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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/107

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

ce qui prétendait à la fortune et j’ai consolidé la mienne sur les débris des préjugés de l’homme. C’est en me moquant des lois divines et humaines, c’est en sacrifiant toujours le faible quand je le heurtais dans mon chemin, c’est en abusant de la bonne foi et de la crédulité des autres, c’est en ruinant le pauvre et volant le riche que je suis parvenu au temple escarpé de la divinité que j’encensais. Que ne m’imitais-tu ? ta fortune a été dans tes mains, la vertu chimérique que tu lui as préférée t’a-t-elle consolée des sacrifices que tu lui as faits ? Il n’est plus temps, malheureuse, il n’est plus temps ; pleure sur tes fautes, souffre et tâche de trouver si tu peux dans le sein des fantômes que tu révères, ce que ta crédulité t’a fait perdre.

À ces mots cruels, Dalville se précipita sur moi… mais il me faisait une telle horreur, ses affreuses maximes m’inspiraient tant de haine que je le repoussai durement ; il voulut employer la force, elle ne lui réussit pas, il s’en dédommagea par des cruautés, je fus abîmée de coups, mais il ne triompha pas ; le feu s’éteignit sans succès, et les larmes perdues de l’insensé me vengèrent enfin de ses outrages.

Le lendemain avant de partir ce malheureux nous donna une nouvelle scène de cruauté et de barbarie dont les annales des Andronics, des Nérons, des Venceslas et des Tibères ne fournissent aucun exemple. Tout le monde croyait que sa maîtresse partait avec lui, il l’avait fait parer en conséquence ; au moment de monter à cheval, il la conduit vers nous.

— Voilà ton poste, vile créature, lui dit-il en lui ordonnant de se déshabiller, je veux que mes camarades se souviennent de moi en leur laissant pour gage la femme dont ils me croient le plus épris ; mais comme il n’en faut que trois ici… que je vais faire une route dangereuse dans laquelle mes armes me sont utiles, je vais essayer mes pistolets sur une de vous.

En disant cela il en arme un, le présente sur la poitrine de chacune des trois femmes qui tournaient la roue, et s’adressant enfin à l’une de ses anciennes maîtresses :

— Va, lui dit-il, en lui brûlant la cervelle, va porter de mes nouvelles en l’autre monde, va dire au diable que Dalville, le plus riche des scélérats de la terre, est celui qui brave le plus insolemment et la main du ciel et la sienne.