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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/288

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jeune ami jugera. Je parierais mon meilleur cheval, c’est-à-dire, je le parierais si on m’en avait laissé un seul, qu’Alice sera le plus habile des deux peintres… Le cerveau de mon fils, je pense, est encore tout troublé depuis sa défaite… il n’en a pas encore chassé la fumée de Worcester. Honte à toi !… être jeune, et te laisser abattre par une seule défaite ! si tu avais été battu vingt fois comme moi, c’est alors qu’il y aurait de quoi prendre un air triste… Mais, voyons, Alice ; les couleurs doivent être broyées sur ta palette… En avant, et donne-nous quelque chose qui ressemble aux portraits vivants de Van Dyck, pour le comparer à la peinture fade et sèche que voilà, et qui nous représente notre ancêtre Victor Lee. »

Alice, il faut l’observer, avait été élevée par son père dans les sentiments de loyauté excessive et même exagérée qui caractérisaient les Cavaliers, et réellement elle était royaliste enthousiaste. D’ailleurs l’heureux retour de son frère lui avait rendu sa gaîté ; elle souhaitait prolonger la bonne humeur à laquelle son père s’abandonnait pour la première fois depuis si long-temps.

« Eh bien donc, dit-elle, quoique je ne sois pas un Apelle, je tâcherai de peindre un Alexandre dont le modèle existe, je l’espère, et même suis déterminée à le croire, dans la personne de notre souverain exilé. J’ai foi en une prochaine restauration, et je ne prendrai pas ses traits ailleurs que dans sa propre famille. Il aura tout le courage chevaleresque, toute l’habileté militaire de son aïeul Henri de France, pour remonter sur son trône ; ce sera la même bienveillance, le même amour pour son peuple ; la même patience à écouter un conseil désagréable ; toute sa joie sera de sacrifier ses désirs et ses plaisirs au bien public, afin qu’il soit béni durant tout son règne, et que l’on garde si long-temps sa mémoire après sa mort que, pendant des siècles, on regardera comme un sacrilège de médire du trône qu’il aura occupé. Long-temps après sa mort, tant qu’il existera un vieillard qui l’aura vu, fût-il palefrenier ou domestique, sa vieillesse sera soignée aux frais de l’État, et ses cheveux gris seront plus respectés qu’une couronne de baronnet, parce qu’il se souviendra de Charles II, le monarque de tous les clans d’Angleterre. »

Tandis qu’Alice parlait, elle songeait n’être entendue que de son père et de son frère, car le page s’était retiré à l’écart de la compagnie, et rien ne le rappelait à la pensée d’Alice. Elle se laissa donc aller à son enthousiasme, et lorsque des larmes brillèrent dans ses