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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/198

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j’ai poussé mes confidences plus loin que je ne m’étais proposé. »

Je l’assurai qu’elle ne les avait pas mal placées.

« Je n’en doute pas, répondit-elle ; il y a dans votre physionomie et dans vos manières quelque chose qui autorise la confiance. Continuons d’être amis. Vous ne devez pas craindre, » ajouta-t-elle en riant et en rougissant un peu, mais d’une voix libre et dégagée, « que cette amitié ne soit pour nous, comme disent les poètes, qu’un nom spécieux qui cache un autre sentiment. Je pense et j’agis moins comme les femmes que comme les hommes au milieu desquels j’ai toujours été élevée. D’ailleurs le fatal voile m’a enveloppée dès mon berceau, car vous croyez bien que je n’ai jamais pensé à me soumettre à l’horrible condition qui peut l’écarter de moi. Le temps n’est pas arrivé pour faire connaître mes résolutions, et je désire conserver la libre jouissance de la terre et de l’air, aussi longtemps que cela me sera possible. Et maintenant que le passage du Dante est bien expliqué, allez je vous prie, voir ce qui est advenu des chasseurs de blaireau ; ma tête me fait trop souffrir pour que je puisse être de la partie. »

Je quittai la bibliothèque, mais non pour rejoindre les chasseurs. Je sentis que j’avais besoin d’une promenade solitaire pour calmer mes esprits, avant de me trouver de nouveau en face de Rashleigh, dont les calculs infâmes m’avaient été dévoilés d’une manière si frappante. Dans la famille Dubourg, qui était de la religion réformée, j’avais souvent entendu parler de prêtres catholiques qui avaient violé les droits de l’amitié, de l’hospitalité, les liens les plus sacrés, pour satisfaire les passions que les règles de leur profession leur ordonnent d’étouffer. Mais le plan prémédité d’entreprendre l’éducation d’une orpheline de noble naissance et alliée à sa famille, avec le perfide projet de la séduire, révélé par celle qui devait en être victime, avec toute la chaleur d’une vertueuse indignation, me paraissait encore plus atroce que les plus affreux récits qu’on m’avait faits à Bordeaux ; et je sentais qu’en me retrouvant avec Rashleigh, il me serait bien difficile de dissimuler l’horreur qu’il m’inspirait. Cependant il fallait absolument me contenir, non-seulement à cause des mystérieuses raisons que m’avait données Diana, mais encore parce que je n’avais pas de motif ostensible de lui chercher querelle.

Je résolus donc d’imiter autant que possible la dissimulation de Rashleigh, tant que je resterais dans la famille ; et je me promis,