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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/38

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

détestai ces horreurs, je me fis une loi de les fouler aux pieds, un serment de n’y revenir de mes jours ; imite-moi si tu veux être raisonnable.

— Oh monsieur, répondis-je au marquis, vous priveriez une malheureuse de son plus doux espoir si vous lui enleviez cette religion qui la console ; fermement attachée à ce qu’elle enseigne, absolument convaincue que tous les coups qui lui sont portés ne sont que l’effet du libertinage et des passions, irai-je sacrifier à des sophismes qui me font frémir l’idée la plus douce de ma vie ?

J’ajoutais à cela mille autres raisonnements dictés par ma raison, épanchés par mon cœur, mais le marquis n’en faisait que rire, et ses principes captieux, nourris d’une éloquence plus mâle, soutenus de lectures que je n’avais heureusement jamais faites, renversaient toujours tous les miens. Mme de Bressac remplie de vertu et de piété n’ignorait pas que son fils soutenait ses écarts par tous les paradoxes de l’incrédulité ; elle en gémissait souvent avec moi, et comme elle daignait me trouver un peu plus de bon sens qu’aux autres femmes qui l’entouraient, elle aimait à me confier ses chagrins.

Cependant les mauvais procédés de son fils redoublaient pour elle ; il était au point de ne plus s’en cacher, non seulement il avait entouré sa mère de toute cette canaille dangereuse servant à ses plaisirs, mais il avait poussé l’insolence jusqu’à lui déclarer devant moi, que si elle s’avisait de contrarier encore ses goûts, il la convaincrait du charme dont ils étaient en s’y livrant à ses yeux mêmes. Je gémissais de ces propos et de cette conduite, je tâchais d’en tirer au fond de moi-même des motifs pour étouffer dans mon âme cette malheureuse passion qui la dévorait… mais l’amour est-il un mal dont on puisse guérir ? Tout ce que je cherchais à lui opposer n’attisait que plus vivement sa flamme, et le perfide Bressac ne me paraissait jamais plus aimable que quand j’avais réuni devant moi tout ce qui devait m’engager à le haïr.

Il y avait quatre ans que j’étais dans cette maison, toujours persécutée par les mêmes chagrins, toujours consolée par les mêmes douceurs, lorsque l’affreux motif des séductions du marquis me fut enfin offert dans toute son horreur.