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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/41

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

devoir de la reconnaissance pour s’être occupée de son plaisir ? Ce n’est pas le sang de la mère d’ailleurs qui forme l’enfant, c’est celui du père seul ; le sein de la femelle fructifie, conserve, élabore, mais il ne fournit rien, et voilà la réflexion qui jamais ne m’eût fait attenter aux jours de mon père, pendant que je regarde comme une chose toute simple de trancher le fil de ceux de ma mère. S’il est donc possible que le cœur de l’enfant puisse s’émouvoir avec justice de quelques sentiments de gratitude envers une mère, ce ne peut être qu’en raison de ses procédés pour nous dès que nous sommes en âge d’en jouir. Si elle en a eu de bons, nous pouvons l’aimer, peut-être même le devons-nous ; si elle n’en a eu que de mauvais, enchaînés par aucune loi de la nature, non seulement nous ne lui devons plus rien, mais tout nous dicte de nous en défaire, par cette force puissante de l’égoïsme qui engage naturellement et invinciblement l’homme à se débarrasser de tout ce qui lui nuit.

— Oh, monsieur, répondis-je tout effrayée au marquis, cette indifférence que vous supposez à la nature n’est encore ici que l’ouvrage de vos passions ; daignez un instant écouter votre cœur au lieu d’elles, et vous verrez comme il condamnera ces impérieux raisonnements de votre libertinage. Ce cœur au tribunal duquel je vous renvoie n’est-il pas le sanctuaire où cette nature que vous outragez veut qu’on l’écoute et qu’on la respecte ? si elle y grave la plus forte horreur pour ce crime que vous méditez, m’accorderez-vous qu’il est condamnable ? Me direz-vous que le feu des passions détruit en un instant cette horreur, vous ne vous serez pas plus tôt satisfait qu’elle y renaîtra, qu’elle s’y fera entendre par l’organe impérieux des remords. Plus est grande votre sensibilité, plus leur empire sera déchirant pour vous… chaque jour, à chaque minute, vous la verrez devant vos yeux, cette mère tendre que votre main barbare aura plongée dans le tombeau, vous entendrez sa voix plaintive prononcer encore le doux nom qui faisait le charme de votre enfance… elle apparaîtra dans vos veilles, elle vous tourmentera dans vos songes, elle ouvrira de ses mains sanglantes les plaies dont vous l’aurez déchirée ; pas un moment heureux dès lors ne luira pour vous sur la terre, tous vos plaisirs seront empoisonnés, toutes vos idées se troubleront, une main