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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/148

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prosélyte, et montrait beaucoup d’adresse à séduire la vanité de l’inexpérience, en lui faisant observer qu’un esprit comme le sien devait s’armer contre les préjugés imposés à son enfance, en l’assurant qu’un homme tel que lui, prenant le clavus de la raison, et déposant la bulla[1] d’une incapacité de jeunesse, comme disait Bletson, pouvait examiner et décider par lui-même. Il arrivait souvent que le jeune homme était amené à adopter en totalité ou en partie les doctrines du sage qui lui avait découvert son génie naturel et l’avait pressé de s’en servir pour examiner et reconnaître par lui-même, et enfin prendre un parti. Ainsi la flatterie gagnait plus de prosélytes à l’incrédulité que n’eussent pu faire ni tout le pouvoir de l’éloquence, ni les artificieux sophismes de l’incrédule.

Ces tentatives, pour étendre l’influence de ce qu’on appelait liberté de pensées ou philosophie, étaient faites, comme nous l’avons dit, avec une précaution dictée par le caractère timide du philosophe. Bletson ne se dissimulait pas que ses doctrines étaient suspectes, et ses démarches surveillées par les deux principales sectes des épiscopaux et des presbytériens, qui, ennemies l’une de l’autre, étaient encore plus hostiles à celui qui s’opposait non seulement à l’établissement d’une église quelconque, mais encore au christianisme, sous quelque dénomination que ce fût. Il trouva plus facile de se cacher parmi les indépendants qui demandaient liberté entière de conscience, ou tolérance illimitée, et dont la croyance, différant des autres sous tous les rapports et dans tous les détails, était poussée par quelques uns jusqu’à de si grossières erreurs, qu’ils dépassaient de beaucoup les limites de toutes les espèces de christianisme, et s’approchaient de très près de l’incrédulité, car toujours les extrêmes se touchent.

Bletson jouissait d’une grande influence parmi ces sectaires, et on avait dans sa logique et son adresse une confiance si aveugle qu’il alla, dit-on, jusqu’à concevoir l’espérance de ramener enfin à ses opinions l’enthousiaste Vane, ainsi qu’Harrison, qui ne l’était pas moins, pourvu qu’il parvînt à leur faire abandonner leur vision d’une cinquième monarchie, et à obtenir d’eux qu’ils se contentassent du règne des philosophes en Angleterre, pour le temps naturel de leur vie, au lieu du règne des saints durant leur millenium.

  1. Bulla était un ornement de cou des jeunes Romains, lequel était remplacé à dix-sept ans par le clavus, ou nœud de pourpre. a. m.