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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/190

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directe de la nature. Il concourait au grand mouvement scientifique et naturaliste qui, de Taine à Flaubert et de l’auteur du Demi-Monde et de la Visite de noces au poète des Trophées, a entraîné presque tous les écrivains.

Leconte de Lisle condamnait chez les romantiques l’excès de la subjectivité et l’inconsistance de la couleur locale. Ces deux critiques auraient pu se réduire à une seule, car la solidité et l’éclat de la couleur locale sont en raison directe de l’impersonnalité de l’écrivain. Relever les ruines, rapprocher les pays lointains, faire mouvoir les foules bariolées, cette géniale ou laborieuse reconstruction du décor n’est qu’un effort stérile si les personnages que l’on met en scène ont les façons d’être et les façons de dire de nos contemporains. Toute l’illusion se trouve détruite. Saint-Évremond disait de l’Alexandre de Racine : « Alexandre et Porus devaient garder leurs caractères tout entiers. C’était à nous à les regarder sur les bords de l’Hydaspe, tels qu’ils étaient, et non pas à eux à venir, sur les bords de la Seine, étudier notre naturel et prendre nos sentiments ». On pourrait appliquer ces paroles à bien des œuvres du romantisme. Victor Hugo lui-même a commis de pareils anachronismes d’idées et de sentiments. Le grand poète fait souvent parler les dieux et les titans, les margraves et les bandits, au besoin même les étoiles et l’Océan comme il aurait parlé, lui, Victor Hugo.

Le moi de Leconte de Lisle est plus discret. Dans ses poèmes, Hindous des bords du Gange, Hellènes de la mer Égée et des montagnes de l’Argolide, Barbares de toutes les époques et de toutes les contrées pensent,