Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’apaisa insensiblement, et je vins à me demander quel droit j’avais de pénétrer les secrets de miss Vernon et ceux de la famille de mon oncle. Reçu chez lui comme aurait pu l’être tout étranger, m’était-il permis de rechercher qui il pourrait cacher dans sa maison ? Et à quel titre m’allais-je mêler des affaires de miss Vernon, enveloppées, comme elle me l’avait avoué, d’un mystère qu’elle m’avait prié de ne point approfondir ?

La passion et la curiosité eurent bientôt répondu à ces questions. En dévoilant ce secret, j’allais, selon toute probabilité, rendre service à sir Hildebrand, qui sans doute ignorait les intrigues qui se tramaient dans sa famille ; et bien plus encore à miss Vernon, que sa naïve simplicité exposait à tant de périls en entretenant des liaisons secrètes peut-être avec une personne d’un caractère équivoque et dangereux. Si je paraissais forcer sa confiance, c’était dans l’intention généreuse et désintéressée (oui, j’osai même l’appeler désintéressée) de la guider, de la défendre et de la protéger contre la fourberie, la méchanceté, et surtout contre le conseiller secret qu’elle avait choisi pour son confident. Tels étaient les arguments que ma folle imagination opposait à ma conscience, monnaie courante que celle-ci prenait comme s’ils eussent été très-solides, imitant en cela le marchand qui accepte en murmurant une pièce qu’il ne croit pas de bon aloi, plutôt que de rompre avec une pratique.

Tandis que je parcourais les allées de gazon, examinant le pour et le contre, j’aperçus tout à coup André Fairservice, planté comme une statue devant une rangée de ruches, et dans l’attitude d’une dévote contemplation ; épiant d’un œil les mouvements de la population bourdonnante qui rentrait dans ses maisons de chaume, et l’autre fixé sur un livre de prières dont un long usage avait fait disparaître les angles, ce qui, joint à une couche épaisse de saleté, donnait à ce livre un air respectable d’antiquité.

« Je lisais à part moi la Fleur de douce saveur semée dans la vallée de ce monde[1], du digne maître John Quacklebeen, » dit André en fermant son livre, et plaçant ses lunettes de corne, en forme de marque, à l’endroit où il lisait.

« Et les abeilles, à ce que je vois, André, partageaient votre attention avec le savant auteur ?

— C’est une race impie, reprit le jardinier ; elles ont six jours

  1. Un des livres mystiques du temps. a. m.