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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/91

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

cure. Votre Grandeur oublie qu’elle m’en a donné l’ordre hier au soir.

— Je vous ai dit à neuf heures.

— À sept, monseigneur, vous m’avez dit que vous la vouliez voir avant votre messe.

Et pendant tout ce temps-là je considérais cette compagne qui me regardait avec le même étonnement.

— Eh bien qu’importe, dit Raphaël en me ramenant dans sa chambre et y faisant entrer cette fille. Tenez, me dit-il, Sophie, après avoir fermé sa porte et fait attendre le frère, cette fille occupe dans une autre tour le même poste que vous occupez dans la vôtre, elle est doyenne ; il n’y a point d’inconvénients à ce que nos deux doyennes se connaissent, et pour que la connaissance soit plus entière, Sophie, je vais te faire voir notre Marianne toute nue.

Cette Marianne, qui me paraissait une fille très effrontée, se déshabilla dans l’instant, et Raphaël, m’ordonnant d’exciter ses désirs, la soumit à mes yeux à ses plaisirs de choix.

— Voilà ce que je lui voulais, dit l’infâme aussitôt qu’il fut satisfait, il suffit que j’aie passé la nuit avec une fille pour en désirer le matin une nouvelle ; rien n’est insatiable comme nos goûts, plus on y sacrifie, plus ils échauffent ; quoique ce soit toujours à peu près la même chose, on suppose sans cesse de nouveaux appas, et l’instant où la satiété éteint nos désirs avec une est celui où le même libertinage vient les allumer avec l’autre. Vous êtes deux filles de confiance, ainsi taisez-vous toutes deux ; partez, Sophie, partez, le frère va vous ramener ; j’ai quelque nouveau mystère à célébrer encore avec votre compagne.

Je promis le secret qu’on exigeait de moi et partis, bien assurée maintenant que nous n’étions pas les seules qui servissions aux plaisirs monstrueux de ces effrénés libertins.

Cependant Octavie fut incessamment remplacée ; une petite paysanne de douze ans, fraîche et jolie mais bien inférieure à elle, fut l’objet qu’on mit au lieu d’elle ; avant deux ans je devins la plus ancienne. Florette et Cornélie partirent à leur tour, me jurant comme Omphale de me donner de leurs nouvelles et n’y réussissant pas plus que cette infortunée ; l’une et l’autre venaient d’être remplacées,