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Origine et progrès de la puissance des Sikhs/Chapitre VII

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CHAPITRE VII.


Première expédition de Randjit Singh contre le Cachemir. — Défaite. — Déclin de la santé de Randjit Singh. — Paix de Moultan. — Randjit Singh fait rendre à l’armée son butin. — Mort de Fateh Khan, vizir de Caboul. — Randjit Singh s’avance jusqu’à Peshaver.


1814-1818.


Randjit Singh, après avoir célébré le Houli et fait ses ablutions à Amritsar, dirigea son armée en avril 1814 sur le pays des montagnes du côté de Kangra. Il venait lever les tributs et réunir les radjas avec leurs contingens. S’étant ainsi renforcé par l’adjonction d’ua corps considérable de montagnards, il arriva à Bhimbhar le 4 juin, et s’avançant encore plus loin, rencontra Agar Khan, chef de Radjaori, sur le territoire duquel passe la route de Cachemir. Le 11 juin, l’armée arriva à Radjaori, et, se débarrassant de ses gros bagages, ne prit avec elle que les équipages indispensables dans une guerre de montagnes ; elle allait traverser les fameux défilés de Pir Pandjal. On fit quelques efforts pour gagner à la cause des Sikhs le radja de Pountch, Rouh-Ollah Khan, mais il allégua ses engagemens et la présence de son fils auprès du gouverneur de Cachemir, Azim Khan, qui le retenait comme otage. Cependant, après un conseil tenu avec ses principaux officiers, Randjit Singh décida qu’un corps d’armée, commandé par lui-même, suivrait la route de Pountch, et essaierait de pénétrer par les gorges de Tosha Meïdan, tandis qu’une diversion serait faite par Bahramgalla, du côté Soupeïn dans la vallée.

La cavalerie mit pied à terre, et chaque homme étant fourni de provisions pour trois jours, un détachement fut envoyé en avant le 15 juin, sous les ordres de Ram Deïal, petit-fils de Mokham Tchand ; il était accompagné de Dal Singh et d’autres djagirdars. Ils arrivèrent devant Bahramgalla le 18, et après quelques pourparlers obtinrent le passage, en payant à ses défenseurs l’arriéré de solde qui leur était dû par le radja de Pountch. Une forte pluie tomba le 20 juin, et l’armée sikhe commença à souffrir de l’humidité et de la pluie, les vivres devinrent rares, et la marche fut suspendue jusqu’au 26. Mais le 28 Randjit Singh atteignit Pountch, il trouva la ville déserte. Le radja avait ordonné à ses sujets de ne point essayer de résister par les armes, mais d’abandonner la ville et les villages, de brûler ou d’emporter les grains, et de se répandre sur les flancs de l’ennemi. Les conséquences de ce système portaient déja leurs fruits et forcèrent les Sikhs de s’arrêter à Pountch pour y attendre des vivres jusqu’au 13 juillet. De là, ils s’avancèrent par Mandi sur Tosha Meïdan qu’ils atteignirent le 18. Là, ils rencontrèrent Mohammed Azim Khan, campé avec toutes les forces du Cachemir pour les empêcher de pénétrer plus loin. L’armée sikhe prit ses positions en face de l’ennemi et passa plusieurs jours dans l’inaction. Randjit Singh eut alors des nouvelles des troupes qui arrivaient par Bahramgalla. Le 19 juillet Ram Deïal et les djagirdars avaient traversé les montagnes de Pir-Pandjal en passant par les défilés de Saraï et Madpour, et chassant devant eux les troupes du Cachemir qui auraient dû les arrêter. Randjit Singh fut alarmé de cette précipitation qui laissait ce détachement sans appui et dans une position critique ; il envoya donc à Ram Deïal des renforts sous les ordres de Rheïa Ram Singh. Le chef de Radjaori voulait qu’on attaquât Azim Khan, c’était, pensait-il, le meilleur moyen de prévenir toute entreprise contre son détachement ; mais Randjit Singh ayant reconnu les positions de l’ennemi, trouva la tentative trop hasardeuse, et cependant c’était probablement le meilleur moyen de prévenir les désastres qui suivirent. Sur ces entrefaites Ram Deïal, ayant passé les montagnes, déboucha dans la vallée à Haripour. Il y fut attaqué le 22 juillet par un parti de Cachemiriens envoyés à sa rencontre. Les troupes d’Azim Khan furent battues et poursuivies jusqu’à Soupeïn. Le 24, les Sikhs donnèrent l’assaut à la ville, mais elle était bien défendue par Shaukour Khan qui repoussa les assaillans. Cet échec les força de se retirer sur Pir Paadjal pour y chercher des renforts. Bheïa Ram Singh ayant appris ces fâcheuses nouvelles, dut par prudence s’arrêter avec son corps à Bahramgalla pour en garder les passages. Mohammed Azim Khan jugea alors les circonstances favorables pour prendre l’offensive contre l’armée principale, affaiblie par les maladies et encore plus par la désertion. Le 29 juillet, Rouh-Oullah Khan, chef de Pountch, commença le feu des hauteurs qu’il occupait contre l’armée sikhe. Le lendemain dès le matin il renouvela son attaque avec plus de vigueur, et Randjit Singh dut se replier sur Mandi. Poursuivi jusque-là, il incendia la ville, et, se mettant à la tête de ses bataillons disciplinés, couvrit sa retraite sur Pountch, qu’il atteignit le 31 juillet, après avoir perdu beaucoup de monde et son principal officier Mit Singh de Bharani. Il se vit enlever aussi presque tous ses bagages. L’armée ne conservant plus alors aucune discipline, Randjit Singh mit le feu à Pountch, abandonna son camp, s’enfuit à Bhouhi et de là à Lahor par la route la plus courte. Il y arriva suivi de quelques serviteurs le 12 août.

Bam Deïal et les djagirdars composant le détachement qui pénétra dans la vallée, furent assiégés dans leur camp et forcés par la famine de se rendre. Mais ce corps reçut d’Azim Khan la permission de se retirer ; un sauf-conduit lui fut donné jusqu’à la frontière sikhe en considération de l’amitié qui unissait le gouverneur du Cachemir au ministre Mokhram Tchand, aïeul de son général. Cet officier avait lui-même été empêché de prendre part à l’expédition par une maladie. Il avertit son maître des difficultés qui l’attendaient s’il se laissait surprendre dans les montagnes par la saison des pluies ; il avait surtout insisté sur la nécessité d’établir de grands magasins à Bhimbhar et à Radjaori, dans la crainte de rencontrer une forte résistance de la part du chef musulman et de la population de Pountch. Tout arriva comme il avait prédit, et Randjit Singh de retour eut à regretter d’avoir été privé, dans cette importante expédition, autant de l’expérience et des lumières de son ministre que de sa valeur et de ses talens militaires. La maladie qui avait empêché Mokham Tchand d’accompagner l’armée sikhe fit bientôt craindre pour ses jours, et, dans le courant d’octobre, peu de temps après le retour de Randjit Singh à Lahor, il mourut emportant les regrets de tous ceux qui portaient quelque intérêt à la puissance des Sikhs et à l’empire de Randjit Singh. Dans sa vie privée, le ministre se distinguait par sa générosité, l’élévation de ses sentimens et de son esprit ; il avait toute la confiance des troupes placées sous ses ordres, il était populaire et respecté dans toute la confédération sikhe.

Il fallait du temps pour réparer les pertes que Randjit Singh avait faites dans sa dernière expédition ; aussi l’armée sikhe ne fut-elle pas en état de reprendre la campagne en 1814, après le Dasrah, comme c’était son habitude. Mais en avril 1815, un corps fut envoyé sous les ordres de Ram Deïal et Dal Singh pour ravager les territoires de Moultan et de Bahawalpour et lever les tributs et contributions dans le voisinage. Randjit Singh passa l’été à Adina-Nagar, levant et disciplinant de nouveaux bataillons, recrutant surtout les hommes du Gourkha, dont la réputation de valeur s’était très élevée depuis les combats qu’ils avaient soutenus dans les montagnes situées à l’est du Satledj. Le gouvernement anglais était en guerre avec les Gourkhns et le colonel, depuis général Ochterlony, était entré en campagne contre Amar Singh qui, pendant six mois, se défendit avec succès dans Ramgarh et Maloan, et y déjoua les talens éprouvés et les forces supérieures du général anglais. Lorsque les Gourkhas furent enfin défaits et chassés de toute la contrée montagneuse située à l’ouest de la rivière Gogra ou Kali, Randjit Singh profita de cette circonstance pour s’attacher des hommes particulièrement propres à la guerre des montagnes.

Cependant la défaite de l’armée sikhe dans le Cachemir avait encouragé les chefs musulmans de Bhimbhar ét de Radjaori à se révolter. Vers la fin de l’année 1814, le fils du dernier de ces chefs parvint à s’échapper de Lahor où il était retenu en otage et à rejoindre son père. Les insurgés de Bhimbhar étaient commandés par le frère de Sultan Khan, qui avait fait sa soumission en 1813, et avait été emprisonné par Randjit Singh ; il était encore détenu à Lahor.

En octobre, après le Dasrah de 1815, l’armée sikhe fut convoquée. Le lieu de réunion pour la revue définitive fut fixé à Sialkot. Une division commandée par Ram Deïat et Dial Singh prit les devans pour punir les chef de Bhimbhar et de Radjaori, et ravager leurs territoires par le fer et le feu. Pountch ne dut d’être préservé d’un pareil traitement qu’à sa position élevée dans les montagnes où l’hiver se faisait rudement sentir. Randjit Singh n’était pas encore prêt à essayer de relever, par une seconde expédition dans le Cachemir, sa fortune et sa réputation éclipsées. Il se contenta pendant cette saison de raffermir son autorité dans les montagnes et de punir les radjas indociles et réfractaires établis sur ce versant des monts Pir Pandjat. Il retourna, le 28 décembre, à Lahor où il trouva Bir Singh, radja de Nourpour dans les montagnes, qui n’était pas venu au rendez-vous de Sialkot. Une amende lui fut imposée, et une amende si forte qu’elle excédait ses ressources et qu’il dut offrir en gage son thakour, ou tabernacle de ses dieux, fait d’or et d’argent massifs. Mais cela ne suffit point, il fut arrêté à la porte du Darbar, ou salle de réception, le 20 janvier 1816, et peu de jours après, il fut envoyé dans un palanquin pour être présent à la saisie de toutes ses propriétés et en rendre compte à ceux qui furent chargés de les mettre sous le séquestre. Il refusa un djagir de peu d’importance qui lui fut offert, et après avoit fait d’inutiles tentatives pour recouvrer sa forteresse et sa principauté par la force, il se réfugia sur le territoire anglais. On fit un second exemple sur le radja de Djaswoul, Ahmed Singh, pour une faute pareille. Mais celui-ci, après la perte de ses possessions, accepta le djagir qu’on lui offrit.

Après avoir exécuté ces mesures dans les montagnes, Randjit Singh s’étant baigné à Taran Taran, s’avança avec son armée du côté de Moultan et de Bahawalpour. Là, de vertes moissons et de nombreux troupeaux offraient des ressources pour forcer au paiement des contributions, et causer à l’ennemi d’irréparables dommages, Les Sikhs descendirent l’Indus jusqu’aux limites du Sindh et le chef de Bakhar et Liah, Mohammed Khan, de la famille expulsée par les émirs qui règnent encore dans le pays, étant mort, une demande de tribut fut faite à son successeur Hafiz Ahmed Khan. Sur son refus, les forts de Khangarh et Mahmoud-Kot furent occupés, l’akali Phoula Singh s’y livra aux atrocités les plus révoltantes contre la population mahométane. Peu de temps après, Hafiz Ahmed consentit à payer pour obtenir la retraite des garnisons sikhes, et recouvra ainsi ses forts avec une partie du butin qui y avait été fait. Ahmed Khan de Djhang reçut aussi l’invitation de se rendre auprès de Randjit Singh, et fut aussi frappé d’une forte contribution. Ce fut en vain qu’il allégua son impuissance, il fut envoyé à Lahor tandis que trois bataillons occupaient et annexaient au khalsa toutes ses possessions, dont le revenu annuel était estimé à quatre lakhs de roupies. Elles furent affermées à Lala Soukh Deïal, pour la somme de 160,000 roupies. En même temps, l’alouwala Fateh Singh s’emparait de Outch et Kot Maharadja. Outch était occupé par des Seïds[1] qui avaient été respectés jusque-là, ils furent pourvus d’un djagir ; Kot Maharadja appartenait à un chef nommé Radjab Ali Khan, qui fut envoyé prisonnier à Lahor.

Randjit Singh retourna par le sud-ouest et rentra dans sa capitale le 20 mai. Là, il apprit que le vizir Fateh Khan était entré, pendant la saison qui venait de s’écouler, dans le Cachemir par les montagnes de Pakholi et Damtour. Il avait aidé son frère à lever les tributs, à affermir son pouvoir dans la vallée et était retourné par la même route. Un corps d’armée sous les ordres de Ram Deïal et de Dal Singh, était resté sur la frontière pour observer ses mouvemens.

Les affaires domestiques vinrent absorber l’attention de Randjit Singh. Sa seconde femme, la mère de Kounwar Kharak Singh, fut accusée de scandaleuses malversations, et surtout d’une intimité trop avérée avec Bheïa Ram Singh, ministre du jeune prince. Randjit Singh avait conféré à son héritier un djagir très considérable, qui était administré par sa mère et le ministre, à la condition ordinaire de fournir un contingent de cavalerie à l’armée sikhe. Il arrivait cependant des plaintes graves et fréquentes sur les exactions et les malversations des administrateurs ; d’un autre côté la situation et l’équipement du contingent paraissaient toujours à Randjit Singh des plus misérables. Il voulut d’abord obtenir quelque amélioration, en excitant l’orgueil de son fils, qui était d’âge à s’intéresser à de telles affaires : ce fut en vain ; l’influence de la princesse et du ministre empêchèrent tout amendement, et Randjit Singh fut contraint de déployer son autorité. Le ministre Ram Singh fut jeté en prison et dut rendre compte de sa gestion ; la mère du jeune prince reçut ordre de résider au fort de Shikoupour. Kharak Singh fut réprimandé pour n’avoir pas su empêcher leurs dilapidations, et Bhouani Das de Peshaver lui fut attaché comme nouveau ministre. Quelques lakhs de roupies, des bijoux de prix, furent arrachés à Ram Singh, dont le banquier, Outam Tchand d’Amritsar, dut aussi rendre ses comptes et livrer à Randjit Singh tout ce qui avait été déposé chez lui par l’ex-ministre.

Après le Dasrah, en octobre, Randjit Singh se dirigea d’abord dans les montagnes, où il rendit visite au radja Sansar Tchand de Nadoun et leva les tributs annuels ; puis à son retour il confisqua les djagirs et territoires de Bir Singh et Dewan Singh, les deux frères de Djodh Singh de Ramgarh : on évaluait leur revenu annuel à cinq lakhs de roupies. Les deux chefs furent arrêtés lorsqu’ils se rendaient au Darbar pour y offrir leurs respects à Randjit Singh, tant ils étaient loin de se douter de quelque mauvais dessein de ce prince contre eux-mêmes. Amritsar célébra par des illuminations le retour de son souverain, le 13 décembre.

La constitution de Randjit Singh, quoiqu’elle dût être excellente pour avoir pu supporter pendant si long-temps une vie toute de débauches et de fatigues excessives, commença cependant à décliner sous ces violentes épreuves. Son estomac s’affaiblit ; la perte des forces fut suivie de l’amaigrissement du corps, de l’impuissance complète. Au commencement de 1817 sa santé fut sérieusement attaquée ; il dut se soumettre à un régime que lui prescrivirent ses médecins indiens. Il le suivit pendant quarante jours, et n’en retira qu’une bien faible amélioration. Aucune entreprise militaire, aucune opération active ne signala cette année. Mais ce qui vint alors inquiéter le prince sikh, ce fut la conduite de Ram Lal, frère de son chambellan Khoushhal Singh, qu’il avait comblé de tous les dons, et dont il avait fait son favori bien-aimé et le compagnon de ses débauches. Les offres les plus séduisantes ne purent déterminer Ram Lal à quitter la religion de Brahma pour adopter, comme avait fait son frère, les coutumes et les rits des Sikhs. Afin d’éviter toute importunité sur ce sujet, il s’enfuit dans ses terres à l’est du Satledj : là, il était hors du pouvoir de Randjit Singh, qui, irrité de cette évasion, exerça sur son chambellan une vengeance feinte ou réelle, en le privant de son office et le faisant mettre en prison. Ram Lal revint pour délivrer son frère, et finit par se soumettre au Pahul, ou initiation, et changea son nom contre celui de Ram Singh.

La saison qui suivit fut employée aux préparatifs d’une expédition contre Moultan, dont les ressources avaient été assez affaiblies par les contributions forcées, le ravage et le pillage, pour faire espérer à Randjit Singh que les moyens de défense de Mozaffar Khan ne pourraient l’empêcher de conquérir facilement la ville et la citadelle. Mais avant de s’engager dans cette entreprise, Randjit Singh donna la liberté à Ahmed Khan de Djhang, qu’il retenait en prison depuis neuf mois ; il lui conféra aussi un djagir de peu d’importance. Le rendez-vous de l’armée sikhe avait été indiqué pour le commencement de 1818, sur la frontière sud-ouest des états de Randjit Singh. Kounwar Kharak Singh eut le commandement nominal de l’armée, conduite en réalité par Misar Dewan Tchand, qui s’était élevé par son mérite et son activité de la plus humble condition au grade de commandant de l’artillerie. Cet officier promit de réduire la citadelle de Moultan, si on lui donnait le commandement en chef de l’armée pendant le siège. La jalousie des djagirdars, qui refusaient de servir sous un parvenu, obligea Randiit Singh à envoyer son fils avec le commandement nominal. Tous les bateaux du Ravi et du Tchenab furent mis en réquisition pour transporter les vivres et les munitions de l’armée, qui se mit en marche en janvier 1818. Une demande d’une somme exorbitante en argent et de cinq chevaux de prix fut adressée à Mozaffar Khan ; et comme il ne s’empressa pas d’y satisfaire, ses deux forts de Mozaffargarh et Khangarh furent attaqués et pris. Dans le cours de février, la ville de Moultari fut occupée et sa citadelle étroitement bloquée sans que les assiégeans eussent à essuyer de grandes pertes. Les approches de la place furent pratiquées sans ordre, chaque chef ou djagirdar élevant sa batterie, les feux de l’artillerie et de la mousqueterie s’ouvrant sans ordre contre chaque ouvrage. Mais les ressources de la garnison étaient si faibles que cette attaque irrégulière suffit à pratiquer plusieurs brèches dans les murailles de la citadelle ébranlées par un feu continu, et que les ouvrages avancés étaient presque rasés au mois d’avril. En mai les travaux des assiégeans furent poussés jusqu’au Dhoul-Kot (fausse braye) et l’armée fut en mesure de donner l’assaut. Mais Randjit Singh, qui, bien qu’absent, dirigeait toutes les opérations, défendit de rien risquer et continua d’offrir au Nabab un djagir s’il voulait se rendre. Mais celui-ci persévérait dans son refus et paraissait déterminé à tenir jusqu’à la dernière extrémité.

Tel était l’état des choses lorsque, le 2 juin, un Akali fanatique, Sadhou Singh, s’avança, sans en avoir reçu l’ordre, avec quelques hommes et attaqua les Afghans dans le Dhoul-kot l’épée à la main. Ceux-ci endormis ou faisant mauvaise garde furent obligés de s’enfuir. Les Sikhs s’élancèrent alors de leurs tranchées pour profiter du moment et soutenir l’attaque ; tous les ouvrages extérieurs tombèrent en leur pouvoir, la garnison fut passée au fil de l’épée. Animés par ce succès, les assaillans s’avancèrent sur le corps de la place où ils entrèrent facilement par les brèches, soit que la garnison ne s’attendit pas à un assaut, soit qu’elle ne fût pas préparée à une résistance opiniâtre. La citadelle ainsi prise tout à coup, Mozaffar Khan avec ses quatre fils et sa maison livra un dernier combat à la porte de son palais, mais il tomba bientôt couvert de blessures. Deux de ses deux fils, Shah Nawaz Khan et Haq Nawaz périrent aussi, un troisième fut laissé parmi les morts, mais il n’était que légèrement blessé. Le quatrième, Sarfaraz Khan, qui avait été sous les ordres de son père investi du commandement, fut trouvé dans un souterrain et fait prisonnier.

La citadelle fut pillée et un immense butin tomba au pouvoir des vainqueurs. Mais Randjit Singh n’était pas content de voir son trésor privé des richesses qu’on savait être déposées dans cette citadelle, et qu’il avait si long-temps espéré de s’assurer par une capitulation. Il envoya donc des ordres pour faire rentrer aussitôt son armée à Lahor, à l’exception d’un détachement commandé par Djodh Singh de Kalsi, et de force suffisante pour occuper la place et y assurer le service. Soukh Deïal qui avait pris à ferme les pays de Djhang, fut nommé au gouvernement civil. Lorsque l’armée arriva à Lahor, une proclamation parut, où il était dit que le butin fait à Moultan était la propriété de l’état, et qu’en conséquence, tous les soldats, officiers ou djagirdars qui possédaient quelqu’objet ou quelqu’argent provenant du sac de la citadelle, devaient l’apporter et le verser au trésor sous peine de l’amende et de la prison.

C’est une grande preuve de la crainte qu’inspirait Randjit Singh à ses troupes et de la sûreté des renseignemens qu’il possédait, qu’un tel ordre n’ait occasioné ni trouble, ni résistance. La plus grande partie du butin fut rapportée au trésor ; ce ne fut pas certainement sans qu’on fit quelques efforts pour en soustraire une partie aux recherches des officiers de Randjit Singh ; toutefois, la sévérité déployée contre les récalcitrans, les jalousies et l’envie de leurs compagnons qu’on avait forcés de rendre gorge, amenèrent la découverte de presque tous les objets de valeur. Le Toshakkhana (ou dépôt des bijoux) du souverain de Lahor s’enrichit ainsi de cette reprise de butin qu’il exerça sur son armée. Il n’y a qu’un exemple d’une semblable exigence de la part d’un général, et on le doit au terrible Nadir Shah. C’était à son retour de l’Hindoustan, lorsque son armée passa l’Indus à Attak ; il plaça une garde sur le pont, avec ordre de fouiller la personne et les bagages des soldats à mesure qu’ils se présenteraient, et de reprendre tous les objets provenant du pillage de Delhi qu’on trouverait sur eux ou sur les hommes de leur suite.

Sarfaraz Kan et son frère blessé, Zoulfikar Khan, furent conduits à Lahor, où Randjit Singh leur donna une petite pension. La prise de Moultan avait été l’unique opération de la saison ; toute l’armée sikhe y avait été employée depuis le mois de janvier jusqu’au commencement des pluies. Pendant cette saison mourut Govind Tchand, radja de Datarpour, dans les montagnes ; ses possessions furent annexées au Khalsa, et son fils fut emprisonné jusqu’à ce qu’il consentit à accepter un djagir.

Cependant cette saison d’inactivité nécessaire vit accomplir un événement qui eut une grande influence sur la fortune de Randjit Singh. En août 1818, le vizir Fateh Khan, dont l’énergie et les talens avaient élevé Shah Mahmoud sur le trône de Caboul, et qui seul était capable de contenir les élémens discordans de l’empire afghan, tomba victime d’un complot ourdi par le prince Kamran, fils de Mahmoud. Arrêté par trahison, il fut d’abord aveuglé, et quelque temps après mis à mort par ordre du prince. Le vizir avait cinq frères, tous revêtus de commandemens dans les provinces, ou puissans et riches par eux-mêmes, ils rendirent tout le royaume complice de leur vengeance. Mohammed Azim s’élança du Cachemir, dont il laissa le gouvernement à son jeune frère, Djabar Khan, et prit la direction des mesures de résistance. Il défit les troupes de Kamran, délogea ses garnisons du voisinage de Caboul, Ghizni, Candahar, de sorte qu’en peu de mois l’empire du faible shah Mahmoud et de son lâche fils fut borné à la ville et à la campagne d’Herat. Le reste de l’empire afghan fut partagé en gouvernemens et principautés indépendantes entre les membres puissans de la nombreuse famille des vainqueurs. Le prétexte mis en avant par Kamran fut que le vizir avait pillé la propriété de Firoz-oud-din, prince du sang royal, que Fateh Khan avait expulsé d’Herat pour en reconquérir le gouvernement à l’autorité de Mahmoud. La cause réelle, ce fut la jalousie de Kamran contre la puissance et la réputation d’un homme plus distingué que lui, ce fut l’orgueilleuse illusion de Kamran, qui croyait que les talens du vizir pourraient être remplacés et les affaires conduites par l’entourage et la famille d’un souverain imbécille, qui ne régnait que de nom.

La nouvelle de ces événemens détermina Randjit Singh à passer l’Indus avec son armée dans la saison qui suivit. La politique lui faisait un devoir de venger la défaite qu’un détachement sikh avait essuyée de la part des mahométans de Khatak. Les troupes réunies en octobre s’avancèrent sous le commandement personnel de Randjit Singh, et perdirent quelques hommes au passage du fleuve. Les forteresses de Kheïrabad, Djaghira, et le pays situé sur cette rive furent soumis et occupés, sans faire de résistance immédiate. Firoz Khan, chef de la tribu de Khatak, fit sa soumission, et Randjit Singh s’étant assuré de ne point rencontrer de forces capables de tenir la campagne contre lui, s’avança sur Peshaver. Il y entra le 20 novembre, le gouverneur Yar Mohammed Khan se retirant devant les Sikhs jusque dans les montagnes occupées par les Yousoufzis, tribu Afghane.

Randjit Singh resta trois jours à Peshaver avec son armée et se retira y laissant pour gouverneur Djahan Dad Khan, qui lui avait livré Attak et qu’il avait jusqu’alors tardé de récompenser ; il ne lui avait même pas encore donné le djagir qu’il lui avait promis. Mais il ne lui laissa ni troupes ni argent pour se maintenir dans sa nouvelle conquête. Aussi l’armée sikhe n’eut pas plutôt repassé l’Indus que Yar Mohammed, descendant des montagnes avec les Yousoufzis, expulsa le gouverneur sikh. Djahan Dad Khan s’enfuit du côté du sud et rencontra Shah Shoudja que l’état des affaires du Caboul avait engagé à quitter sa retraite de Loudiana pour essayer de relever sa fortune. Le fugitif reçut son pardon et embrassa la cause du shah. Mais la fatalité semblait s’attacher à toutes les entreprises de ce prince, dont le caractère aimable et parfaitement irréprochable manquait cependant de l’énergie nécessaire pour inspirer la crainte et se faire des partisans dans des temps de troubles, ou donner de la confiance à ceux qui étaient bien disposés en sa faveur. Shah Shoudja, abandonné de tous, retourna à Loudiana après quelques mois d’inutiles tentatives et de négociations infructueuses avec les émirs du Sindh et d’autres anciens tributaires ou sujets, affranchis alors, de l’empire afghan. Djahan Dad Khan fit alors la paix avec la cour de Hérat, où il se rendit désespérant d’obtenir de la faveur ou de l’avancement à celle de Lahor.

  1. Musulmans qui prétendent descendre du prophète.