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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/125

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

cence, et je ne lui cachai pas que les mauvais propos qu’il m’avait tenus deux jours avant, avaient indisposé contre moi la personne à laquelle j’étais recommandée et qui se trouvait maintenant ma partie adverse. Le moine m’écouta avec beaucoup d’attention, et à peine eus-je fini :

— Écoute, Sophie, me dit-il, et ne t’emporte pas à ton ordinaire sitôt que l’on enfreint tes maudits préjugés ; tu vois où t’ont conduite tes principes, tu peux maintenant te convaincre à l’aise qu’ils n’ont jamais servi qu’à te plonger d’abîmes en abîmes, cesse donc de les suivre une fois dans ta vie si tu veux qu’on sauve tes jours. Je ne vois qu’un seul moyen pour y réussir ; nous avons un de nos pères ici proche parent du gouverneur et de l’intendant, je le préviendrai ; dis que tu es sa nièce, il te réclamera à ce titre, et sur la promesse de te mettre au couvent pour toujours, je suis persuadé qu’il empêchera la procédure d’aller plus loin. Dans le fait tu disparaîtras, il te remettra dans mes mains et je me chargerai du soin de te cacher jusqu’à ce que de nouvelles circonstances me permettent de te rendre ta liberté, mais tu seras à moi pendant cette détention ; je ne te le cèle pas, esclave asservie de mes caprices tu les assouviras tous sans réflexion, tu m’entends, Sophie, tu me connais, choisis donc entre ce parti ou l’échafaud et ne fais pas attendre ta réponse.

— Allez, mon père, répondis-je avec horreur, allez, vous êtes un monstre d’oser abuser aussi cruellement de ma situation pour me placer ainsi entre la mort et l’infamie ; sortez, je saurai mourir innocente, et je mourrai du moins sans remords.

Ma résistance enflamme ce scélérat, il ose me montrer à quel point ses passions se trouvent irritées ; l’infâme, il ose concevoir les caresses de l’amour au sein de l’horreur et des chaînes, sous le glaive même qui m’attend pour me frapper. Je veux fuir, il me poursuit, il me renverse sur la malheureuse paille qui me sert de lit, et s’il n’y consomme entièrement son crime, il m’en couvre au moins de traces si funestes qu’il ne m’est plus possible de ne pas croire à l’abomination de ses desseins.

— Écoutez, me dit-il en se rajustant, vous ne voulez pas que je vous sois utile ; à la bonne heure, je vous abandonne, je ne vous servirai ni ne vous nuirai, mais si vous vous avisez