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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

Au jour prescrit pour la promenade projetée, la Dubois nous invita l’un et l’autre à dîner dans sa chambre ; nous acceptâmes, et le repas fait, Dubreuil et moi descendîmes pour presser la voiture qu’on nous préparait. La Dubois ne nous accompagnant point, je fus donc seule un instant avec Dubreuil avant que de monter en voiture.

— Monsieur, lui dis-je précipitamment, écoutez-moi avec attention, point d’éclat, et observez surtout rigoureusement ce que je vais vous prescrire. Avez-vous un ami sûr dans cette auberge ?

— Oui, j’ai un jeune associé sur lequel je puis compter comme sur moi-même.

— Eh bien, monsieur, allez promptement lui ordonner de ne pas quitter un instant votre chambre de tout le temps que nous serons à la promenade.

— Mais j’ai la clef de cette chambre dans ma poche ; que signifie ce surplus de précaution ?

— Il est plus essentiel que vous ne croyez, monsieur, usez-en de grâce ou je ne sors point avec vous. La femme de chez qui nous sortons est une scélérate, elle n’arrange la partie que nous allons faire ensemble que pour vous voler plus à l’aise pendant ce temps-là. Pressez-vous, monsieur, elle nous observe, elle est dangereuse ; que je n’aie pas l’air de vous prévenir de rien ; remettez promptement votre clef à votre ami, qu’il aille s’établir dans votre chambre avec quelques autres personnes si cela lui est possible et que cette garnison n’en bouge que nous ne soyons revenus. Je vous expliquerai tout le reste dès que nous serons en voiture.

Dubreuil m’entend, il me serre la main pour me remercier, et vole donner des ordres relatifs à ma recommandation ; il revient, nous partons et chemin faisant, je lui dénoue toute l’aventure. Ce jeune homme me témoigna toute la reconnaissance possible du service que je lui rendais, et après m’avoir conjurée de lui parler vrai sur ma situation, il me témoigna que rien de ce que je lui apprenais de mes aventures ne lui répugnait assez pour l’empêcher de me faire l’offre de sa main et de sa fortune.

— Nos conditions sont égales, me dit Dubreuil, je suis fils d’un négociant comme vous ; mes affaires ont bien tourné, les vôtres ont été malheureuses ; je suis trop heureux