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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tomes 13-14 - Les Infortunes de la vertu, 1973.djvu/93

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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

— Et moi, mes enfants, nous dit-il, je passe au gardiennat de Lyon ; deux nouveaux pères vont nous remplacer incessamment dans cette maison, peut-être arriveront-ils dans la journée ; nous ne les connaissons pas, il est aussi possible qu’ils vous renvoient chacune chez vous comme il l’est qu’ils vous conservent, mais quel que soit votre sort, je vous conseille pour vous-mêmes, et pour l’honneur des deux confrères que nous laissons ici, de déguiser les détails de notre conduite, et de n’avouer que ce dont il est impossible de ne pas convenir.

Une nouvelle aussi flatteuse pour nous ne permettait pas que nous refusassions à ce moine ce qu’il paraissait désirer ; nous lui promîmes tout ce qu’il désirait, et le libertin voulut encore nous faire ses adieux à toutes les quatre. La fin entrevue des malheurs en fait supporter les derniers coups sans se plaindre ; nous ne lui refusâmes rien et il sortit pour se séparer à jamais de nous. On nous servit à dîner comme à l’ordinaire ; environ deux heures après, le père Clément entra dans notre chambre avec deux religieux vénérables et par leur âge et par leur figure.

— Convenez, mon père, dit l’un d’eux à Clément, convenez que cette débauche est horrible et qu’il est bien singulier que le ciel l’ait soufferte si longtemps.

Clément convint humblement de tout, il s’excusa sur ce que ni lui ni ses confrères n’avaient rien innové, et qu’ils avaient les uns et les autres trouvé tout dans l’état où ils le rendaient ; qu’à la vérité les sujets variaient, mais qu’ils avaient trouvé de même cette variété établie, et qu’ils n’avaient donc fait en tout que suivre l’usage indiqué par leurs prédécesseurs.

— Soit, reprit le même père qui me parut être le nouveau gardien et qui l’était en effet, soit, mais détruisons bien vite cette exécrable débauche, mon père, elle révolterait dans des gens du monde, je vous laisse à penser ce qu’elle doit être pour des réligieux.

Alors ce père nous demanda ce que nous voulions devenir. Chacune répondit qu’elle désirait retourner ou dans son pays ou dans sa famille.

— Cela sera, mes enfants, dit le moine, et je vous remettrai même à chacune la somme nécessaire pour vous y rendre,