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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/192

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Leconte de Lisle perçoit l’angoisse de l’inconnu dans le hurlement des chiens


Devant la rue errante aux livides clartés.


Avec les éléphants qui cheminent pesamment sous le soleil, en sueur, la trompe aux dents et l’œil clos, il rêve du pays délaissé,


Des forêts de figuiers où s’abrita leur race.


Avec le condor des Cordillères, il a l’ivresse des espaces infinis :


Il râle de plaisir, il agite sa plume, 

Il érige son cou musculeux et pelé.

Il s’enlève en fouettant l’âpre neige des Andes. 

Dans un cri rauque il monte où n’atteint pas le vent

Et, loin du globe noir, loin de l’astre vivant, 

Il dort dans l’air glacé, les ailes toutes grandes.


Aucun des poètes français, hormis peut-être Chénier, n’a su rester aussi impersonnel que Leconte de Lisle. Tour à tour peintre d’épopées, paysagiste, animalier, nul n’a mieux réalisé dans ses œuvres cette pensée de Fénelon : « Afin qu’un ouvrage soit vraiment beau, il faut que l’auteur s’y oublie et me permette de l’oublier ».

Alors que Leconte de Lisle ne faisait qu’obéir à cette esthétique, on a conclu, naturellement, qu’il manquait de sensibilité. Admirable raisonnement ! Il taisait les battements de son cœur ; donc ce cœur ne battait pas. Il s’abstenait de confidences ; donc il n’avait rien dire. C’était un indifférent, un impassible. Cet impassible, je l’ai vu si