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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/211

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à l’Opéra, je me contente d’aimer ce qui me fait plaisir. Mais c’est un tort ; c’est un grand tort ! et je m’empresse de confesser qu’il n’y a pas de plus fâcheuse erreur, qu’il n’y en a pas de plus grave, de plus préjudiciable aux intérêts des artistes eux-mêmes et de l’art. Où irions-nous si nous érigions notre goût personnel en mesure et surtout en règle de nos jugements ? Aimer ce qui nous fait plaisir ! Mais, en matière d’art comme de littérature, et comme aussi bien dans la vie, toute une part de notre probité ne consiste qu’à réagir contre nos impressions. Et, si nous n’y réussissons pas, qu’arrive-t-il de nous ? Vous le savez, Monsieur, c’est alors que, comme Diderot, nous mêlons, nous confondons, nous brouillons tout ensemble. Nous louons comme lui les qualités littéraires d’un tableau. Nous admirons d’une statue les intentions morales. On nous entend parler d’un peintre comme nous ferions d’un romancier. Que vous dirai-je de plus ? Nous nous engageons sur la pente glissante qui mène à l’admiration de la lithographie sentimentale, le Départ de l’Émigrant ou le Curé conciliateur ; — et la pente est de celles que l’on ne remonte point.

C’est que nous manquons ici de guides, et des qu’il en surgit quelqu’un, il meurt, — comme Eugène Fromentin, a moins encore qu’à peine nous mettions-nous en chemin pour le suivre, il nous abandonne, comme vous. Non que l’art et la littérature soient étrangers ou excentriques l’un à l’autre et, pour peu qu’il les prenne assez superficiellement, un homme d’esprit ne tarde pas à découvrir entre eux des rapports qui l’étonnent lui-même. Mais c’est au point précis où ces rapports s’évanouissent que commence la vraie critique d’art. Si donc deux peintres ou