Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/338

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trouver des applications nouvelles et des perfectionnements de sa méthode, et enfin parce que le bruit qu’elle faisait appelait l’attention sur cette méthode et contribuait à la propager. C’est ainsi que souvent il effrayait, par ses affirmations hardies et ses appels à la contradiction, ses admirateurs et ses amis. Mais son audace était fondée sur sa prudence : il était sûr des armes qu’il avait longuement aiguisées, et quand il s’engageait dans le combat, il savait que le triomphe ne pouvait pas lui échapper.

Dans tous les ordres de la pensée ou de l’activité humaine, c’est la puissance de l’imagination qui fait les grands hommes, et Pasteur aussi fut avant tout un homme d’imagination. Le savant a besoin d’imagination tout autant que l’artiste, mais celle qu’il doit avoir est d’un autre ordre. Elle lui montre des combinaisons de rapports et non de formes, d’idées et non de sentiments. Elle lui procure d’ailleurs les mêmes jouissances ; elle lui cause les mêmes troubles et souvent les mêmes angoisses par la difficulté qu’il éprouve, lui aussi, à réaliser les visions qui passent devant son esprit.

L’imagination de Pasteur était dans un perpétuel bouillonnement ; elle le tourmentait comme une passion. Il lui arrivait, au milieu du repas de famille, de se lever brusquement et de partir, sans que les siens, habitués à ses allures, lui adressassent de questions. Souvent, quand il habitait à l’École normale, les dormeurs étaient réveillés au milieu de la nuit par son pas à la fois pesant et précipité qui descendait l’escalier : une idée impérieuse lui était soudainement apparue, et il ne pouvait résister au désir d’aller immédiatement contrôler, dans son laboratoire, la suggestion tyrannique qui ne lui laissait pas de repos ; tel