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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/150

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Robert de Paris arriva dans la soirée ; apprenant ce dont il s’agissait, il envoya son nom aux barrières, comme celui d’un chevalier qui se passerait bien prix du tournoi si la fortune voulait qu’il le remportât, et déclara que les terres et les dames n’étaient pas ce qu’il venait chercher. Brenhilda, piquée et mortifiée, prit une nouvelle lance, monta son meilleur coursier, et s’avança dans la lice, déterminée à punir ce nouvel assaillant du peu de cas qu’il semblait faire de ses charmes. Mais, soit que son dépit la privât de son adresse ordinaire, soit que, comme beaucoup d’autres femmes, elle se sentît prévenue pour un homme qui ne se montrait nullement jaloux de conquérir son cœur, soit enfin, comme on l’a dit souvent en pareille occasion, que son heure fatale fût arrivée, le comte Robert lutta contre elle avec son habileté et son bonheur habituels. Brenhilda d’Aspremont fut désarçonnée, son casque tomba, elle-même roula sur l’arène ; sa belle figure, de rose qu’elle était, devint, sous les yeux du vainqueur, d’une pâleur mortelle, et produisit son effet naturel en rehaussant dans l’esprit de Robert le prix de la victoire. Il allait, néanmoins, conformément à sa résolution, quitter le château après avoir mortifié la vanité de la dame ; mais la mère de Brenhilda intervint à propos ; et quand elle se fut assurée qu’aucun mal sérieux n’avait été fait à la jeune héritière, elle remercia le chevalier inconnu d’avoir donné à sa fille une leçon qu’elle espérait ne pas lui voir oublier de sitôt. Engagé par elle à faire ce qu’il désirait secrètement, le comte Robert prêta l’oreille aux sentiments qui l’engageaient tout bas à ne point s’éloigner aussi vite.

Il était du sang de Charlemagne, et ce qui était encore de plus grande importance aux yeux de la jeune dame, un des chevaliers normands les plus renommés de cette époque belliqueuse. Après une résidence de dix jours au château d’Aspremont, les jeunes fiancés partirent (telle fut la volonté de Robert), avec une suite convenable, pour se rendre à Notre-Dame des Lances rompues, où il lui plaisait d’être marié. Deux chevaliers qui, suivant la coutume du lieu, y attendaient des adversaires, furent un peu désappointés en voyant venir une cavalcade qui ne semblait pas propre à satisfaire leurs désirs. Mais ils furent bien surpris quand ils reçurent un cartel des futurs époux : offrant de leur servir d’adversaires, et se félicitant de commencer leur vie matrimoniale d’une manière si conforme à celle qu’ils avaient jusqu’alors menée. Ils furent victorieux suivant leur usage, et les seules personnes qui eurent à se repentir de la complaisance du comte et de sa fiancée furent les deux