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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/131

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

crédit pouvait être à redouter, ne pouvait que la calmer encore ; cependant rien n’y parvenait, on eût dit que cette pauvre fille, uniquement destinée au malheur et sentant la main de l’infortune toujours suspendue sur sa tête, prévît déjà le dernier coup dont elle allait être écrasée.

Mme de Lorsange habitait encore la campagne ; on était sur la fin de l’été, on projetait une promenade qu’un orage affreux qui se formait, paraissait devoir déranger ; l’excès de la chaleur avait contraint de laisser tout ouvert dans le salon. L’éclair brille, la grêle tombe, les vents sifflent avec impétuosité, des coups de tonnerre affreux se font entendre. Mme de Lorsange effrayée… Mme de Lorsange qui craint horriblement le tonnerre, supplie sa sœur de fermer tout le plus promptement qu’elle pourra ; M. de Corville rentrait en ce moment ; Justine, empressée de calmer sa sœur, vole à une fenêtre, elle veut lutter une minute contre le vent qui la repousse, à l’instant un éclat de foudre la renverse au milieu du salon et la laisse sans vie sur le plancher.

Mme de Lorsange jette un cri lamentable… elle s’évanouit ; M. de Corville appelle au secours, les soins se divisent, on rappelle Mme de Lorsange à la lumière, mais la malheureuse Justine était frappée de façon à ce que l’espoir même ne pouvait plus subsister pour elle. La foudre était entrée par le sein droit, elle avait brûlé la poitrine, et était ressortie par sa bouche, en défigurant tellement son visage qu’elle faisait horreur à regarder. M. de Corville voulut la faire emporter à l’instant. Mme de Lorsange se lève, avec l’air du plus grand calme et s’y oppose.

— Non, dit-elle à son amant, non, laissez-la sous mes regards un instant, j’ai besoin de la contempler pour m’affermir dans la résolution que je viens de prendre ; écoutez-moi, monsieur, et ne vous opposez point surtout au parti que j’adopte et dont rien au monde ne pourra me distraire à présent. Les malheurs inouïs qu’éprouve cette malheureuse, quoiqu’elle ait toujours respecté la vertu, ont quelque chose de trop extraordinaire, monsieur, pour ne pas m’ouvrir les yeux sur moi-même ; ne vous imaginez pas que je m’aveugle sur ces fausses lueurs de félicité dont nous avons vu jouir dans le cours de ses aventures les scélérats qui l’ont tourmentée. Ces caprices du sort sont des énigmes