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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/266

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comme tu le dis avec raison, le crime s’enveloppe d’un mystère impénétrable, j’ai entendu le nom de Cedric ; et quelque criminelle, quelque dégradée que je fusse, je me réjouissais en pensant qu’il restait encore un vengeur à notre malheureuse patrie. J’ai eu aussi quelques heures de vengeance ; j’ai soufflé la discorde entre mes ennemis, j’ai suscité les querelles et le meurtre ; au milieu des vapeurs de l’ivresse, j’ai vu leur sang couler, et j’ai entendu avec délices les gémissements de leur agonie ! Regarde-moi, Cedric, ne trouves-tu pas encore sur ce visage souillé et flétri quelque trait qui te rappelle ceux des Torquil ?

— Ne me parle pas des Torquil, Ulrique, » répondit Cedric avec une expression de chagrin et d’horreur ; « cette ressemblance que tu veux que je retrouve est celle qui existe entre un cadavre qui sort du tombeau, ranimé pour quelques instants par le démon, et l’homme que nous avons vu plein de vie.

— Soit ; mais cette figure infernale portait le masque d’un esprit de lumière, lorsqu’elle parvint à exciter la haine entre Front-de-Bœuf et son fils Reginald. Les ténèbres de l’enfer devraient cacher ce qui s’ensuivit ; mais l’amour de la vengeance doit arracher le voile, et publier impitoyablement ce qui serait capable de forcer les morts à se lever pour parler. Depuis long-temps les flammes dévorantes de la discorde consumaient le cœur du tyran farouche et celui de son sauvage fils ; depuis long-temps je nourrissais en secret une haine atroce : elle éclata au milieu d’une orgie, et mon oppresseur succomba à sa propre table, et de la main de son propre fils. Tels sont les secrets que cachaient ces horribles voûtes ! Murs maudits, écroulez-vous ! » ajouta la furie en dirigeant ses regards vers le plafond de la salle ; « écrasez sous vos décombres et ensevelissez à jamais tous ceux qui furent initiés à ces affreux mystères !

— Et toi, créature pétrie de crimes et de misères, quel fut ton sort après la mort de ton ravisseur ?

— Devine-le, mais ne me le demande pas !… Je continuai d’habiter cette infâme demeure jusqu’à ce que la vieillesse, une vieillesse hideuse et prématurée, eût imprimé ses rides sur mon front. Je me vis méprisée, insultée dans ces mêmes lieux où naguère tout obéissait à ma voix ; forcée de borner ma vengeance à des efforts infructueux, à des intrigues secondaires, ou aux malédictions sans effet d’une rage impuissante, et condamnée à entendre, de la tour solitaire où je suis confinée, le bruit des orgies et des festins aux-