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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/341

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celle où il est le plus glorieux pour l’homme de s’avancer et de conquérir ? Laissez-moi exprimer un sentiment que n’aurait pas désavoué, je le sais, le grand homme dont je tente ici d’interpréter l’âme et le génie. Dans les préoccupations de celui qui s’est voué à la recherche du vrai, l’utilité, au sens ordinaire du mot, ne tient qu’une place accessoire. L’œuvre de science, comme l’œuvre d’art, a son but en elle-même ; son utilité supérieure est dans sa perfection, qui, en enchantant l’esprit, crée l’enthousiasme et provoque l’émulation. Ce qui fait la grandeur suprême, la plus haute noblesse de l’homme, c’est le culte désintéressé des choses divines. Comme la mystique de Joinville, qui voulait brûler le paradis et noyer l’enfer pour que l’espoir de la récompense et la crainte du châtiment ne vinssent plus mêler leur alliage au pur amour de Dieu, l’artiste et le savant dignes de ce nom ne recherchent dans leur effort d’autre profit, pour eux et pour les autres, que cet effort même, et c’est en s’y livrant qu’ils élèvent en eux notre pauvre et sublime espèce le plus haut au-dessus d’elle-même. Il est heureux assurément que des applications pratiques naissent des théories, démontrent à tous la grandeur et la portée des recherches scientifiques, et permettent ainsi d’affermir et d’accroître dans le monde le royaume sacré du pur esprit. Il est juste que Pasteur ait récolté la reconnaissance des hommes, dont il fut le bienfaiteur ; mais si on lui avait demandé les meilleurs titres qu’il pouvait se croire à figurer parmi « les rares immortels nés de la race humaine », il aurait mis sans nul doute au premier rang ses découvertes et ses vues sur les lois générales de l’univers.