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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/337

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sence des choses, de l’origine du monde et de ses destinées. Elle n’en a nul besoin. Elle sait qu’elle n’aurait rien à apprendre d’aucune spéculation métaphysique. » Les idées de Pasteur étaient donc des idées purement scientifiques, qui se sont exprimées dans le travail même qu’elles ont produit. Il en est des idées scientifiques comme des idées artistiques : l’interprétation qu’on en donne avec des mots ne peut tout au plus que susciter le désir de les connaître directement. On demandait à un musicien célèbre ce qu’il avait pensé en écrivant ses romances sans paroles : « J’ai pensé, répondit-il, mes romances sans paroles. » Ainsi Pasteur a pensé ses grandes découvertes et n’a pas pensé autre chose. On peut seulement essayer de marquer ce qu’il y a de personnel dans son génie, ce qui, par conséquent, appartient à l’homme presque autant qu’au savant.

Ce génie était fait d’audace et de prudence, d’imagination et de réflexion, d’intuition et de critique. L’audace de Pasteur était extrême déjà dans le choix des sujets qu’il abordait. « Il m’inquiète, disait un de ses camarades de jeunesse qui avait de bonne heure deviné les dons extraordinaires de ce travailleur silencieux et acharné : il ne connaît pas les limites de la science ; il n’aime que les questions insolubles. » Il s’attaquait en effet d’emblée, et dès ses débuts, à des problèmes que les plus grands savants avaient indiqués en renonçant à les résoudre. Son audace n’était pas moindre à concevoir les solutions possibles de ces problèmes. Et quand il se croyait sûr d’avoir trouvé la vraie, il n’hésitait pas à le proclamer avec une assurance qui ressemblait parfois à un défi. Il aimait d’ailleurs la lutte, un peu par tempérament, puis parce qu’elle excitait et fécondait son esprit en lui faisant