curiosité, avait été bientôt relégué dans le grand arsenal de Lahor. La voiture et les chevaux, embarqués sur un navire, partirent du Cotch vers la fin de 1830. Sir John Malcolm pensa qu’il serait plus favorable à son dessein de les envoyer sans faire prévenir par avis ou par lettre les émirs du Sindh, il comptait que la nécessité où ils se trouveraient de prononcer sans retard contribuerait au succès de l’expédition.

Le lieutenant Burnes partit donc emportant avec lui des lettres pour annoncer l’objet de sa visite, et entra bientôt avec son navire dans une branche de l’Indus. En passant près de la première ville habitée il envoya ses dépêches en avant à Haïderabad, Après s’être arrêté quelques jours il reçut, le 1er février, un officier et son escorte, partis de Daradji, pour l’inviter à redescendre le fleuve jusqu’à l’arrivée des ordres qu’on attendait de Haïderabad. Il se rendit à cette invitation, mais il eut tant à souffrir de la grossièreté des Karatchis qui avaient relevé les Daradjis, qu’il prit le parti de revenir dans le Cotch jusqu’à ce que les émirs eussent décidé quelque chose à son égard. Mais comme leur réponse se faisait trop attendre, le lieutenant Burnes repartit pour l’Indus et entra dans la branche nommée Peïtiani. La permission d’avancer étant toujours refusée, et même la crue des eaux se faisant sentir, le lieutenant Burnes jugea convenable de retourner sur ses pas et faillit périr dans une tempête qui battit son vaisseau et le jeta sur la barre, à l’embouchure du bras Peïtiani. Le mois de février s’écoula dans ces tentatives infructueuses pour pénétrer plus loin. La répugnance des émirs à accorder le passage paraissait invincible. Ils fondaient alors leurs refus principalement sur la difficulté de la navigation et sur l’état de trouble où se trouvait le pays compris entre le Sindh et Lahor ; deux motifs qu’ils exagéraient dans l’intention de dissuader le lieutenant Burnes de suivre la route du fleuve. La mission étant retournée dans le Cotch, le 23 février le colonel Pottinger ouvrit une correspondance avec les émirs et envoya un agent à Haïderabad pour essayer de vaincre leur répugnance. Il passait légèrement sur la difficulté prétendue de la navigation et sur les dangers qui pourraient naître de l’état du pays, mais il prétendit que les chevaux et la voiture ne pouvaient parvenir par une autre voie que par celle du fleuve, de sorte que ce serait blesser deux gouvernemens que de leur refuser le passage. La saison de 1831 avançait toujours et cependant le conseil de Haïderabad tardait encore à faire connaître sa résolution. Enfin une lettre vigoureuse du colonel Pottinger convainquit les chefs, et en particulier Mir Mourad Ali, le souverain du pays, que le passage pour les chevaux et les autres présens destinés à Lahor ne pouvait se refuser sans inconvenance. La permission demandée fut donc accordée et le lieutenant Burnes repartit le 10 mars et entra dans la branche nommée Rachel par Kourachi Bender, le chenal du fleuve qui avance le plus vers l’ouest. Des difficultés furent encore faites et des délais apportés, ce qui détermina le lieutenant Burnes à se rendre par terre à Haïderabad, dans l’espérance qu’il lèverait enfin ces obstacles en traitant personnellement avec le conseil ; mais il n’avança pas plus loin que Tatta, où, après beaucoup de discussions, il reçut enfin la permission de passer par la route de l’Indus. On lui fournit alors des bateaux du pays, tous les secours lui furent offerts pour rendre son voyage à Haïderabad plus facile ; on ne voulait rien négliger de tout ce qui pouvait lui faire oublier le traitement peu hospitalier dont il avait eu d’abord à se plaindre. À la capitale il fut reçu au darbar avec grande distinction ; un chef d’un rang élevé fut désigné pour venir au-devant de lui, et les meilleurs bateaux de la rivière, même ceux de l’émir gouvernant lui-même, furent mis à son service. Partout, dans le Sindh, il rencontra la même attention. Il s’avança de Tatta à Haïderabad, après un court séjour à Bhakar, faisant de nombreuses observations y que favorisait la marche lente des bateaux. La mission atteignit Tatta le 15 et Haïderabad le 18 avril 1831, et le mois de mai s’écoula avant qu’il eût quitté l’Indus pour entrer dans le Tchenab. Les eaux du fleuve étaient alors au plus bas, mais on ne rencontra ni obstacles ni difficultés dans sa navigation.

Il faut dire ici que le Sindh est divisé en trois gouvernemens indépendans : le premier est de beaucoup le plus considérable, c’est le pays de Haïderabad, gouverné alors par Mir[1] Mourad Ali, le dernier survivant de quatre frères, qui, en 1780, firent la révolution dont le résultat donna le gouvernement aux mirs actuels de Talpour. La seconde partie est celle de Kheïrpour, au nord de Haïderabad, et étendue des deux côtes sur le fleuve Indus. Son gouverneur actuel est Mir Roustam Khan, fils aîné de Mir Souhrab Khan, mort récemment. Le troisième gouvernement est celui de Mirpour, situé près du Cotch et administré par Mir Ali Mourad Khan. Ces subdivisions viennent d’un partage qui se fit entre les principaux conspirateurs, dont les efforts ont mis le sceptre aux mains des Talpour.

Après avoir traversé le territoire de Haïderabad, le lieutenant Burnes fut reçu avec encore plus d’attention et de gracieuseté par le prince de Kheïrpour, qui manifesta un vif désir d’entretenir des relations plus intimes qu’il n’avait fait jusqu’alors avec le gouvernement anglais, et chargea le lieutenant Burnes d’une communication à faire au gouverneur-général. C’est ainsi que la mission arriva jnsqu’au territoire du nabab de Bahawalpour sans éprouver le moindre danger ou empêchement. On ne trouva pas moins, en cet endroit, de huit pieds d’eau, et cependant le courant était modéré, facile à surmonter même lorsqu’il était resserré entre des rochers ou par les accidens du terrain. Pendant le mois de mai la navigation est arrêtée sur le Gange par des vents de l’ouest violens, ou par le manque d’eau ; à cette époque aucune difficulté de ce genre n’intercepte le passage sur l’Indus. Le chef de Bahawalpour était déja en relation politique avec Randjit Singh et le gouvernement anglais, aussi le lieutenant Burnes était sûr d’en recevoir toute espèce de services. Le 30 mai la petite flotte toucha Mittankot et, s’embarquant sur d’autres bateaux préparés par le chef de Daoudpoutra (Bihawal Khan), entra dans le Tchenab, ou, comme on dit quelquefois, le Penjnab, faisant allusion à la réunion de tous les cours d’eaux du Penjab qui sont affluens de ce fleuve. Un peu plus bas que Moultan, l’escorte envoyée par Randjit Singh, pour recevoir et accompagner le présent royal[2], rencontra le lieutenant Burnes et lui offrit des bateaux du Penjab, destinés à la navigation du sinueux Ravi. Le lieutenant s’y embarqua avec sa suite, le 12 juin, et atteignit bientôt Moultan. Le confluent du Ravi et du Satledj est plus loin, et on ne put atteindre cette rivière que le 23 juin. La saison des pluies y vint arrêter la mission et ralentir sa marche, car elle ne pouvait avancer qu’avec le secours du cordeau.

Le 17 juillet le lieutenant Burnes atteignit Lahor où son arrivée avec les présens du roi d’Angleterre et de la lettre de lord Ellenborough dont ils étaient accompagnés, fit le plus grand plaisir à Randjit Singh. Les attentions dont il honora le lieutenant Burnes furent très marquées, et il invita le capitaine Wade à venir de Loudiana pour assister à la cérémonie de réception. De Lahor le lieutenant Burnes alla à Shimla rendre compte de sa mission au gouverneur-général, et remettre à Sa Seigneurie tous les renseignemens qu’il avait rassemblés. Cet officier zélé et entreprenant obtint de Sa Seigneurie la permission de se rendre à la présidence de Bombay en explorant la route par le Penjab, Caboul, Balk, Boukhara et la Perse, pour ajouter ainsi à ce qu’on savait sur cette route si peu connue et à tous les renseignemens qu’il avait déja recueillis par lui-même[3]. Les dispositions favorables qui semblaient animer le souverain de Lahor, firent espérer à lord William Bentinck que la proposition d’une entrevue entre Randjit Singh et lui serait probablement bien reçue. Il manda en conséquence au capitaine Wade, tandis qu’il se trouvait à Lahor, de sonder les conseillers intimes de ce prince à ce sujet. Randjit Singh, comme s’il eût été prévenu par Sa Seigneurie, manifesta un grand désir de se rendre à cette réunion, mais quelques difficultés s’élevèrent sur l’étiquette. Randjit Singh attendait une ambassade en retour de celle qu’il avait envoyée à Sa Seigneurie et composée comme celle qu’il avait adressée à lord Amherst. Elle avait été reçue par lord William Bentinck en avril peu de temps après son arrivée à Shimla. Elle se composait de Dewan Mouti Ram, fils de Mokkam Tchand, Hari Singh Serdar, le faquir Aziz-oud-din en était le secrétaire. Ces personnages avaient été traités par le gouverneur-général avec beaucoup de distinction, et on avait promis en retour, ou plutôt on avait désigné, une ambassade de quelques-uns des principaux officiers de la suite de Sa Seigneurie. L’entrevue des chefs des deux puissances devait priver Randjit Singh du plaisir de la recevoir. Deux cas en effet allaient se présenter, ou le temps manquerait, car le voyage projeté du gouverneur-général à Adjmir et daus le Radjpoutana exigeait, si l’entrevue devait avoirlieu, que ce fût avant la fin d’octobre, ou bien, si une ambassade officielle était envoyée immédiatement avant l’entrévue, elle aurait pu paraître aux yeux du monde destinée à prier et engager le prince sikh à se rendre à cette entrevue, tandis que le rang et la position du chef du gouverneur anglais lui demandait de faire rechercher l’honneur d’une conférence personnelle avec lui.

Avec une générosité que son caractère devait faire espérer, Randjit Singh, qui avait arrêté cette entrevue dans son esprit, passa sur le point d’étiquette et des deux côtés on fit des préparatifs pour s’y rendre. Elle devait avoir lieu vers le 20 octobre sur les bords du Satledj, sans être précédée d’aucune ambassade ; les environs de Roupour furent ensuite fixés comme le lieu le plus couvenable.

Pour donner tout l’éclat désirable à cette cérémonie et s’environner d’une brillante escorte, le gouverneur-général fit venir à Roupour de Mirat et Karnal deux escadrons de lanciers européens avec le corps de musique du régiment (16e régiment de lanciers), un régiment européen (31e d’infanterie), deux bataillons d’infanterie indigène (14e et 32e), huit pièces de l’artillerie à cheval et enfin deux escadrons de la cavalerie irrégulière, commandés par le colonel Skinner. L’escorte était ainsi composée pour déployer aux yeux de Randjit Singh autant de variété qu’il serait possible, et en effet sa curiosité se porta surtout sur la formation et l’équipement des armes et des divers corps de notre force militaire. La marche des Européens sur le territoire sikh fut une occasion de scandale pour la population qui apprit qu’un bœuf avait été tué pour la nourriture des troupes. L’animal fut abattu pendant la nuit aussi secrètement que possible, le fait transpira cependant et excita les plaintes des serdars sikhs. On leur répondit qu’ils n’avaient pas à s’occuper de se qui se passait dans le camp anglais où nos usages devaient naturellement prévaloir contre leurs scrupules, et que d’ailleurs on avait pris toutes les précautions pour prévenir tout ce qui pourrait les offenser. Nul doute que les préjugés des Sikhs ne furent blessés, mais c’eût été d’une fort mauvaise politique de céder sur ce point. En effet, si l’on se fût soumis, que ferait-on maintenant dans le cas où il faudrait introduire dans le pays un nombre considérable de soldats européens ? N’exigerait-on pas une nouvelle concession lorsque peut-être il serait impossible de l’accorder ? La population ignorant nos usages, et peu préparée à les subir, ne serait-elle pas excitée contre nous autant par les inconvéniens résultant de notre occupation, que par le souvenir des concessions déjà faites à leurs idées religieuses.

Les troupes étant arrivées à Roupour, le gouverneur-général, qui avait quitté Shimla le 19 octobre, et avait profité de l’occasion favorable qui se présentait, pour faire une excursion dans les montagnes avec une suite peu nombreuse, arriva au camp dans la soirée du 22. Randjit Singh se rendit au camp qu’il avait établi sur la rive opposée du Satledj, dans la matinée du 25, escorté par 10,000 de ses meilleurs cavaliers et environ 6,000 hommes d’infanterie. Il reçut immédiatement une députation de la part du gouverneur-général, elle se composait du major-général Ramsay, frère du commandant en chef, lord Dalhousie, et du principal secrétaire de Sa Seigneurie. Kounwar Kharak Singh, avec six des principaux serdars sikhs, se rendit en mêmetemps auprès du gouverneur-général pour lui présenter les complimens du maha-radja. Il était convenu que Randjit Singh viendrait visiter le gouverneur-général le lendemain matin.

Le moment de l’entrevue approchant, Randjit Singh commença à éprouver quelqu’inquiétude, à craindre que quelque trahison ou quelque lâche manœuvre n’eût été tramée contre lui ; pendant la nuit, il envoya dire à M. Allard qu’il ne voulait pas se rendre à la conférence du matin. M. Allard se rendit de suite auprès de lui et chercha à dissiper ses soupçons, à lui rendre la confiance, offrant même de répondre, sur sa tête, qu’il ne lui serait rien fait qui pût lui être désagréable. Il quitta le maha-radja encore irrésolu ; car il fit appeler les astrologues. Ceux-ci consultèrent le Granth et déclarèrent que les résultats étaient favorables, mais ils conseillèrent à Son Altesse de porter avec elle quelques fruits qu’elle présenterait au gouverneur-général et à son secrétaire : si on les acceptait sans réflexion c’était un bon présage, elle devait s’avancer en toute assurance et le résultat de l’entrevue lui serait avantageux. Le matin du 26 octobre, une députation vint chercher le maha-radja pour le conduire au camp anglais, il était prêt depuis le lever du soleil. Un pont de bateaux plats avait été jeté sur le Satledj pour la commodité des communications. Randjit Singh y fit passer avant lui environ 3,000 hommes de sa cavalerie ghourchar, habillée de soie jaune, et 800 dragons formés par M. Allard. Il prit alors son déjeûner composé d’un cordial très épicé et envoya prévenir les chefs de sa suite de venir avec leurs éléphans. Tout cela prit du temps, car les bateaux étaient assez faibles et ne pouvaient d’ailleurs livrer passage qu’à un très petit nombre d’éléphans à la fois. Enfin Son Altesse passa en personne, et alors, pour prévenir la confusion, elle fit placer une garde au pont avec ordre d’empêcher toute personne de son camp de passer la rivière. Suivi de son escorte, Randjit s’avança dans la plaine à l’extrémité de laquelle était assis le camp du gouverneur-général. Au centre, les troupes anglaises avaient formé la haie, et en arrivant au bout de la ligne, le radja s’arrêta à examiner chaque corps ; il fit une multitude de questions sur les équipemens, il s’informa de l’usage et du prix de chaque objet qui excita sa surprise. Au milieu de la haie il rencontra le gouverneur-général et lui présenta les fruits que ses astrologues lui avaient recommandés, ils furent acceptés de suite. Son Altesse passa alors dans le houda du gouverneur-général, et les deux chefs se dirigèrent ensemble vers les tentes d’audience qui avaient été préparées. Dans l’une d’elles tous les officiers européens étaient rassemblés, Randjit Singh s’y arrêta quelques instans pour que chacun d’eux lui fût présenté, et puis passa outre. Dans une autre tente des fauteuils étaient prêts, le maha-radja, avec quelques-uns des chefs qui lui obéissent et des officiers de sa suite, y fut conduit par le gouverneur-général pour y commencer une conversation plus intime. C’était une chose curieuse de voir toutes les peines que prenait Randjit Singh pour remplir dignement son personnage dans cette cérémonie. Il allait à la porte de la tente, il appelait, il conduisait lui-même les chefs qui devaient pénétrer dans l’intérieur, il les faisait marcher devant lui pour prévenir le désordre et la confusion. Ils étaient tous comme lui habillés du jaune qui compose, avec le vert tendre, les couleurs favorites de sa cour, appelées basantis, c’est-à-dire couleurs du printemps. Quelques-uns portaient de brillantes armures avec des écharpes jaunes, la magnificence de leur tenue était très remarquable. La curiosité et l’apparente franchise du chef sikh furent cause que la conférence se passa avec beaucoup plus de vivacité que ce n’est l’usage dans des circonstances si solennelles. Des présens composés de différentes étoffes envoyés à l’avance de Calcutta, Dacca, Benarès, des armes et des bijoux de prix, un bel éléphant birman, deux jeunes chevaux de choix élevés au haras de Hissar, furent amenés ou passés en revue devant Son Altesse. Des habits d’honneur, et des présens furent aussi offerts à l’héritier présomptif et à d’autres chefs, conformément à une liste fournie par Randjit Singh. Le maha-radja examina avec soin chaque article des présens qui lui avaient été faits, il les envoya à l’intendant de sa garde-robe, et lui ordonna d’en recevoir le dépôt et de les serrer immédiatement. Il prit congé, très satisfait en apparence de cette entrevue, et à la porte de la tente il fit amener et manœuvrer devant le gouverneur-général ses chevaux favoris, en indiquant les noms et les qualités de chacun. En repassant à travers la haie des troupes, il s’arrêta encore pour examiner les différens corps et renouveler ses questions sur chaque objet en particulier. Il était midi lorsqu’il rentra dans son camp.

Le lendemain, le gouverneur-général rendit la visite et fut reçu au pont de bateaux par Randjit Singh. Sa Seigneurie était escortée par les lanciers qui, avec la musique de leur régiment, ouvraient le cortège. Randjit Singh fut très frappé de leur tenue et en particulier du corps de musique ; et après qu’ils furent passés et qu’ils eurent atteint l’autre rive du fleuve, il les suivit pour les écouter pendant quelque temps jusqu’à ce que toute l’escorte fût passée. Les troupes sikhes formaient la ligne depuis le pont jusqu’aux tentes du maha-radja, faites principalement de kanats et shamianas disposés avec beaucoup de goût. Elle étaient rouges et couvraient un grand espace. Les shamianas sous lesquels des sièges étaient préparés pour le gouverneur-général et sa suite étaient de châles admirablement travaillés, et celle sous laquelle étaient placés le gouverneur-général et Son Altesse était brodée de perles et de diamans d’une grande valeur. Le maha-radja, lorsque tout le monde fut assis, fit introduire successivement les chefs qui lui obéissent, et chacun en arrivant offrait des nazars de sequins d’or hollandais à Son Altesse et au gouverneur-général. Les chevaux furent ramenés et montrés avec leurs magnifiques harnais, et après une heure d’un entretien assez animé, les présens destinés au gouverneur-général ayant été apportés, il prit congé du prince.

Le soir des conversations s’engagèrent, on passa aussi en revue les troupes réunies sur les deux rives du fleuve. Le maha-radja parut frappé de quelques évolutions exécutées devant lui par les régimens anglais, et il envoya ses serdars dans les rangs pour voir comment elles s’exécutaient. Il vint lui-même dans les carrés formés par l’infanterie pour voir comment le premier rang se plaçait genou en terre et comment les autres faisaient feu par-dessus lui. Il montra pour toutes ces choses une insatiable curiosité.

Le 31 octobre, dernier jour de l’entrevue, le maha-radja passa le fleuve pour assister à quelques manœuvres d’artillerie à mitraille et à boulet. Son étonnement de l’effet produit sur le but à différentes distances de 400 à 4, 000 pas était extrême. Après s’être amusé quelque temps à faire feu lui-même sur un tchatar[4] d’une pièce de 6, et avoir fait déployer à ses serdars toute leur force et leur adresse dans le maniement du cheval[5], il reçut du gouverneur-général deux canons de 9 avec leurs chevaux et leur équipement complet.

Le soir de ce jour, après lequel on devait se séparer, fut consacré à un entretien particulier avec le gouverneur-général. À la demande de Randjit Singh on lui donna par écrit une promesse d’amitié éternelle de la part du gouvernement anglais. Le modèle d’un pont suspendu, fait exprès à Calcutta pour cette occasion, fut aussi présenté à Son Altesse et excita vivement son admiration. Le lendemain matin, 1er novembre 1831, les deux camps furent levés et se séparèrent dans des directions opposées après une semaine de magnificence et de courtoisie qui rappelait les jours du camp du Drap d’or. Aucune affaire d’importance ne fut traitée dans cette entrevue : cependant Randjit Singh invita les deux officiers qu’il supposa être le plus avant dans la confiance du gouverneur-général à venir dans sa tente. Au milieu d’une conversation légère en apparence, il adressa au secrétaire officiel de Sa Seigneurie quelques questions sur le Sindh, comme s’il eût voulu ouvrir une négociation et concerter des mesures relatives à cet état ; ou au moins parvenir à connaître les desseins du gouvernement britannique sur ce sujet. Il dit que des vakils (envoyés) du Sindh se trouvaient alors dans son camp et il demanda qu’ils fussent présentés au gouverneur-général. Ayant reçu une réponse affirmative, il ajouta que c’était un pays très riche où beaucoup de trésors étaient accumulés depuis l’invasion de l’Hindoustan par Nadir Shah et qu’on n’y rencontrerait ni armée régulière, ni d’autres soldats que la population qu’en serait obligé d’arracher à ses foyers pourbrésister à une armée envahissante. Alors il fit allusion aux refus que le lieutenant Burnes avait eus à essuyer de la part des émirs et à leur caractère général d’orgueil et de hauteur. Il paraissait évident que le maha-radja avait appris ou au moins soupçonné que le gouvernement britannique avait quelques projets sur le Sindh, et même que rien ne lui serait plus agréable que d’être invité à coopérer à une attaque sur cet état. Néanmoins, malgré ce désir évident de s’allier dans de pareils desseins, il ne fut pas jugé convenable de faire dès-lors aucune communication au souverain de Lahor ; car on pouvait craindre qu’une fois informé des intentions du gouvernement anglais, il ne pût, tout en manifestant extérieurement le désir de les appuyer, les contrarier par des intrigues et de secrètes manœuvres.

La veille du jour où Son Altesse arriva à Roupour, des instructions avaient été envoyées au lieutenant-colonel Pottinger pour une mission dont on le chargeait auprès des gouvernemens du Sindh. Il devait négocier un traité de commerce ayant pour objet d’ouvrir la navigation de l’Indus aux marchandises de l’Europe et de l’Inde. La négociation devait se conclure séparément avec chacun des trois émirs indépendans ; le colonel Pottinger se dirigea d’abord sur Haïderabad pour y négocier auprès de Mir Mourad Ali le libre passage des vaisseaux et marchandises par les embouchures et le delta de ce grand fleuve. L’objet principal de la négociation dut être d’obtenir des garanties contre la levée de droits arbitraires, et contre tout obstacle apporté au libre passage des bâtimens et marchandises, d’offrir une indemnité dans le cas où l’adoption du plan proposé entraînerait quelque diminution dans les revenus du gouvernement et de faire ainsi que l’Indus devint le canal d’un commerce étendu et pût être fréquenté avec sécurité par les embarcations et les vaisseaux des districts voisins ou même de l’Europe. Une telle négociation dans les circonstances actuelles était certes un acte de haute politique, surtout si l’on songe à la nécessité de se tenir prêt contre les entreprises que pourrait former la Russie si elle venait à établir son influence sur la Perse. Mais le gouverneur-général ne voulait ni offenser ni inquiéter les émirs, et un traité de commerce stipulant la libre navigation du fleuve lui parut être le moyen le plus avantageux d’ouvrir des relations avec les gouvernemens et les chefs qui occupent ses rives. Cependant on peut reprocher aux traités de cette espèce de causer des discussions embarrassantes, de l’irritation et des sentimens haineux, et il faut avouer que les intentions du gouvernement anglais ne sont pas bien comprises par ces chefs. Tout le Sindh est partagé en djagirs occupés par des chefs qui ont la prétention d’être, et sont de fait, indépendans et exercent l’autorité la plus absolue dans leurs possessions respectives. Ces serdars n’arriveront que difficilement à respecter les bateaux et les marchandises passant sur leurs territoires, les bâtimens seront arrêtés sous prétexte de visite, des présens seront demandés et même extorqués, des obstacles de toute espèce seront apportés ; les plaintes que ces vexations entraîneront, même en supposant que l’assemblée de émirs à Haïderabad soit disposée à les écouter, amèneront de longues et irritantes discussions sans pouvoir faire obtenir de justes indemnités à ceux qui auront souffert. La résidence perpétuelle d’un agent anglais chargé de faire faire droit à ces représentations deviendra nécessaire, et ce personnage, en s’acquittant de son devoir, deviendra la cause de querelles continuelles, de mécontentemens qui engendreront une collision. Mais ce qui est beaucoup plus probable, c’est que les marchands ne voudront pas s’exposer à courir les risques et les dangers que leur promet une telle route et qu’ils laisseront ainsi ce traité devenir une lettre morte comme les derniers traités conclus avec Siam, la Cochinchine et l’empire Birman où le gouvernement anglais entretient des résidens pour y surveiller l’exécution des traités stipulés.

La compagnie des Indes, dans ses derniers traités commerciaux, paraît s’être conduite d’après un nouveau principe, c’est l’extension de son commerce, ce sont les privilèges de ses propres bateaux, navires et marchandises qui semblent avoir été l’objet de ses négociations et de sa sollicitude. Son agent ne devait s’occuper que d’intérêts commerciaux et veiller à ce que les stipulations ne fussent pas violées ; c’était ainsi qu’elle était déja parvenue à conclure un traité de commerce avec le Sindh, lequel traité, peu de temps après l’établissement des émirs Talpours, fut annulé par l’expulsion brutale de l’envoyé britannique. La réouverture des négociations relatives à un traité purement commercial, et sans aucun objet politique, paraît avoir été calculée pour faire sentir que le gouvernement anglais n’a en vue que des intérêts mercantiles. Certes, ce n’est pas là le moyen d’élever son caractère, ni d’ajouter en rien à son crédit et à son influence sur les conseils des divers chefs, avec lesquels on parviendra à établir ainsi des relations. Et après tout, la plus forte objection qu’on puisse faire à de tels traités, c’est qu’ils n’empêchent en aucune manière les cours avec lesquelles ils sont conclus d’entamer ou de poursuivre des intrigues ct des négociations directes avec les états contre lesquels il serait à desirer qu’on prit des précautions. Au temps où l’on commença de négocier avec le Sindh, on sut qu’unvagent de la Perse était à Haïderabad offrant la main d’une fille du roi au fils favori de Mir Mourad Ali. Or, si l’état du Sindh venait à entrer dans des relations intimes avec la Perse, le traité commercial que nous pourrions conclure ne saurait empêcher les Russes de s’insinuer là où la cour de Perse leur aurait préparé les voies. Ils pourraient ainsi tourner contre nous les ressources du Sindh, ou au moins neutraliser les avantages que nous pourrions espérer d’en retirer pour la défense de la frontière occidentale de l’Inde. Si jamais l’Hindoustan est envahi par l’ouest, certainement on se battra sur l’Indus, et il faudrait manquer de la prévoyance la plus commune, pour ne pas chercher à s’assurer de l’accord unanime et courageux des chefs des états et des tribus contre l’envahisseur. On dira peut-être que le temps n’est pas encore venu de s’occuper de tels sujets ; mais que le danger soit prochain ou éloigné, ne serait-ce pas agir imprudemment que de prendre des mesures capables de produire de l’irritation ou de diminuer le respect et l’influence que le gouvernement anglais, souverain déclaré de la plus grande partie de l’Hindoustan, doit naturellement posséder sur l’autre.

Aussitôt qu’il eut reçu ses instructions, le colonel Pottinger fit prévenir les émirs du Sindh, et en particulier Mir Mourad Ali de Haïderabad, qu’il avait reçu commission du gouverneur-général pour traiter avec eux de quelque point important. Il demanda la permission requise de se rendre à Haïderabad pour s’acquitter de sa mission. Cette permission lui ayant été accordée, non sans quelque délai, et le gouvernement de Bombay l’ayant pourvu de l’escorte, des fonds et des bagages nécessaires à l’envoyé du gouvernement suprême, le colonel Pottinger partit du Cotch et arriva à Haïderabad dans le cours de février 1832. Il exposa sans retard les vues du gouvernement britannique et remit à Mir Mourad Ali une lettre du gouverneur-général, où elles étaient exposées tout au long. Alors commença une suite de longues et ennuyeuses discussions pendant lesquelles quelques projets et contre-projets furent échangés de part et d’autre. Après une longue négociation un traité fut enfin conclu avec Mir Mourad Ali, au nom des chefs assemblés à Haïderabad, le 20 avril 1832. Il fut ratifié à Shimla, par le gouverneur-général, le 19 juin suivant. Voici cette ratification :

« Un traité comprenant sept articles ayant été conclu le 10 zilhidji de l’an 1247 de l’Hégire, correspondant au 20 avril 1832, entre l’honorable compagnie des Indes orientales et S. A. Mir Mourad Ali Khan, Talpour[6], Bahadour[7], souverain de Haïderabad, dans le Sindh, par l’intermédiaire du lieutenant-colonel Henry Pottinger, envoyé du gouvernement britannique, agissant d’après les pouvoirs à lui conférés par le très honorable lord William Cavendish Bentinck, grand-croix de l’ordre du Bain et de l’ordre de la Jarretière, gouverneur-général des possessions britanniques dans les Indes, le présent engagement à été fait à Shimla, ce jour, 19 juin 1832, en langue anglaise et persane, pour la parfaite confirmation et reconnaissance des obligations que contient ledit traité et qui sont les suivantes :

Article 1er. — L’amitié déja établie par de précédens traités entre le gouvernement britannique et celui du Sindh reste sans atteinte et même reçoit une nouvelle force des stipulations conclues par l’intermédiaire du lieutenant-colonel Pottinger, envoyé, etc., afin que cette amitié et cette alliance, existant maintenant entre lesdits états, puisse descendre aux enfans et successeurs de la maison dudit Mir Mourad Ali Khan, d’héritier en héritier, de génération en génération.

Art. 2. — Les deux puissances contractantes s’engagent à ne jamais jeter des yeux de convoitise sur les possessions l’une de l’autre.

Art. 3. — Le gouvernement britannique a requis le passage pour les marchands et trafiquans de l’Hindoustan, par le fleuve et les routes du Sindh, pour qu’ils y puissent transporter leurs marchandises et objets de négoce d’un pays à un autre. Ledit gouvernement de Haïderabad acquiesce à cette demande aux trois conditions qui suivent :

1o Aucune personne ne pourra lever de plan des places militaires, sous prétexte de voyager par lesdits fleuves et routes.

2o Aucun navire ou bateau armé ne pourra réclamer le passage sur ledit fleuve.

3o Aucun marchand anglais ne pourra s’établir dans le Sindh, mais lorsqu’il sera venu dans ce pays et y aura séjourné le temps nécessaire à la conclusion de ses affaires, il devra retourner dans l’Inde.

Art. 4. — Lorsque des marchands voudront faire un voyage dans le Sindh, ils devront obtenir des passeports pour ce faire du gouvernement britannique. Connaissance de la délivrance de ces passeports devra être signifiée audit gouvernement de Haïderabad, par le résident dans le Cotch ou par quelque autre officier du gouvernement britannique.

Art. 5. — Le gouvernement de Haïderabad ayant déterminé les droits fixés et modérés qui devront être levés sur les marchandises et objets suivant lesdites routes, devra s’en rapporter à ce tarif et ne pourra, ni arbitrairement, ni despotiquetnent, les augmenter ou les diminuer. Afin que les cargaisons des marchands et trafiquans puissent voyager sans éprouver ni délais ni interruption, il est entendu que les officiers de douanes et fermiers des revenus du gouvernement du Sindh devront veiller à ce qu’on n’apporte aucun obstacle auxdits marchands, sous prétexte de nouveaux ordres reçus de la part du gouvernement, ou de la levée des droits. Ledit gouvernement promulguera un tarif ou tableau des droits à lever sur chaque espèce de denrées, selon l’occurrence.

Art. 6. — Les stipulations des premiers traités conclus entre les deux états, qui ne sont pas altérées ou modifiées par le présent, subsistent dans toute leur force, aussi bien que les stipulations qui, conclues en ce jour par la bénédiction de Dieu, ne devront jamais être violées.

Art. 7. — Les relations amicales entre les deux états seront entretenues par des dépêches toutes les fois que les affaires ou un accroissement de relations amicales le rendra nécessaire. »

Ce traité complémentaire fut encore conclu avec Mir Mourad Ali Khan.

« Les articles suivans ayant été agréés le 22 avril 1832, entre l’honorable compagnie des Indes orientales et S. A. Mir Mourad Ali Khan, Talpour, Bahadour, souverain de Haïderabad, dans le Sindh, comme complémentaires du traité conclu le 20 avril 1832, par l’intermédiaire du lieutenant-colonel Henri Pottinger, envoyé de l’honorable compagnie des Indes orientales et agissant en vertu des pouvoirs à lui conférés par le très honorable lord William Cavendish Bentinck, grand-croix de l’ordre du Bain et de l’ordre de la Jarretière, gouverneur-général des possessions britanniques dans l’Inde, le présent engagement a été fait à Shinila, ce jour, 19 juin 1832, en langues anglaise et persane, pour la parfaite confirmation et reconnaissance des obligations que contiennent lesdits articles et qui sont :

Art. 1. — Il a été inséré à l’article 5 du traité perpétuel que le gouvernement de Haïderabad fournira au gouvernement britannique un tarif des droits, etc., et qu’après ce, les officiers du gouvernement britannique, experts dans les matières commerciales, examineront ce tarif. Si ce tarif leur paraît juste, équitable, convenable, il sera aussitôt mis en vigueur, mais s’ils leur paraît trop élevé, S. A. Mir Mourad Ali Khan, sur la requête du gouvernement britannique, présentée par le lieutenant-colonel Henri Pottinger, voudra bien réduire ledit tarif.

Art. 2. — Il est clair comme le jour que le châtiment et l’anéantissement des pillards de Parkhar, Thall, etc., ne peut être poursuivi par un seul gouvernement, et que d’ailleurs cette mesure est pressante et intéresse les états, puisqu’elle tend à assurer la richesse et le bonheur de leurs sujets et territoires respectifs. Il est donc stipulé qu’aussitôt après la saison des pluies, Mir Mourad Ali Khan, ayant donné connaissance de cette circonstance dans les formes convenables, le gouvernement britannique, ceux du Sindh et de Djodhpour devront réunir leurs efforts pour parvenir au but ci-dessus désigné.

Art. 3. — Le gouvernement de l’honorable compagnie des Indes orientales et celui de Kheïrpour, représenté par son chef, Mir Roustam, ont réglé, par un traité conclu entre les deux états, que tout ce qui a été statué à Haïderabad sur l’ouverture de l’Indus est aussi accepté par les deux puissances contractantes. Il est nécessaire cependant que des copies du traité conclu avec Mir Mourad Ali Khan soient envoyées par les gouvernemens britannique et de Haïderabad à Mir Roustam pour sa satisfaction et son instruction. »

Il est bon de faire remarquer ici qu’aucune de ces conventions ne fut définitivement ratifiée que quand on eut déja traité avec le chef de Kheïrpour. La jalousie que ces négociations firent éclater et la crainte que le chef de Kheïrpour ne se détachât pour toujours de l’association des Mirs Talpours, fut la principale cause qui engagea Mir Mourad à signer. Le traité avec Mir Roustam était ainsi conçu :

« Un traité comprenant quatre articles ayant été conclu le 2 du mois zil’kade de l’année 1247 de l’hégire, correspondant au 4 avril 1832, entre l’honorable compagnie des Indes orientales et Mir Roustam Khan, Talpour, Bahadour, chef de Kheïrpour dans le Sindh, par l’intermédiaire du lieutenant-colonel Henri Pottinger, envoyé du gouvernement anglais, agissant en vertu des pouvoirs à lui conférés par le très honorable lord William Cavendish Bentink, grand-croix de l’ordre du Bain et de la Jarretière, gouverneur-général des possessions britanniques dans les Indes, le présent engagement a été fait ce jour, 19 juin 1832, en langues anglaise et persane, pour la parfaite confirmation et reconnaissance des obligations que contient ledit traité et qui sont :

Art. 1. — Une amitié éternelle subsistera entre les deux états.

Art. 2. — Les puissances contractantes s’engagent mutuellement, et de génération en génération, à ne pas jeter des regards de convoitise sur les possessions l’une de l’autre.

Art. 3. — Le gouvernement britannique ayant requis le passage par l’Indus et les routes du Sindh pour les marchands de l’Hindoustan, etc., le gouvernement de Kheïrpour garantit ce passage dans les limites de son territoire aux mêmes conditions que celles qui seront réglées avec le gouvernement de Haïderabad, c’est-à-dire Mir Mourad Ali Khan, Talpour.

Art. 4. — Le gouvernement de Kheïrpour fournira par écrit un tarif juste et raisonnable des droits à lever sur les marchandises qui profiteront des bénéfices de ce traité, et selon les conditions que les négocians ne devront ni abandonner ni violer dans la conduite de leurs affaires.

  1. Abréviation usitée du mot émir.
  2. Il est singulier que dans toutes les instructions données par sir John Malcolm au lieutenant-colonel Pottinger et au lieutenant Burnes, il n’ait jamais mentionné ni rien dit qui pût faire comprendre à ces officiers que les chevaux étaient un présent du roi d’Angleterre. Ils le découvrirent lorsqu’après avoir surmonté les difficultés qui s’opposaient au passage dans le Sindh, ils entrèrent en correspondance directe avec le gouverneur-général ; mais déja ils avaient offert leur présent comme envoyé par le gouvernement anglais dans l’Inde. (Note de l’auteur.)
  3. Voir pour les détails de la réception à Lahor le récit du lieutenant Burnes lui-même, ouvrage déja cité.
  4. Parasol. Il avait fait mettre un parasol en guise de blanc.
  5. Randjit, nous a dit M. le général Allard, prit part à ces exercices.
  6. Nom de famille.
  7. Titre honorifique qui signifie brave.