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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/467

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poésie, — car, à peine sorti du collège, vous avez dû quitter Bar-le-Duc et le jardin traversé par l’Ornain, et les bois du Petit-Juré, pour devenir tout bourgeoisement, tout prosaïquement un fonctionnaire ! Vous ne nous cachez pas que la secousse fut rude. « À la maison, dites-vous, une surprise désagréable m’attendait : l’administration venait de me nommer receveur des domaines à Auberive… » Et vous ne nous cachez pas davantage que vous vous êtes vite résigné. Après tout, que la même plume qui libellait des actes d’enregistrement ait pu écrire des vers comme les vôtres, c’est une contradiction sans doute assez extraordinaire, mais qui cependant s’explique encore. Certaines personnes d’une sensibilité très délicate acceptent volontiers et provoqueraient presque une existence en partie double. Entre la vérité secrète de leur cœur et la réalité quotidienne, elles établissent une sorte de cloison étanche. D’un côté, c’est leur « moi » profond et sincère, une pensée conforme à leur Idéal ; de l’autre, c’est l’animal extérieur, l’être de servitude et qui obéit aux devoirs de sa condition sans y mêler rien de lui-même. Un trait plus singulier de votre destinée intellectuelle est que vous ayez pu, vous le lyrique intime qu’avait façonné votre rêveuse enfance, devenir le romancier de mœurs à qui nous devons des études si exactes, si poussées, si réalistes, pour tout dire, de la société provinciale. Vous vous excusiez tout à l’heure de n’avoir jamais analysé que les cœurs peu compliqués des bûcherons et des charbonniers de la forêt. Vous oubliiez et Sauvageonne et le Fils Maugars et la Maison des Deux-Barbeaux, et Tante Aurélie, et Madame Heurteloup, et Bigarreau, et Amour d’Automne. J’allais citer presque tous vos livres où