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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/194

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Mais quand il s’en ira dans le muet mystère

Où tout ce qui vécut demeure enseveli,

Qui saura que ton âme a fleuri sur la terre,

Ô doux rêve, promis à l’infaillible oubli ?

Et vous, joyeux soleils des naïves années,

Vous, éclatantes nuits de l’infini béant,

Qui versiez votre gloire aux mers illuminées,

L’esprit qui vous songea vous entraîne au néant.

Ah ! tout cela, jeunesse, amour, joie et pensée,

Chants de la mer et des forêts, souffles du ciel

Emportant à plein vol l’Espérance insensée,

Qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel [1]?


Pour être plus rares dans l’œuvre de Leconte de Lisle, ces regrets des émotions perdues, ces angoisses, ces accents désolés n’en sont peut-être que plus poignants parce qu’ils semblent plus sincères. Quant il dit à la foule dans l’inoubliable sonnet des Montreurs :


Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,

Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,

Je ne danserai pas sur ton tréteau banal

Avec tes histrions et tes prostituées,


ce cri de révolte, hautain et douloureux, nous fait tressaillir. Les blessures de son cœur qu’il veut t nous cacher, nous les voyons saignantes, profondes, inguérissables.

En laissant peut-être entendre, il y a quelques instants,

  1. L’Illusion suprême. (Poèmes tragiques).