Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— J’ai toujours été regardé comme aussi brave qu’un autre, reprit-il vivement ; mais je ne me pique pas de pouvoir lutter contre les esprits ; » et il sortit de la bibliothèque au moment où M. Wardlaw, le régisseur, y entrait lui-même.

C’était un homme de bon sens et d’honneur, sans la prudence et l’intégrité duquel mon oncle n’aurait pu se maintenir aussi long-temps à Osbaldistone. Il examina attentivement mes titres, et en reconnut franchement la validité. Pour tout autre que moi cette succession eût été peu profitable, tant le domaine était grevé de dettes et d’hypothèques ; mais, comme je l’ai déjà dit, mon père avait acquis la plupart de ces dernières, et s’occupait d’acheter le reste des créances.

J’avais à m’occuper de beaucoup d’affaires avec M. Wardlaw, et je le retins à dîner. Malgré les instances réitérées que me faisait Syddall de descendre dans la salle à manger, qu’il avait déjà préparée pour nous recevoir, je fis servir le dîner dans la bibliothèque. Sur ces entrefaites, André arriva avec sa recrue de deux presbytériens, qu’il me recommanda, dans les termes les plus vifs, comme des hommes sobres et honnêtes, versés dans la bonne doctrine, et par-dessus tout braves comme des lions. J’ordonnai qu’on leur donnât à boire, et ils se retirèrent tous trois. Le vieux Syddall secouait la tête en les regardant aller, et je voulus en savoir la raison.

« Je n’ai pas lieu d’espérer, dit-il, que Votre Honneur veuille s’en rapporter à mes paroles, et cependant j’atteste le ciel de leur sincérité. Antoine Wingfield est le plus honnête homme qui existe ; mais s’il y a un perfide coquin dans le pays, c’est son frère Lancy. Tout le monde sait que le clerc Jobson l’emploie comme espion pour surveiller les pauvres gentilshommes qui ont pris part aux troubles ; mais c’est un non-conformiste, et il n’en faut pas davantage aujourd’hui. »

Ayant ainsi exprimé ses sentiments, auxquels j’étais peu disposé à faire attention, le sommelier mit le vin sur la table et nous quitta.

M. Wardlaw resta avec moi jusqu’à la chute du jour ; alors il fit un paquet de ses papiers, et prit congé de moi. Il me laissa dans cette situation d’esprit où l’on ne sait trop si l’on désire la solitude ou la compagnie ; au surplus, je n’avais pas la liberté du choix, car je me trouvais dans l’appartement du château le plus propre à m’inspirer des réflexions mélancoliques.