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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/239

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« Eh quoi ! notre belle ennemie a-t-elle fait retirer ses troupes ? N’importe, il est évident qu’elle pense à la guerre, quand même l’ennemi n’est pas en vue. Eh bien ! tu n’auras point à me reprocher cette fois, Agelastès, d’aller trop vite en amour et de me priver du plaisir de la poursuite. Par les cieux ! je serai aussi régulier dans mes mouvements que si je portais réellement sur mes épaules tout le fardeau d’années qui fait la différence entre nous deux ; car je soupçonne fortement, vieillard, que c’est le maudit envieux, le Temps, qui a coupé pour toi les ailes de l’amour. — Ne parlez pas ainsi, puissant césar, répliqua le vieillard ; c’est la main de la Prudence, qui, en arrachant des ailes de l’amour quelques mauvaises plumes, lui en laisse encore assez pour voler d’un vol égal et assuré. — Ton vol était cependant moins mesuré, Agelastès, lorsque tu rassemblas les pièces de cette armure… lorsque tu empruntas aux magasins de l’amour cette panoplie dont ta bonté m’a permis de m’armer, ou plutôt de compléter mon équipement. »

Tout en parlant ainsi, il regardait sa propre personne resplendissante de diamants ; il était orné de chaînes d’or, de bracelets, d’anneaux et d’autres ornements qui, avec le costume élégant qu’il portait en arrivant aux jardins de Cythère, faisaient ressortir les avantages de son bel extérieur.

« Je suis charmé, dit Agelastès, que vous ayez pu trouver parmi des brimborions que je ne porte jamais maintenant, et dont j’ai même peu fait usage dans ma jeunesse, quelque chose qui puisse rehausser vos avantages naturels. Rappelez-vous seulement cette petite condition, que ces bagatelles qui ont l’honneur d’orner votre personne en ce grand jour ne peuvent revenir à un possesseur moins illustre, mais qu’elles doivent de toute nécessité rester au grand personnage à qui elles ont une fois servi. — Je ne puis y consentir, mon digne ami, répliqua le césar ; je sais que tu attaches à ces joyaux la valeur que peut y attacher un philosophe, c’est-à-dire qu’ils n’ont de prix à tes yeux que par les souvenirs qu’ils rappellent. Cet anneau avec sa large pierre, par exemple… je te l’ai entendu dire, a jadis appartenu à Socrate : et tu ne dois pas le regarder sans remercier sincèrement le ciel que ta philosophie n’ait jamais été mise à l’épreuve par une Xantippe. Ces agrafes brillèrent autrefois sur l’aimable sein de Phryné, et maintenant elles appartiennent à un homme qui saurait mieux que Diogène le cynique rendre hommage aux beautés qu’elles cachaient ou laissaient voir. Ces boucles aussi… — Je veux épargner ton ingénuité, bon jeune