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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/217

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nant soudainement le coup, le frappa sur la tempe gauche ; en une minute il le tint sous son genou et tira son poignard.

L’orang-outang, ignorant la nature de cette nouvelle arme, essaya en même temps de se relever de terre, de renverser son antagoniste, et de lui arracher le poignard de la main. Il eut probablement réussi dans le premier de ces projets ; déjà il s’était redressé sur les genoux, et paraissait devoir reprendre le dessus, lorsqu’il s’aperçut que le chevalier, en retirant vivement le poignard, lui avait fortement coupé la main ; alors voyant diriger cette arme tranchante contre sa gorge, le singe comprit probablement que sa vie était entre les mains de son ennemi. Il se laissa renverser en arrière sans faire plus de résistance, en laissant échapper un cri lamentable, qui avait quelque chose de la voix humaine. Il se couvrit les yeux de la main qui n’était pas blessée, comme s’il eût voulu éviter de voir venir la mort.

Le comte Robert, malgré sa frénésie belliqueuse, était naturellement un homme doux et modéré, et bon surtout envers les animaux. Une pensée le frappa tout-à-coup : « Pourquoi arracher à ce monstre infortuné une existence après laquelle il n’y a rien pour lui ? Et après tout, n’est-ce pas quelque prince ou quelque chevalier transformé en cette figure grotesque, pour aider à surveiller ces cachots et les étonnantes aventures qui s’y accomplissent ? ne me rendrais-je pas alors coupable d’un crime, en le tuant, lorsqu’il s’est remis à discrétion, ce qu’il a fait aussi complètement que sa métamorphose le lui permettait ; et si c’est réellement une créature animale, ne peut-il pas avoir quelque sentiment de reconnaissance ? J’ai entendu les ménestrels chanter le lai d’Androclès et du Lion. Je me tiendrai sur mes gardes avec lui. »

En parlant ainsi, il se leva de dessus l’homme des bois, et lui permit seulement de se relever. L’animal sembla apprécier sa clémence, car il laissa échapper une espèce de murmure d’un ton de voix bas et suppliant, qui semblait à la fois demander grâce et remercier de la faveur qu’on lui avait déjà accordée. Il pleura aussi en voyant le sang couler de sa blessure ; et avec un visage inquiet, qui ressemblait davantage à une figure humaine, depuis qu’il y avait une expression de souffrance, il attendit, en tremblant, les ordres d’un être plus puissant que lui.

La poche que le chevalier portait sous son armure, et qui ne pouvait contenir que peu d’objets, renfermait cependant un baume vulnéraire, dont le comte avait souvent besoin, un peu de charpie,