Aller au contenu

Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
376
LES INFORTUNES DE LA VERTU.

avec moi que des épithètes les plus grossières et les plus horribles :

— B…, me dit-il sans que les jeunes gens pussent l’entendre encore, reconnais-tu ce buisson dont je t’ai tirée comme une bête sauvage pour te rendre à la vie que tu avais mérité de perdre ? Reconnais-tu cet arbre, où je te menaçai de te remettre si tu me donnais jamais sujet de me repentir de mes bontés ? Pourquoi acceptais-tu les services que je te demandais contre ma mère si tu avais dessein de me trahir, et comment as-tu imaginé servir la vertu en risquant la liberté de celui à qui tu devais la vie ? Nécessairement placée entre deux crimes, pourquoi as-tu choisi le plus abominable ? Tu n’avais qu’à me refuser ce que je te demandais, et non pas l’accepter pour me trahir.

Alors le marquis me conta tout ce qu’il avait fait pour surprendre les dépêches du courrier et quels étaient les soupçons qui l’y avaient engagé.

— Qu’as-tu fait par ta fausseté, indigne créature ? continua-t-il, tu as risqué tes jours sans conserver ceux de ma mère, le coup est fait et j’espère à mon retour voir mes succès amplement couronnés. Mais il faut que je te punisse, il faut que je t’apprenne que le sentier de la vertu n’est pas toujours le meilleur et qu’il y a des positions dans le monde où la complicité d’un crime est préférable à sa délation. Me connaissant comme tu dois me connaître, comment as-tu osé te jouer à moi ? t’es-tu figuré que le sentiment de la pitié que n’admit jamais mon cœur que pour l’intérêt de mes plaisirs, ou que quelques principes de religion que je foulai constamment aux pieds, seraient capables de me retenir ?… ou peut-être as-tu compté sur tes charmes ? ajouta-t-il avec le ton du plus cruel persiflage… Eh bien, je vais te prouver que ces charmes, aussi dévoilés qu’ils peuvent l’être, ne serviront qu’à mieux allumer ma vengeance.

Et sans me donner le temps de répondre, sans témoigner la moindre émotion pour le torrent de larmes dont il me voyait inondée, m’ayant fortement saisi le bras et me traînant à ses satellites :

— La voilà, leur dit-il, celle qui a voulu empoisonner ma mère et qui peut-être a déjà commis ce crime affreux, quels qu’aient été mes soins pour le prévenir ; j’aurais peut-être