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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/84

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

plus cruel si elle venait à dire un seul mot, ou à manquer son rôle, elle s’en tira du mieux qu’elle put et la fraude eut tout le succès qu’on en pouvait attendre ; le peuple cria au miracle, laissa de riches offrandes à la Vierge et s’en retourna plus convaincu que jamais de l’efficacité des grâces de cette mère céleste.

Nos libertins voulurent pour parfaire leur impiété que Florette parût au souper dans les mêmes vêtements qui lui avaient attiré tant d’hommages, et chacun d’eux enflamma ses odieux désirs à la soumettre sous ce costume à l’irrégularité de ses caprices. Irrités de ce premier crime, les monstres ne s’en tinrent pas là ; ils l’étendirent ensuite nue, à plat ventre sur une grande table, ils allumèrent des cierges, ils placèrent l’image de notre sauveur à sa tête et osèrent consommer sur les reins de cette malheureuse le plus redoutable de nos mystères. Je m’évanouis à ce spectacle horrible, il me fut impossible de le soutenir. Raphaël, voyant cela, dit que pour m’y apprivoiser il fallait que je servisse d’autel à mon tour. On me saisit, on me place au même lieu que Florette et l’infâme Italien, avec des épisodes bien plus atroces et bien autrement sacrilèges, consomme sur moi la même horreur qui venait de s’exercer sur ma compagne. On me retira de là sans mouvement, il fallut me porter dans ma chambre où je pleurai trois jours de suite en larmes bien amères le crime horrible où j’avais servi malgré moi… Ce souvenir déchire encore mon cœur, madame, je n’y pense point sans verser des pleurs ; la religion est en moi l’effet du sentiment, tout ce qui l’offense ou l’outrage fait jaillir le sang de mon cœur.

Cependant il ne nous parut pas que la nouvelle compagne que nous attendions fût prise dans le concours de peuple qu’avait attiré la fête ; peut-être cette recrue eut-elle lieu dans l’autre sérail, mais rien n’arriva chez nous. Tout se soutint ainsi quelques semaines ; il y en avait déjà six que j’étais dans cette odieuse maison, quand Raphaël entra vers les neuf heures un matin dans notre tour. Il paraissait très enflammé, une sorte d’égarement se peignait dans ses regards ; il nous examina toutes, nous plaça l’une après l’autre dans son attitude chérie, et s’arrêta particulièrement à Omphale. Il reste plusieurs minutes à la contempler dans