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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/57

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— Bois-Guilbert, dit Cedric, comme s’il rêvait en se parlant à lui-même, suivant l’usage d’un homme qui vit au milieu de ses domestiques, et qui préfère adresser la parole plutôt à soi-même qu’à eux. Bois-Guilbert ! ce nom a été répandu au loin sous de bons et de mauvais auspices. On dit que c’est le plus brave de tous ceux de son ordre : mais qu’il en a tous les vices ; orgueil, arrogance, cruauté, débauche ; il a le cœur dur, il ne craint rien de ce qui est sur la terre et ne respecte rien de ce qui est du ciel, comme le disent le peu de guerriers revenus de la Palestine. N’importe, ce n’est que pour une nuit, il sera également le bienvenu. Oswsald, mets en perce le tonneau de vin le plus vieux, prépare le meilleur hydromel, le morat le plus exquis, le cidre le plus mousseux, le pigment le plus balsamique ; mets sur la table les plus grandes coupes, les templiers et les abbés aiment le bon vin et la bonne mesure[1]. Elgitha, allez dire à lady Rowena de ne pas venir au banquet cette fois-ci, à moins qu’elle ne le désire expressément. »

« Elle le désirera, n’en doutez point, répondit la suivante avec une glande hardiesse, car elle voudra entendre les nouvelles de la Palestine. » Cedric lui lança un regard de mécontentement ; mais Rowena, et tout ce qui lui appartenait, avait le privilège d’être à l’abri de la colère du maître. Il répondit seulement : « Silence, petite fille, et que ta langue soit discrète ; porte mon message à ta maîtresse, et qu’elle agisse selon qu’il lui plaira. Ici, du moins, la descendante d’Alfred règne encore en princesse. » Elgitha sortit.

« La Palestine ! la Palestine ! répéta le Saxon. Combien d’oreilles s’ouvrent aux récits que nous font ces croisés dissolus, ces hypocrites pèlerins qui reviennent d’un si fatal pays ! Et moi aussi je pourrais demander… je pourrais m’informer… je pourrais écouter avec un cœur palpitant les fables que ces rusés vagabonds débitent chez nous afin d’en extorquer une hospitalité indigne d’eux. Mais non, aucun lien ne m’attache plus désormais au fils qui a refusé d’obéir à ma voix, son sort m’est aussi indifférent que celui de la plupart des misérables qui, portant sur leur poitrine le symbole de la rédemption, se précipitèrent par millions dans les excès les plus inouïs, dans les crimes les plus horribles, et crurent, au milieu de leurs atrocités, accomplir la volonté du Tout-Puissant. »

  1. Walter Scott parle ici des templiers d’après les moines, qui étaient leurs plus cruels ennemis. Les templiers, suivant la règle de leur ordre, n’ont pour boisson que de l’eau. Le morat, dit l’auteur anglais, était une boisson faite de jus de mûres et de miel ; le pigment, un breuvage où il entrait du vin, du miel et des épices. a. m.