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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/90

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

qu’une autre les infâmes désirs de ce débauché, et il s’écoulait peu de semaines depuis longtemps sans que je n’en passasse quatre ou cinq nuits dans sa chambre. Je retrouvai le lendemain en rentrant ma nouvelle compagne dans les pleurs, je lui dis tout ce qui m’avait été dit pour me calmer, sans y réussir avec elle plus qu’on n’avait réussi avec moi. Il n’est pas bien aisé de se consoler d’un changement de sort aussi subit ; cette jeune fille d’ailleurs avait un grand fonds de piété, de vertu, d’honneur et de sentiment, son état ne lui en parut que plus cruel. Raphaël qui l’avait prise fort en gré passa plusieurs nuits de suite avec elle, et peu à peu elle fit comme les autres, elle se consola de ses malheurs par l’espérance de les voir finir un jour. Omphale avait eu raison de me dire que l’ancienneté ne faisait rien aux réformes, que seulement dictées par le caprice des moines ou peut-être par quelques recherches ultérieures, on pouvait la subir au bout de huit jours comme au bout de vingt ans ; il n’y avait pas six semaines qu’Octavie était avec nous, quand Raphaël vint lui annoncer son départ… elle nous fit les mêmes promesses qu’Omphale et disparut comme elle sans que nous ayons jamais su ce qu’elle était devenue.

Nous fûmes environ un mois sans voir arriver de remplacement. Ce fut pendant cet intervalle que j’eus, comme Omphale, occasion de me persuader que nous n’étions pas les seules filles qui habitassent cette maison et qu’un autre bâtiment sans doute en recélait un pareil nombre que le nôtre, mais Omphale ne put que soupçonner et mon aventure bien autrement convaincante confirma tout à fait mes soupçons ; voici comme cela arriva. Je venais de passer la nuit chez Raphaël et j’en sortais suivant l’usage sur les sept heures du matin, lorsqu’un frère aussi vieux, aussi dégoûtant que le nôtre et que je n’avais pas encore vu, survint tout à coup dans le corridor avec une grande fille de dix-huit à vingt ans qui me parut fort belle et faite à peindre. Raphaël qui devait me ramener, se faisait attendre ; il arriva comme j’étais positivement en face de cette fille que le frère ne savait où fourrer pour la soustraire à mes regards.

— Où menez-vous cette créature ? dit le gardien furieux.

— Chez vous, mon révérend père, dit l’abominable mer-