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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/193

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ému à la réception d’une dépêche contenant des nouvelles de l’enfant malade d’un ami, que ses doigts crispés et tremblants avaient peine à ouvrir l’enveloppe. Et quelle que soit l’unité de son œuvre, si rigoureusement qu’il ait observé le principe de l’art impersonnel, il a cependant laissé échapper dans plus d’un poème[1] le secret de son âme tendre et désespéré :


Celui qui va goûter le sommeil sans aurore

Dont l’homme ni le Dieu n’ont pu rompre le sceau,

Chair qui va disparaître, âme qui s’évapore,

S’emplit des visions qui hantaient son berceau.

Rien du passé perdu qui soudain ne renaisse :

La montagne natale et les vieux tamarins,

Les chers morts qui l’aimaient au temps de sa jeunesse

Et qui dorment là-bas dans les sables marins
…..
Et tu renais aussi, fantôme diaphane

Qui fit battre son cœur pour la première fois,

Et, fleur cueillie avant que le soleil te fane, 

Ne parfumas qu’un jour l’ombre calme des bois

Ô chère vision, toi qui répands encore, 

De la plage lointaine où tu dors à jamais,

Comme un mélancolique et doux reflet d’aurore

Au fond d’un cœur obscur et glacé désormais !

Les ans n’ont pas pesé sur ta grâce immortelle,

La tombe bienheureuse a sauvé ta beauté :

Il te revoit avec tes yeux divins, et telle

Que tu lui souriais en un monde enchanté !

  1. L’Illusion suprême, Ultra Cœlos, les Damnés, la Mort du Soleil, Si l’Aurore, la Chute des Étoiles, Dies irae, le Parfum impérissable.