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Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/108

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revînt davantage, il eut longtemps autant de tendresse pour moi que d’aversion pour eux. C’est ce qui l’obligea à me choisir, pour laisser son bien et son nom au mari qu’il me donneroit ; ce fut encore ce qui le rendit plus soigneux de ma conduite que de celle des autres ; et à la fin aussi plus mécontent, quand il crut avoir sujet de s’en plaindre. Il craignoit fort que je m’engageasse d’inclination. Mme de Venelle, qui avoit ordre de m’épier, me parloit incessamment de tous les gens qui me fréquentoient, et que je pouvois aimer, afin de découvrir, par mes discours, mes sentiments pour chacun d’eux ; mais comme je n’avois rien dans le cœur, elle n’y pouvoit rien connoître, et elle seroit encore en cette peine, si l’indiscrétion de ma sœur n’eût point donné à croire ce que je n’y avois pas. Je vous ai dit qu’elle vouloit toujours que j’aimasse quelque chose. Elle me pressa durant plusieurs années avec tant d’instance de lui dire s’il n’y avoit point d’homme à la Cour qui me plût plus que les autres, que je lui avouai à la fin, vaincue par son importunité, que je voyais quelquefois au logis un jeune garçon qui me revenoit assez ; mais que je serois bien fâchée qu’il me plût autant que le Roi lui plaisoit à elle. Ravie de m’avoir tiré cet aveu de la bouche, elle m’en demanda le nom, mais je ne le savois pas ; et quelque peine qu’elle se donnât pour m’obliger à le dépeindre, elle fut plus de deux mois à m’en faire la guerre sans le connoître. Elle sut à la fin que c’étoit un gentilhomme italien nouvellement sorti de page de la chambre, qui n’étoit encore que sous-lieutenant aux gardes, et qui fut tué, il y a quelques années, en Flandres,