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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/216

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aucun autre de ces animaux. Après ces explications nous reprenons le fil de notre histoire.

L’animal s’avançait à pas longs et silencieux : son ombre réfléchie sur la muraille, lorsqu’il tenait la torche de manière à la rendre visible aux yeux du Franc, formait une représentation de son grand corps et de ses membres démesurés qui ressemblait au portrait du diable. Le comte Robert demeurait dans sa cachette, peu pressé de commencer un combat dont il était impossible de prévoir le résultat. L’homme des bois approchait toujours, et chaque pas qu’il faisait en avant causait au comte un battement de cœur qu’on eût presque entendu, à l’idée de se trouver en face d’un danger d’une nature si étrange et si nouvelle. À la fin, cet être singulier s’approcha du lit, ses yeux hideux se fixèrent sur ceux du comte, et aussi étonné que Robert, il recula de quinze pas en arrière d’un seul bond, en poussant instinctivement un cri de terreur ; ensuite il revint sur la pointe des pieds, étendant en avant autant qu’il le pouvait sa torche entre lui et l’objet de ses craintes, comme pour le voir bien en s’approchant le moins possible. Le comte Robert saisit un fragment du bois de lit, assez fort pour former une espèce de massue, avec laquelle il menaça le naturel des forêts.

Suivant toute apparence l’éducation de cette pauvre créature, comme beaucoup d’autres éducations, n’avait point été faite sans l’emploi des coups, dont il avait le souvenir aussi présent que celui des leçons qu’ils avaient servi à lui inculquer. Le comte Robert de Paris était homme à découvrir au premier coup d’œil qu’il avait sur son ennemi un ascendant qu’il n’avait pas soupçonné. Il redressa sa taille martiale, et d’un pas aussi fier que s’il triomphait dans la lice, s’avança en menaçant son ennemi de sa massue, comme s’il eût brandi contre son antagoniste le redoutable tranchefer. D’un autre côté, l’homme des bois lâcha pied, et convertit la circonspection de son mouvement en avant en une retraite non moins prudente. Néanmoins il n’avait point renoncé à toute résistance : il poussait des cris inarticulés d’un ton irrité, opposait sa torche à l’ennemi, et paraissait sur le point d’en frapper le croisé. Le comte Robert résolut de prendre son adversaire en défaut, tandis qu’il était influencé par la crainte, et privé de la supériorité naturelle, en force et en agilité, que sa conformation singulière semblait impliquer. Maniant donc fort habilement son arme, le comte menaça son sauvage antagoniste d’un coup sur le côté droit de la tête, puis détour-