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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/130

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

eux, ils y mettaient enfin toute la délicatesse qu’il était possible d’attendre de deux âmes sensibles… On lui fit faire des remèdes pendant quelques jours, on la baigna, on la para, on l’embellit ; elle était l’idole des deux amants, c’était à qui des deux lui ferait plus tôt oublier ses malheurs. Avec quelques soins un excellent artiste se chargea de faire disparaître cette marque ignominieuse, fruit cruel de la scélératesse de Rodin. Tout répondait aux vœux de Mme de Lorsange et de son délicat amant ; déjà les traces de l’infortune s’effaçaient du front charmant de l’aimable Justine… déjà les grâces y rétablissaient leur empire ; aux teintes livides de ses joues d’albâtre succédaient les roses du printemps ; le rire effacé depuis si longtemps de ces lèvres y reparut enfin sur l’aile des plaisirs. Les meilleures nouvelles arrivaient de Paris, M. de Corville avait mis toute la France en mouvement, il avait ranimé le zèle de M. S. qui s’était joint à lui pour peindre les malheurs de Justine et pour lui rendre une tranquillité qui lui était aussi bien due… Des lettres du roi arrivèrent enfin, qui purgeant Justine de tous les procès qui lui avaient été injustement intentés depuis son enfance, lui rendaient le titre d’honnête citoyenne, imposaient à jamais silence à tous les tribunaux du royaume qui avaient comploté contre cette malheureuse, et lui accordaient douze cents livres de pension sur les fonds saisis dans l’atelier des faux-monnayeurs du Dauphiné. Peu s’en fallut qu’elle n’expirât de joie en apprenant d’aussi flatteuses nouvelles ; elle en versa plusieurs jours de suite des larmes bien douces dans le sein de ses protecteurs, lorsque tout à coup son humeur changea sans qu’il fût possible d’en deviner la cause. Elle devint sombre, inquiète, rêveuse, quelquefois elle pleurait au milieu de ses amis sans pouvoir elle-même expliquer le sujet de ses larmes.

— Je ne suis pas née pour un tel comble de bonheur, disait-elle quelquefois à Mme de Lorsange… oh ma chère sœur, il est impossible qu’il puisse durer.

On avait beau lui représenter que toutes ses affaires étant finies, elle ne devait plus avoir aucune sorte d’inquiétude ; l’attention que l’on avait eue de ne point parler dans les mémoires qui avaient été faits pour elle d’aucun des personnages avec lesquels elle avait été compromise et dont le