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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/189

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de la vie, des sentiments et des pensées des races ancestrales, il a imprimé le caractère de la réalité.

Cette étude sincère, rigoureuse et pénétrante des temps antiques, cette résurrection du passé par les forces unies de la poésie et de la science, c’étaient la tâche et l’objet que Leconte de Lisle avait assignés à son génie dès qu’il s’était senti en pleine possession de sa forme lyrique. « Nous sommes une génération savante, écrivait-il en 1852, dans la préface des Poèmes Antiques, manifeste non moins impérieux et peut-être plus personnel que la préface de Cromwell. Les poètes ne sont plus écoutés parce qu’ils ne reproduisent qu’une somme d’idées insuffisantes ; l’époque ne les entend plus parce qu’ils l’ont importunée de leurs plaintes stériles. Le thème personnel et ses variations trop répétées ont épuisé l’attention. L’art et la science, longtemps séparés par des efforts divergents de l’intelligence, doivent donc tendre à s’unir étroitement, si ce n’est à se confondre. L’art a perdu sa spontanéité intuitive ou plutôt l’a épuisée. C’est à la science de lui rappeler le sens de ses traditions oubliées, qu’il fera revivre dans les formes qui lui sont propres. »

En préconisant l’étude des races disparues et en proclamant la nécessité de retremper la poésie aux sources vives des premières impressions de l’humanité, Leconte de Lisle paraissait rompre avec l’esprit de son temps. Illusion ! Ce contemporain des brahmes et des aèdes se trouvait être très moderne. Il inaugurait la réaction contre le romantisme. Il formulait, le premier, les idées latentes de sa génération où se développait le double besoin d’une information précise et critique et de l’inspiration